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Idées

Faut-il baisser les salaires des fonctionnaires en France ?

Idées | Débat | publié le : 01.12.2011 |

Pour réduire les dépenses publiques, un certain nombre de nos voisins européens (Espagne, Grèce, Portugal…) ont décidé de baisser de 5 % le salaire des fonctionnaires. En France, le gouvernement s’est contenté de geler le point d’indice des fonctionnaires, en 2012 comme en 2011.

Gilles Saint-Paul Chercheur à l’Idei, membre de l’École d’économie de Toulouse.

De telles mesures ont été prises dans l’urgence par des pays tels que l’Espagne pour faire face à la crise fiscale. La question plus généralement posée est : quelle est la méthode la plus efficace pour réduire les dépenses publiques ? Même si c’est la crise qui précipite les décisions, il faut garder un œil sur le long terme. La plupart des fonctionnaires sont mieux payés que ce qu’ils gagneraient dans le privé avec les mêmes qualifications. Cela suggère que de par leur statut les fonctionnaires sont plus abrités de la concurrence des outsiders au moment de la fixation des salaires. Il est possible que l’on puisse leur arracher des concessions salariales à cause de la conjoncture. Cependant ces économies seront temporaires, et il faut s’attendre à voir les salaires des fonctionnaires remonter dès la sortie de crise. Il est intéressant de noter que malgré la violence de la crise en Espagne, les salaires du privé continuent d’augmenter. On a du mal à voir comment la baisse de salaire des fonctionnaires serait durable dans de telles circonstances.

Sur le long terme, il est beaucoup plus important de s’attaquer au problème des effectifs, d’autant que la France est le pays développé où l’emploi public est le plus élevé. Cela permettrait une baisse durable des dépenses publiques. Malheureusement, la marge de manœuvre ne semble pas très élevée, comme en témoigne l’incapacité de l’État à réduire ses effectifs, en particulier à cause de l’explosion de la fonction publique territoriale. Cependant, dans le cadre d’un programme d’ajustement fiscal rapide, on pourrait envisager une baisse des effectifs en jouant sur les contractuels.

Il serait également souhaitable d’aligner à terme le salaire des fonctionnaires avec leur salaire de marché. Cela augmenterait la mobilité entre les deux secteurs et permettrait de réduire plus rapidement le poids du secteur public en s’appuyant sur les départs volontaires. Mais cela passe par une remise en cause drastique du statut des fonctionnaires, voire son abolition. Bien qu’on puisse penser que ce tabou reste inattaquable, notamment du fait des syndicats, une telle évolution pourrait avoir lieu discrètement par le remplacement graduel des postes de fonctionnaires par des contrats de droit privé. Par exemple, l’autonomie des universités permet désormais de recruter des enseignants sur la base d’un CDI standard.

Agnès Verdier-Molinié Directrice de la Fondation Ifrap.

Avant tout, il faut prendre conscience que les dépenses de personnel des trois fonctions publiques, retraites comprises, sont de plus de 285 milliards d’euros par an, soit à peu près l’équivalent de l’ensemble des recettes fiscales net prévues dans le projet de loi de finances pour 2012. Penser que l’on va pouvoir résoudre notre équation budgétaire sans toucher d’une manière ou d’une autre à ce poste de dépenses est une utopie. Des économies conséquentes peuvent être réalisées sans avoir à baisser les salaires des personnels de catégories A, B et C les moins bien rémunérés. Il suffirait de geler l’augmentation des salaires publics de l’État. Ainsi, sur les 80,6 milliards d’euros de dépenses de personnels hors pensions, 2,4 milliards d’euros pourraient être économisés. Il faudrait aussi penser à mettre entre parenthèses les rétrocessions d’économies sur le « un sur deux », ainsi que la garantie pouvoir d’achat, qui assure aux personnels d’être augmentés au moins au niveau de l’inflation. Si l’inflation repartait à la hausse, cela pourrait coûter très cher. Au niveau des collectivités, 1,4 milliard d’euros pourraient être économisés rien qu’en gelant les salaires publics. En parallèle, on pourrait prévoir, comme cela s’est fait en Europe, de baisser les salaires des catégories les plus élevées dans la fonction publique d’État, les A +. En ciblant une baisse de 5 % sur les salaires des 31 000 hauts fonctionnaires qui ont un traitement annuel, primes comprises, de plus de 80 000 euros et de 10 % sur les plus de 100 000 euros, l’économie serait de 150 et 200 millions d’euros, à laquelle il conviendrait d’ajouter environ 11 millions d’euros si l’on appliquait la même mesure pour les personnels de l’Assemblée nationale et du Sénat, payés plus de 85 000 euros net en moyenne par an.

Quant aux parlementaires, on pourrait baisser de 1 000 euros par mois leur indemnité représentative de frais de mandat (6 240 euros). Par ailleurs, il faudrait aussi, pour montrer que le gouvernement est solidaire des efforts consentis par les agents et les contribuables, que les ministres fassent un geste symbolique. Une réduction de 5 % de leur salaire (700 euros par mois) dégagerait peu d’économies par an, mais serait très bien perçue des Français. La baguette magique de la baisse des dépenses publiques n’existe pas : c’est en trouvant ici 300 millions, là 1 milliard d’euros que l’on résoudra notre équation budgétaire.

Frédéric Lerais Directeur général de l’Ires.

L’an dernier, l’Ires avait recensé les plans d’austérité envisagés en Europe. Depuis, les choses se sont aggravées : un certain nombre de pays annoncent de très fortes baisses nominales de salaires, de l’ordre de 5 % en Irlande, en Espagne, en Grèce ou au Portugal et jusqu’à 25 % dans les pays baltes et en Roumanie. En France, le point d’indice va être gelé en 2012 comme en 2011, après une hausse de 0,5 % en 2010. Le ministère de la Fonction publique estime néanmoins que la rémunération moyenne dans la fonction publique d’État devrait augmenter cette année de près de 3 %. Ce chiffre masque le fait qu’une partie des personnels les moins qualifiés ont été transférés aux collectivités locales. Par ailleurs, cette hausse tient en partie au déploiement de la rémunération à la performance et à la revalorisation des heures supplémentaires. Ces derniers éléments de rémunération ne bénéficient qu’à certaines catégories d’agents. Le gel débouchera, plus tard, sur des mesures de rattrapage, d’autant qu’avec la revalorisation du smic le gouvernement sera contraint de revaloriser les salaires des fonctionnaires inférieurs au smic. Il faut, toutefois, raisonner au-delà du seul secteur public. Dans son dernier rapport sur le travail dans le monde, le BIT souligne à juste titre que la stagnation des salaires est très inquiétante. C’est un des éléments déclencheurs de la crise : les inégalités salariales ont poussé à l’endettement privé, parfois excessif, dans certains pays. Aujourd’hui, la stagnation des revenus est de nature à affaiblir les économies. Revenir sur le salaire des fonctionnaires, c’est contrecarrer un mécanisme d’amortissement des effets de la crise, voire, du fait des effets de contagion sur les salaires du privé, alimenter la baisse de la demande. Or pour éviter que les salaires du privé ne dépriment trop, il n’existe que deux leviers : le smic et le salaire des fonctionnaires. Il ne faut donc pas suivre ces exemples étrangers. Rien ne nous y oblige : il n’y a pas de question de compétitivité en jeu. Certes, d’après les calculs de la Cour des comptes, le gel du point d’indice permet une économie de 800 millions d’euros à l’État et de 1,8 milliard d’euros à l’ensemble des administrations publiques. Mais la réduction de la dette doit passer par d’autres canaux, et elle ne peut pas se faire dans des délais courts sans bloquer la croissance. Si tous les pays européens décident d’appliquer une baisse des salaires des fonctionnaires en même temps, l’Europe risque de s’enfoncer durablement dans la déflation.