logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Et la politesse, bordel !

Enquête | publié le : 01.12.2011 | Emmanuelle Souffi

Entre les open space et les smartphones, les frontières et la retenue s’envolent ! L’impolitesse est un nouveau fléau de la vie de bureau. Pour y remédier, des entreprises apprennent aux salariés les bonnes manières.

Vous poireautez déjà depuis une bonne trentaine de minutes à la porte de son bureau. L’énervement est à son comble quand soudain il sort en trombe, BlackBerry vissé à l’oreille. D’un haussement de tête, il vous signifie que vous pouvez entrer. Pas gêné pour deux sous, le malotru continue à disserter, sans vous prêter la moindre attention. Vous rêvez de le laisser là en plan. Mais votre sens de la politesse vous l’interdit.

Qui n’a pas vécu ce genre de scène si désagréable et qui empoisonne la vie de tous les jours L’impolitesse, c’est la collègue qui se pointe devant votre bureau et vous raconte sa vie en se fichant éperdument de savoir si elle vous dérange. C’est ce directeur qui bloque l’ascenseur, bien qu’il y ait une dizaine de personnes entassées, parce qu’il a un truc « super important » à dire à Machin qui est dans le couloir, ou c’est cette voisine pendue au téléphone qui croit intéressant d’informer tout l’open space du dernier bobo de son gamin. Mis bout à bout, toutes ces incursions dans la vie privée, ces coups de canif portés aux règles que nos parents nous ont pourtant répétées finissent par fatiguer. Le SBAM (sourire, bonjour, au revoir, merci), inventé par Auchan voilà une vingtaine d’années pour ses caissières, a du plomb dans l’aile. Qu’est-ce qui s’est passé pour que les adultes soient parfois moins polis que leur progéniture ? Pourquoi nos comportements deviennent animaliers, tendance goujat ? La faute au temps ! « Quand tout va plus vite, la courtoisie est ce qui disparaît en premier, observe Jeanne Bordeau, directrice générale de l’Institut de la qualité de l’expression. On confond l’important et l’urgent. » Le salarié multitâches ne prend plus la peine de se soucier des autres. « La célérité et l’exigence de réactivité deviennent contre-productives », regrette Iwann Le Du, responsable du recrutement et du développement des ressources humaines au Printemps. Le culte de la performance et l’esprit de compétition n’incitent pas non plus au respect mutuel. « À quoi sert la politesse puisque c’est la loi de la jungle s’interroge Geneviève d’Angenstein, directrice de l’École française de la courtoisie. Aujourd’hui, il faut diviser pour mieux régner. »

« Casse-toi pauv’con ». Au quotidien, celui qui parle doucement, tient la porte, ne dit jamais de mal des autres est perçu au mieux comme un gentil, genre benêt, au pire comme un bouffon par des jeunes qui n’ont plus les mêmes codes que leurs aînés. « Dire bonjour, c’est se montrer faible, alors que c’est un acte civil neutre », regrette Frédéric Miard, responsable du service de psychologie appliquée chez Adia. Normalement, l’exemple vient d’en haut. Or nos chefs d’entreprise et hommes politiques prennent des libertés avec les règles de bienséance. Le « casse-toi pauv’con » lancé par Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture n’incite guère les foules à la mesure. Si un président de la République manie l’insulte mieux que la langue de Molière… Pour être moins piquante, Nathalie Kosciusko-Morizet reçoit les conseils d’un coach en gentillesse qui lui apprend à manier à bon escient les formules de courtoisie ! « Ça fait bien de trier ses déchets, mais pas d’être poli ! déplore Cécile Ernst, agrégée de sciences économiques et sociales et auteur de Bonjour madame, merci monsieur (éd. JC Lattès, 2011). Ce qui est à la mode, c’est d’être je-m’en-foutiste. Le comportement rebelle de l’adolescent est valorisé. Au bureau, c’est le règne du moi d’abord. » Pester parce qu’on ne vous a pas salué ou parce qu’un passager monte avant de vous laisser sortir du métro vous fait passer pour une mégère, pis, un réactionnaire !

Bref, la politesse serait devenue old school. Or être agressif avec les autres génère en retour de l’agressivité. Le climat frondeur est source de tensions, d’incivilités dangereuses pour le collectif de travail (voir page 24). C’est pour réapprendre à être ensemble que les entreprises multiplient aujourd’hui les démarches autour du savoir-vivre. Elles ont pris conscience des risques d’un certain laisser-aller dans les relations humaines. En termes d’image bien sûr, face à des clients qui ne pardonnent pas la moindre incartade. Mais aussi de climat interne. Trois mots ressortaient dans le baromètre RH de l’Institut de la qualité de l’expression publié en janvier : mieux vivre, slow management et gentillesse…

Pour sa troisième édition, le 13 novembre, la Journée de la gentillesse s’est focalisée sur le bureau. Plus de 200 entreprises ont signé l’appel à plus de bienveillance au travail lancé en septembre par le réseau Entrepreneurs d’avenir et Psychologies magazine. Depuis un an, on ne compte plus les coachings et écoles de courtoisie qui se créent pour apprendre aux salariés à se tenir à table, en réunion, à s’exprimer correctement, à écrire sans faute de syntaxe. Bref, à faire de nous des collègues bien élevés. Adecco a vu le nombre de ses stagiaires « savoir-être » passer de 50 en 2008 à… plus d’un millier cette année !

Hier réservés aux publics en difficulté, ces modules sur les codes et la vie en entreprise ont depuis été proposés à tout le monde, du cadre au manager de proximité en passant par les tuteurs des intérimaires. Dans le cadre de l’opération « coup de pouce pour l’insertion » montée avec la Société générale, ils sont également proposés sur quatre jours à des groupes de 24 jeunes. Comment dit-on bonjour : la bise ou la poignée de main ? On se tutoie ou pas ? Les règles sont subtiles et dépendent de la culture maison. Mais généralement un sous-fifre ne tutoie pas son chef et ne le salue pas tant que ce dernier ne l’a pas fait lui-même. Preuve de leur importance, en complément de l’évaluation des compétences, Adecco vient de lancer une certification comportementale de ses intérimaires basée sur des critères tels que la ponctualité et le respect des consignes.

Un marqueur social. À l’École française de la courtoisie, Geneviève d’Angenstein apprend à des cadres sup un brin maladroits à se tenir droit, à ne pas parler en mangeant, à ne pas manger la bouche ouverte, à éviter de faire des moulinets avec leurs couverts tout en dissertant sur leur business plan. Il faut dire que certains patrons invitent au restaurant leur recrue potentielle pour voir comment elle se comporte avant de l’engager… « Les gens bien élevés se reconnaissent entre eux », prévient Pascale Viallard, responsable de la Belle École, qui forme aux bonnes manières. Le comportement est un marqueur social. Et tout le monde n’a pas reçu les bons codes durant l’enfance. Ces stages font office de séances de rattrapage. Parce que la grossièreté, même involontaire, peut faire mal. Guilhem Bertholet, chef d’en­treprise et ancien responsable de ­l’incubateur de HEC, se souvient de cet e-mail d’un jeune créateur d’entreprise sans un bonjour ni aucune formule de ­politesse balancé à la Terre entière. Trois jours après, furieux de ne pas avoir eu de retours – et pour cause, il avait été blacklisté ! –, il récidive sur un ton comminatoire. « Il y a des gens qui ne savent pas qu’il faut encore mettre les formes, même à l’heure des réseaux sociaux ! »

Les nouvelles technologies, notamment l’e-mail, sont sources d’impolitesse. Surtout quand on reçoit des courriels de son chef à 3 heures du matin

C’est justement pour éviter de telles attitudes que Pascale Viallard enseigne la « Net-étiquette ». Ne pas écrire en majuscule parce que c’est comme si on hurlait, veiller à la ponctuation et à l’orthographe, aux envois groupés, aux formules de politesse, aux abrégés… Cordialement ne s’écrit jamais « cdlt ». Pour sortir du « prêt à signer », l’Institut de la qualité de l’expression planche sur de nouvelles formules de civilité adaptées au style, à la relation client, à la culture de l’entreprise. Les nouvelles technologies, notamment l’e-mail, sont sources d’impolitesse. Surtout quand on reçoit des courriels de son chef à 3 heures du matin. Pour prévenir ce genre de dérive, ArcelorMittal Atlantique a mis au point un code de bonne conduite de l’utilisation de cet outil.

La politesse, critère de recrutement Dans les métiers de service, exit le candidat impoli ou prenant ses aises avec l’orthographe. Quand il était chasseur de têtes, Iwann Le Du demandait toujours l’avis de l’hôtesse d’accueil après avoir reçu quelqu’un en entretien. Celui ou celle qui ne disait pas bonjour, merci, au revoir, ou qui ne se présentait pas aimablement ne revenait pas. Aujourd’hui, il n’hésite pas à écarter un candidat au CV parfait, mais qui agit en terrain conquis. « L’humilité est une forme de politesse, affirme-t-il. La première pierre du savoir-vivre, c’est l’écoute et l’empathie. Un client à l’aise est un client qui consomme. » Vendeur, responsable de boutique, styliste personnel… tous sont formés à l’utilisation des bons gestes et des bons mots. Décrocher un costume du portant avec deux doigts, présenter la veste avec élégance, éviter les mots négatifs, les jugements de valeur… La délicatesse fait aussi partie de la politesse. « Elle passe par le cœur. C’est une question de justesse, pas simplement de formalisme », estime Jeanne Bordeau. Darty a banni les scripts et leurs réponses toutes faites de ses centres d’appels. « On fait le pari que les compétences du technicien et sa façon de s’exprimer seront plus un gage de politesse qu’une relation distante », relève Laurent Grenier, directeur de la communication du groupe.

Remettre de l’humain dans les rouages reste finalement le meilleur rempart à la goujaterie. Grande prêtresse du langage, Jeanne Bordeau finit tous ses mails ainsi : « Avec mes belles et bonnes pensées ». Un brin désuet. Mais poli… Et joli, non ?

Les mots à éviter

ON NE DIT PAS…

Au plaisir

J’ai mangé

Faut voir

Je vais essayer

De rien

On […]

MAIS…

Ravi(e) de vous avoir rencontré(e)

J’ai déjeuné

C’est à envisager

Je m’en occupe tout de suite

C’est moi qui vous remercie

Je ou vous

Auteur

  • Emmanuelle Souffi