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“Les femmes se vivent comme démissionnaires de la sphère privée”

Actu | Entretien | publié le : 01.12.2011 | Laure Dumont, Emmanuelle Souffi

Cette inspectrice de l’Igas pense qu’il faut promouvoir la parentalité tout au long de la vie si l’on veut vraiment s’attaquer à la discrimination à l’égard des femmes.

Pourquoi un rapport spécifique sur la parentalité dans l’entreprise ?

La plupart des inégalités dont les femmes sont victimes s’expliquent par la parentalité. Sur les 27 % d’écarts de salaires entre hommes et femmes, une bonne part provient du fait que les femmes travaillent davantage à temps partiel, occupent, plus que les hommes, des postes dans des secteurs moins rémunérés, etc. Ce qui m’intéresse, c’est le noyau dur inexpliqué de la discrimination systémique à l’égard des femmes. Potentiellement chargées de parentèle, elles sont vécues comme des agents à risques par les employeurs : elles seraient moins disponibles, moins flexibles, moins aptes à l’autorité, etc. Et c’est la double peine. Non seulement les femmes sont moins légitimes dans la sphère du travail, mais en plus on leur fait payer, à coups de stéréotypes, ce temps que leur soustraitent les hommes dans la vie de tous les jours. Quand elles ont des atouts, ils sont moins valorisés : un ­diplôme de femme vaut moins qu’un diplôme d’homme. Du coup, elles vivent un conflit de légitimité lourd et culpabilisant. Elles se vivent soit comme démissionnaires de la sphère privée, soit comme usurpatrices de la sphère publique.

Pourquoi est-ce par l’accompagnement de la parentalité que les entreprises pourront faire disparaître cette souffrance ?

L’entreprise a toujours opposé les vies privée et publique. Or les temps ont changé. Les nouvelles technologies créent une porosité entre ces deux sphères. Cessons de dire que la parentalité est une entorse à la performance. Au contraire, c’est un enrichissement pour l’entreprise. Le présentéisme de salariés « absents dans leur tête » fait plus de dégâts que l’absentéisme. Je crois à la théorie des enrichissements croisés : tout ce que je fais hors de mon travail enrichit mon travail. Cela vaut pour les femmes comme pour les hommes. Les études montrent que plus un père s’investit tôt dans sa parentalité, plus c’est bénéfique, pour l’enfant et pour lui-même. En s’occupant de lui dès le plus jeune âge, il est doublement responsabilisé, en termes de bien-être de l’enfant, mais aussi du sien propre.

Comment les entreprises peuvent-elles intégrer cette nouvelle parentalité de façon concrète ?

Il faut changer de paradigme et promouvoir la ­parentalité tout au long de la vie, en la mettant à la table des négociations. Pour cela, on devrait travailler sur les trois temps de la parentalité. D’abord le temps court, qui correspond à la naissance de l’enfant, ne doit plus reposer uniquement sur la femme. Il doit prévoir un moment privilégié pour le père avec son enfant. Pour cela, je propose un congé d’accueil de quatre semaines pour la mère comme pour le père, soit deux mois en tout, au-delà du congé de maternité de la mère. La négo­ciation conjugale va prendre un nouveau tour si le couple veut donner plus de temps à l’enfant et donc inciter au congé du père. Le deuxième temps est celui du quotidien : il faut assouplir l’organi­sation du temps de travail, des réunions, favoriser le télétravail. Le troisième temps est celui dont on a besoin tout au long de la vie, quand la famille prend le dessus sur le travail. L’idée est de permettre à un salarié qui a besoin de se consacrer à un adolescent ou à un parent âgé de prendre un congé de trois mois. Je propose ainsi de créer un DIP, un droit individuel à la parentalité.

Les dirigeants français sont-ils prêts à mener tous ces changements ?

C’est le rôle des experts de faire des propositions qui correspondent aux demandes sociétales dans le cadre d’un contexte économique et politique donné et d’anticiper parfois pour faire bouger la société. La théorie de la parentalité en est à ses débuts. Depuis deux ans, nous vivons un de ces moments clés où médias et politiques se retrouvent autour d’une idée et en favorisent l’émergence dans la société. C’est ainsi que la loi Copé-Zimmermann, sur la place des femmes dans les conseils d’administration, a pu passer. La théorie de la performance fondée sur la mixité des profils avance dans les esprits. Elle les bouscule aussi, car elle pose la question de la compétence. Intégrer des femmes dans les conseils d’administration exige que les hommes abandonnent leurs quotas invisibles de cooptation pour passer à des critères de compétence objectifs. Cette professionnalisation est positive. Chaque fois que l’on met de l’égalité quelque part, tout le monde en profite. La notion du nécessaire équilibre des sphères d’appartenance des salariés avance également.

BRIGITTE GRÉSY

PARCOURS

Inspectrice générale des affaires sociales (Igas), Brigitte Grésy est l’auteure de deux rapports sur la place des femmes dans la société.

Le premier, publié en septembre 2008, était consacré à l’image des femmes dans les médias.

Le deuxième, en juillet 2009, décryptait les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes.

En juin dernier paraissait le second volet de ce travail, consacré à la parentalité en entreprise.

Brigitte Grésy est aussi l’auteure d’un Petit traité contre le sexisme ordinaire (Albin Michel, 2009).

Auteur

  • Laure Dumont, Emmanuelle Souffi