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Vie des entreprises

L’actionnariat salarié contre vents et marées

Vie des entreprises | Décryptage | publié le : 01.11.2011 | Stéphane Béchaux

Avec la tempête boursière, les salariés actionnaires prennent le bouillon. Les entreprises ne renoncent pas pour autant à les associer à leur capital. Mais elles privilégient les offres les plus sécurisées.

On arrête tout ! Prévue pour l’automne, la grande opération d’actionnariat salarié ne verra finalement pas le jour chez Veolia Environnement cette année. Le 4 août, en effet, le conseil d’administration a préféré remballer en catimini son projet, devenu invendable auprès des troupes. Impensable de les inciter à investir dans l’entreprise quand l’action maison vient de perdre 30 % de sa valeur après un douloureux profit warning

Les dirigeants du Crédit agricole, eux, sont allés jusqu’au bout de leur projet. Lancée avant l’été, puis prolongée jusqu’en septembre, leur augmentation de capital réservée aux collaborateurs s’est achevée sur un bide complet. Ces derniers ont fait leur la nouvelle devise de la banque, « le bon sens a de l’avenir », en refusant d’acheter au prix de 8,42 euros, fixé fin juin, une action qui n’en valait plus que 5,40 mi-septembre.

Deux flops sans conséquence pour les salariés. Des petits chanceux, comparés à tous les autres qui ont placé leurs économies au printemps, juste avant la grande glissade boursière. Les uns, alléchés par des offres jugées attrayantes, ont souscrit à des augmentations de capital concoctées par leur employeur, qu’il s’appelle Total, Lafarge, Steria, Vivendi, BNP Paribas, Société générale ou Schneider Electric… Les autres ont tout simplement investi leur participation ou leur intéressement dans le fonds d’actionnariat maison.

Un choix perdant. Pour l’instant, la plupart des souscripteurs ont vu leurs placements fondre. Rageant, même si ce n’est qu’en 2016, au moment du déblocage des fonds, qu’ils pourront véritablement faire les comptes. Mention spéciale aux 48 000 salariés de la Société générale qui, en mai, ont souscrit à hauteur de 216 millions d’euros à la vingt-quatrième augmentation de capital de l’établissement. Au prix de 37,50 euros l’action, près du double de la valeur moyenne d’octobre. Il y a cinq ans, le titre flirtait avec la barre des 150 euros…

On pouvait penser que la déconfiture boursière des mois d’août et septembre allait calmer les ardeurs des directions. Il n’en a rien été. À l’exception de Veolia Environnement, aucune annulation ni report à signaler en cette fin d’année. Sans trembler, Axa a ainsi ouvert son plan mondial, Shareplan 2011 – rebaptisé « cher plan » par la CFDT –, en pleine tempête boursière. « On s’est interrogés sur l’opportunité de l’opération. Mais comme on en réalise une tous les ans à la même époque, et que l’une des formules est totalement garantie, on a décidé de ne rien changer », avance Thomas Bork, directeur performance and reward de l’assureur. Un argument également mis en avant par Vallourec, qui a inauguré à la même époque son quatrième plan mondial en quatre ans, malgré un cours de Bourse divisé par deux lors des six derniers mois.

Plus téméraire : Suez Environnement. Mi-septembre, la filiale de GDF Suez a lancé sa première augmentation de capital réservée aux collaborateurs, Sharing 2011. « On a bien échangé quelques coups de fil en août, lors de la chute des cours, concède Jean-François Bonassi, directeur de la performance RH. Mais, fondamentalement, notre plan s’inscrit dans le long terme. Il vise à accompagner la construction récente de l’entreprise en développant le sentiment d’appartenance. »

Le résultat final n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Avec 25 % de taux de souscription, Suez Environnement ne peut guère parler de plébiscite. La faiblesse du cours de Bourse aurait pourtant dû, en théorie, aiguiser les appétits. « Les actionnaires salariés ne se comportent pas différemment des autres. Ils ont tendance à acheter quand les cours sont hauts, pas quand ils sont bas. Les dirigeants réagissent d’ailleurs de la même façon : ils n’aiment pas trop lancer des plans lorsque les indices ont chuté », observe Christine Baudelaire, directrice de l’actionnariat salarié chez Altedia.

Un constat unanimement partagé. « Le comportement des salariés est beaucoup plus viscéral que scientifique. Les cols blancs n’y échappent pas. On voit parfois des cadres très supérieurs prendre des décisions non pertinentes », confirme le directeur du développement RH d’un grand groupe coté. « La frange des salariés qui comprennent quelque chose à la Bourse augmente. Mais il reste un immense travail de pédagogie à faire », abonde Christian Magne, administrateur d’Air France-KLM, représentant les actionnaires salariés.

À en croire les études, l’actionnariat salarié a pourtant toujours la cote. Réalisée avant la grande glissade de l’été, la dernière enquête Altedia-BNP Paribas affiche un taux de 82 % de salariés jugeant le principe comme « une bonne chose ». Un chiffre en hausse de 15 points en dix ans. Une opinion partagée, à 79 %, par les dirigeants. « L’actionnariat salarié reste un pilier très fort de l’épargne salariale, avec environ 40 % des encours. Les dirigeants continuent à y voir un outil efficace pour stabiliser le capital, motiver leurs équipes et partager la valeur ajoutée », assure Laure Delahousse, directrice de l’épargne salariale à l’Association française de la gestion financière. « Financièrement, les dispositifs sont attractifs. En tenant compte de l’abondement, de la décote, des dividendes et de la défiscalisation, je ne suis pas certain que beaucoup de porteurs de parts aient perdu de l’argent. Plus fondamentalement, les salariés ne se comportent pas en boursicoteurs. Ils investissent dans leur entreprise car ils y sont attachés et en connaissent la solidité », ajoute Philippe Lépinay, président de la Fédération française des associations d’actionnaires salariés (FAS).

De beaux discours qui font sourire Serge Corfa, le leader cédétiste de Carrefour. « Il n’y a plus que dans les manuels qu’on croit que les salariés investissent dans leur entreprise parce qu’ils en partagent les valeurs. Ils le font uniquement par calcul, en espérant gagner un peu d’argent. Quand ils en perdent, l’amertume n’en est que plus grande », explique le syndicaliste, qui réclame l’ouverture d’un plan d’attribution gratuite d’actions. Une formule qui a le vent en poupe (voir encadré ci-contre).

Vivendi propose à ses salariés une formule à capital et rendement garantis qui rencontre un vrai succès

Les DRH ont beau clamer haut et fort que l’actionnariat salarié renforce la cohésion interne, ils n’en ignorent pas les effets boomerang quand leurs employés prennent le bouillon. Des moins-values que les syndicalistes n’oublient pas de rappeler lors des négociations salariales. « En NAO, on va demander à la direction d’arrêter de raisonner globalement sur les rémunérations. On veut recentrer les discussions sur le salaire de base », prévient Michel Marchet, le leader cégétiste de la Société générale. Sans grande chance de succès, même si la banque a déjà fait une miniconcession à la rentrée : elle a accepté d’augmenter le montant maximal des prêts immobiliers qu’elle accorde à ses salariés, passé de 140 000 à 180 000 euros.

Inflexibles sur leurs politiques salariales, les entreprises ne sont pas sourdes pour autant. Depuis quelques années, l’heure est à la sécurisation maximale des avoirs. À l’image de Vallourec qui, hormis en France, ne propose à ses collaborateurs qu’un seul et unique dispositif, à effet de levier et capital garanti. « Comme on ne maîtrise pas les aléas boursiers, on offre un placement sûr, hors risque de change. On se voit mal demander à nos salariés brésiliens ou chinois de prendre des risques sur leur épargne », justifie Alexandre Perrod, directeur des rémunérations et avantages sociaux.

La prime aux options sécurisées. La formule est aujourd’hui très répandue dans les entreprises et plébiscitée par les souscripteurs. Quand bien même ils doivent renoncer à l’abondement et aux éventuels dividendes. « Les salariés sont frileux. Ils privilégient, dans le contexte actuel, les options les plus sécurisées », confirme Aymeric Sallé de Chou, spécialiste de l’épargne salariale chez Altedia. Vivendi va même plus loin. Depuis trois ans, le groupe propose aux salariés une formule à effet de levier, capital et rendement garantis (2,5 %), qui rencontre un vrai succès. Une option antikrach que leurs prédécesseurs, à l’ère Messier, auraient bien aimé avoir : en mars 2000, leurs actions valaient 150 euros, contre 70 un an plus tard. Cet automne, elles s’échangeaient à… 15 euros.

35,6 milliards d’euros

C’est le montant des encours des fonds d’actionnariat salarié fin 2010. Ce qui représente 40 % du total des sommes investies en épargne salariale.

Source : Association française de gestion financière.

-25 %

C’est la chute de l’indice de l’actionnariat salarié sur les dix premiers mois de 2011. Cet indice est constitué à partir des performances boursières des sociétés du SBF 250 ayant un actionnariat salarié significatif.

Source : Nyse Euronext.

Vive les actions gratuites !

La Bourse, c’est un placement à long terme, ça finit toujours par remonter ! » Lorsque les valeurs boursières font du rase-mottes, les dirigeants n’oublient jamais d’appeler leurs troupes à la patience. Sauf que l’adage peut se révéler inexact. Les salariés de Vivendi, TF1, la Société générale, Alcatel ou France Télécom qui ont investi lorsque l’action tutoyait les sommets ne retrouveront jamais leur mise. Pour éviter ce genre de déboires, l’arme fatale existe depuis 2006. Son nom ? Le Paga, ou plan d’attribution gratuite d’actions. Un mécanisme 100 % sécurisé puisque les salariés récupèrent, au bout de quatre ans minimum, des titres pour lesquels ils n’ont pas versé un centime. Depuis cinq ans, la formule connaît un certain succès dans les entreprises cotées hexagonales, qui en font un – tout petit – complément de leur politique traditionnelle d’actionnariat salarié.

Alstom, Safran, GDF Suez, France Télécom, Axa ou Total ont ainsi procédé à des distributions d’actions gratuites, le plus souvent de façon forfaitaire. La Société générale aussi, il y a tout juste un an. Mais en conditionnant l’attribution – soit 40 actions par salarié – à l’atteinte d’objectifs de rentabilité et de progression de la satisfaction des clients. Pas gagné… Distribuées au compte-gouttes à l’ensemble des troupes, les actions gratuites sont en revanche attribuées beaucoup plus généreusement aux cadres supérieurs et dirigeants. « Depuis cinq ans, les Paga sous condition de performance se généralisent pour les collaborateurs clés. Ils tendent à prendre le relais des stock-options », observe Christine Baudelaire, directrice de l’actionnariat salarié chez Altedia. « Les stock-options n’ont pas totalement disparu. Mais elles sont réservées aux membres des comités exécutifs », complète Joël Rethoré, son homologue chez Aon Hewitt. Une tendance de fond qui doit beaucoup à la chute des cours. Car, dans les états-majors, on doit gérer la grogne des hauts potentiels, qui ne pourront jamais exercer leurs options d’achat.

Auteur

  • Stéphane Béchaux