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Vie des entreprises

Communication syndicale

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.11.2011 | Jean-Emmanuel Ray

Dans notre village mondial façon Web 2, l’image d’une grande entreprise est un actif aussi important que son capital social : la liberté d’expression des syndicats se trouve alors confrontée à de rudes enjeux. En particulier en France, où la tradition n’est pas de s’esbaudir sur les performances sociales ou économiques de l’employeur. Conflit de logiques.

À fortiori depuis la loi du 20 août 2008, avec son seuil couperet des 10 %, les campagnes électorales sont parfois très mouvementées et les surenchères et prises de bec, y compris entre syndicats, souvent vives.

D’où l’importance de l’arrêt rendu le 12 septembre 2011 par la Cour de Strasbourg, seule Cour vraiment suprême donnant le la aux 47 pays du Conseil de l’Europe.

Mais aussi de l’arrêt Capgemini rendu le 21 septembre par la chambre sociale de la Cour de cassation, autorisant l’accès des syndicats non représentatifs à la messagerie de l’entreprise.

LIBERTÉ D’EXPRESSION DES SYNDICATS (CEDH, 12 SEPTEMBRE 2011)

– Les faits. Des syndicalistes espagnols distribuent un tract où figure une caricature représentant deux collaborateurs accordant une faveur sexuelle au DRH, assortie de commentaires extrêmement crus. Licenciés pour faute grave, ils perdront tous leur procès, des juges du fond à la Cour de cassation espagnole : « offensants et portant atteinte à la dignité des personnes visées », le dessin et les deux articles dépassaient les limites de la liberté d’expression.

– Le débat juridique devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Un premier arrêt avait été rendu le 8 décembre 2009 par l’une de ses formations, concluant à la faute grave. « La liberté d’expression étant l’oxygène des droits syndicaux », il avait été vivement contesté : en croisant l’article 10 avec l’article 11 sur la liberté syndicale, il fallait accorder aux syndicats une liberté d’expression supérieure au commun des mortels, et proche de celle des journalistes couvés par la Cour de Strasbourg habituellement si permissive : la fonction fait le juge.

– l’arrêt rendu en Grande Chambre le 12 septembre 2011 conclut à l’inverse : « Il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention, lu à la lumière de l’article 11 », et les licenciements étaient justifiés et proportionnés.

1. Dans une formule proche du droit nord-américain : « La liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique. »

2. Mais « l’article 10 de la Convention ne garantit pas une liberté d’expression illimitée ; la protection de la réputation ou des droits d’autrui constituent un but légitime permettant de restreindre cette liberté d’expression ».

3. Énoncé enfin détonant pour des Gaulois : « Les relations de travail doivent se fonder sur la confiance entre les personnes. Même si la bonne foi devant être respectée dans le cadre d’un contrat de travail n’implique pas un devoir de loyauté absolue envers l’employeur, ni une obligation de réserve entraînant la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur, certaines manifestations du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail. » Dans le contexte particulier de l’entreprise, collectivité de travail liant des contractants, ce n’est donc pas à une extension, mais à une restriction de la liberté d’expression que se livre la CEDH.

ET LES JUGES FRANÇAIS ?

Au pays de Voltaire puis de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le juge pénal et les juges civils sont presque sur la même ligne.

1. S’agissant d’infractions pénales et ne confondant pas esprit ouvert avec esprit béant, la chambre criminelle de la Cour de cassation refuse légitimement de relaxer de médiatiques délinquants ne s’interdisant rien au nom de leurs convictions. Elle a ainsi rappelé le 6 février 2002 à José Bové que, de façon générale, « la lutte syndicale ne peut s’exercer que dans le respect de la loi pénale ».

Même motif et même sanction le 10 mai 2005, à la suite de la mise en ligne par SUD PTT d’un tract impliquant un directeur de La Poste qualifié de « givré » et de « dingue doublé d’un sadique » : « Si le langage syndical justifie la tolérance de certains excès à la mesure des tensions nées de conflits sociaux ou de la violence qui parfois sous-tend les relations du travail, ces termes excèdent la mesure admissible dans un tel cadre » (injure). Le simple rappel d’un État de droit.

2. Les juges civils sont les défenseurs de la liberté d’expression, si elle reste dans les limites de l’acceptable.

– Défense et illustration avec l’arrêt Greenpeace/Areva du 8 avril 2008 : la première chambre civile avait censuré la cour de Paris ayant estimé qu’« en portant un discrédit sur l’ensemble des produits et services de la société Areva, l’association avait abusé du droit à la liberté d’expression ». Cassation, justement au visa de l’article 10 de la CEDH : « Cette association agissant conformément à son objet, dans un but d’intérêt général et de santé publique par des moyens proportionnés à cette fin, n’avait pas abusé de son droit de libre expression. » S’agissant de communication dans l’entreprise, la même première chambre a rappelé le 17 mars 2011 qu’« un contexte électoral particulièrement tendu » ne saurait excuser de graves mises en cause personnelles.

– La chambre sociale admet pour sa part des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement pour les auteurs de graves dérapages internes, s’ils sont précisément identifiés : ce qui n’est pas toujours facile s’agissant de communication syndicale, où plane par ailleurs le délit de discrimination antisyndicale avec annulation du licenciement à la clé (CS, 19 janvier 2011).

À l’extérieur de l’entreprise, en revanche, c’est le citoyen qui s’exprime : c’est donc le droit commun de la presse ou de la responsabilité qui s’appliquent, avec un nécessaire recours au juge : par conséquent un long procès souvent médiatisé et, partant, dissuasif.

ACCÈS DES SYNDICATS NON REPRÉSENTATIFS À LA MESSAGERIE INTERNE

En séparant droit syndical (tracts, affiches, local…), qui est ouvert à tous les syndicats ayant constitué une section, et droits liés à la négociation collective réservés aux syndicats représentatifs, la loi du 20 août 2008 a ouvert la boîte de Pandore. D’une part, s’agissant de l’application des accords antérieurs, où légalement seuls les syndicats représentatifs avaient accès à l’entreprise, d’autre part, pour les accords actuels : seuls habilités à négocier et à signer l’accord d’entreprise nécessaire pour autoriser l’accès aux TIC internes, les syndicats représentatifs peuvent être tentés de ne pas faire ce magnifique cadeau à de futurs concurrents sur le désormais très concurrentiel marché des voix.

C’est là le problème : vu l’importance redoutable des élections professionnelles, était-il imaginable que tous les candidats ne soient pas à égalité lors de la campagne électorale ? Fallait-il donc séparer vie normale et période électorale, régie par le protocole d’accord préélectoral ?

Avec l’arrêt Capgemini du 21 septembre 2011, la chambre sociale a légitimement préféré la brutale simplicité : « En vertu des articles L. 2142-3 à L. 2142-7, l’affichage et la diffusion des communications syndicales à l’intérieur de l’entreprise sont liés à la constitution par les organisations syndicales d’une section syndicale, laquelle n’est pas subordonnée à une condition de représentativité. Les dispositions d’un accord collectif visant à faciliter la communication des organisations syndicales ne peuvent, sans porter atteinte au principe d’égalité, être limitées aux seuls syndicats représentatifs et doivent bénéficier à tous les syndicats qui ont constitué une section syndicale. » En résumé : si un accord d’entreprise a autorisé l’accès à la messagerie des seuls syndicats représentatifs, les syndicats tombés au-dessous du seuil des 10 % pourront cependant exiger d’y avoir accès, s’ils ont constitué une section. Or, pour des syndicalistes (français) qui ont une revanche à prendre et pour lesquels les prochaines élections constituent l’horizon indépassable, comment remonter la pente ? En disant du bien de tout le monde ?

WEB 2 : MIEUX VAUT LAVER SON LINGE SALE EN FAMILLE

Des entreprises signataires d’un tel accord, surprises par cette extension inattendue des bénéficiaires (et sans doute après avoir examiné s’il s’agit de la CFTC, de la CFE-CGC ou de SUD), pourraient être tentées de limiter les accès aux systèmes d’information internes.

Au risque de voir fleurir des sites externes de groupes de fans au ton extrêmement libéré, accessibles aux journalistes, voire concurrents du monde entier. Car, avec Facebook et autres Notetonentreprise.com, mieux vaut laver son linge sale en famille, si ce n’est carrément créer d’efficaces paratonnerres numériques internes : blog décalé du dirigeant, dynamique réseau social d’entreprise… où apparaissent parfois de très réactives communautés SUD et même CNT : mais ont-elles suffisamment de camarades membres pour être crédibles ? En évoquant la seule égalité, l’arrêt évite de se prononcer sur la simple application de la loi : un syndicat tout court peut certes profiter des avantages légaux liés au droit syndical. Mais s’agissant d’avantages légalement liés à la signature d’un accord ?

Mais cela ne signifie pas :

– Qu’à l’instar des syndicats non signataires mais représentatifs ces nouveaux bénéficiaires pourront s’affranchir des limites conventionnelles : périodicité, volume. La chambre sociale veille à la stricte application de l’accord, ici nécessairement donnant-donnant : accès contre encadrement.

– Que des avantages ne puissent être réservés à des syndicats représentatifs lorsqu’ils sont liés au droit de la négociation collective, comme l’a rappelé l’arrêt du 5 avril 2011 : « Un syndicat non représentatif ne peut, au titre du principe constitutionnel d’égalité, revendiquer un traitement identique à celui réservé aux seuls syndicats représentatifs auxquels la loi confère des prérogatives différentes de celles des syndicats non représentatifs. »

FLASH
TIC et comité d’entreprise

En nos temps d’éclatement des lieux et temps de travail, nombre d’entreprises ont depuis longtemps donné un accès à la messagerie ou offert un site intranet à leur comité, du moins s’agissant de ses activités sociales et culturelles. Mais le comité d’entreprise y a-t-il droit ?

La cour de Versailles a cru pouvoir énoncer le 8 septembre 2010 que « l’article L. 2142-6 ne régit que les conditions d’utilisation par les syndicats de la messagerie, et non celles par le comité d’entreprise, institution représentative du personnel interne à l’entreprise dont il constitue un des éléments. La loi n’interdisant pas ce qu’elle n’autorise pas spécialement, la société Adia ne peut soutenir qu’en l’absence d’une disposition légale autorisant le comité d’entreprise à utiliser le réseau informatique interne pour la diffusion d’informations qui n’est légalement prévue que par voie postale ou d’affichage sur le tableau mis à disposition par l’entreprise, la diffusion sur la messagerie de l’entreprise serait, de ce seul fait, illégale » : surprenant en droit.

Mais, pour un employeur, est-il raisonnable de procéder de la sorte quand 87 % de ses jeunes collaborateurs sont sur Facebook ?

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray