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Politique sociale

Retraite, famille, santé, le fardeau des charges sociales

Politique sociale | publié le : 01.11.2011 | Grégory Danel

Cheval de bataille du patronat, le coût du travail suscite un débat récurrent, encore attisé par la crise. Le point sur l’évolution des prélèvements sociaux et les dispositifs qu’ils alimentent.

Soumise à la discussion de l’Assemblée nationale le 11 octobre, la « proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives » est un texte bien singulier. œuvre législative fourre-tout, elle vise, comme l’explique son promoteur, le député UMP Jean-Luc Warsmann, à « desserrer les contraintes excessives qui pèsent sur les entreprises ». Quelques articles bien inspirés prévoyaient donc une « harmonisation » des seuils d’effectifs des entreprises pris en compte pour certaines réductions de cotisations sociales. Une mesure qui aurait été bien accueillie par certains patrons mais qui aurait eu pour conséquence une perte sèche de plusieurs dizaines de millions d’euros pour la Sécurité sociale. Or, vu l’état des comptes sociaux (déficit de 29,8 milliards d’euros en 2010 pour la Sécu, dette sociale de 136 milliards) et comme l’a souligné la députée Martine Billard (Parti de gauche), pour une fois d’accord avec le gouvernement, « ce n’ [était] pas vraiment le moment ». Les articles en question ont donc été supprimés. Derrière ce projet avorté, beaucoup ont vu l’œuvre de secteurs, de branches ou d’entreprises s’essayant avec plus ou moins d’adresse au lobbying parlementaire pour faire baisser les charges sociales. Le procédé est un peu gros mais, à vrai dire, guère étonnant tant l’objectif constitue, lui, une obsession du patronat français depuis des décennies.

Le fait est, toutefois, qu’avec l’ampleur des déficits sociaux et « l’extrême fragilisation de notre protection sociale » le taux de prélèvements obligatoires des administrations de Sécurité sociale tutoie des records. Il a atteint 23,2 % du PIB en 2010 et, selon les prévisions du projet de loi de finances 2012, il pourrait s’élever à 24,% du PIB l’an prochain.

Dans le débat 2012. Le sujet ne pouvait échapper au débat préélectoral. Dans un document rédigé à plusieurs mains avec le patronat (« Approche de la compétitivité française », juin 2011), trois syndicats de salariés (CFDT, CFTC, CFE-CGC) conviennent que « le taux de prélèvements sur le travail peut rester un frein au développement de l’emploi et à l’amélioration de la compétitivité des entreprises, malgré les dispositifs d’allégement mis en œuvre depuis près de vingt ans ». Et, au cours du deuxième débat télévisé de la primaire socialiste, les six candidats ont admis que les cotisations sociales en France étaient trop élevées. Un chiffre est souvent avancé par le patronat pour résumer l’évolution des prélèvements sociaux : au cours de la période 2000-2008, le coût du travail a augmenté de 31,8 %, suivant la courbe ascendante des dépenses de protection sociale. « Depuis la loi Fillon de 2003, il y a un certain fatalisme chez les entreprises », commente un bon connaisseur du sujet.

« Tous les ans, on accentue la pression », clame Bertrand Castagné, président de la commission sociale de la Fédération des entreprises de propreté. Pour lui, le renchérissement annuel du coût du travail pénalise le développement de ce secteur très consommateur de main-d’œuvre : « 80 % du prix de revient est lié à la masse salariale. Lorsque le coût du travail augmente d’au moins 3 points, comme cette année, on perd en marge, en productivité et donc en emplois. » Selon lui, les hausses de charges ont déjà produit leurs effets délétères : pour la première fois en 2009, le secteur a perdu des entreprises (– 2 %) et la progression de l’emploi se tasse (+ 0,9 %).

Cet accroissement inexorable des charges sociales qui renchérit le coût de la protection sociale questionne légalement le bien-fondé ou l’architecture de certains dispositifs.

Famille : sa légitimité en question

Une abondante littérature, nourrie depuis des mois par des rapports, des notes et autres tribunes, donne les clés du débat. Philippe Varin, P-DG de PSA Peugeot Citroën, l’avait parfaitement exposé en janvier dans le quotidien les Échos : « Pour sauver notre industrie, écrivait-il, le levier prioritaire est la baisse des cotisations sociales qui pèsent sur le coût du travail. […] Pas question, bien évidemment, de remettre en cause le principe même des cotisations salariales. Il faut en revanche revoir leur assise, et définir ce qui relève du travail (chômage, retraite) et ce qui n’en relève pas (famille, santé, dépendance, exclusion). Il n’est simplement plus tenable de faire peser l’essentiel du financement de la solidarité nationale sur les seuls salariés. »

Un procès en légitimité est donc fait aux cotisations sociales destinées à abonder la branche famille et qui relèvent des revenus du travail (son financement est assis pour les deux tiers sur la masse salariale). Ces cotisations sont exclusivement payées par l’employeur et leur proportion s’élève à environ 5,6 points de cotisation. « En matière de politique familiale, les allocations familiales et les allocations pour personnes handicapées n’ont objectivement aucun lien avec l’entreprise ou le statut du salarié. En Allemagne, il n’existe pas de branche famille au sein de la sécurité sociale : il s’agit de dépenses qui relèvent du budget de l’État et qui sont entièrement fiscalisées », observe ainsi Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail au Medef.

Certains syndicats ne sont pas loin de penser la même chose et, à l’instar de la CFDT, proposent un élargissement de l’assiette des contributeurs. « On pourrait transférer une partie des cotisations vers la CSG », avance Véronique Descacq, secrétaire nationale CFDT chargée de l’économie et de la protection sociale. « Ce transfert doit s’accompagner d’une réflexion sur l’organisation du travail, notamment sur la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle et le droit de garde : une entreprise choisissant par exemple d’avoir des horaires décalés pourrait être responsabilisée compte tenu des modes de garde qui en découlent », ajoute-t-elle cependant.

Retraite : les ricochets de la réforme

Alors que la dernière réforme des retraites entendait développer l’épargne collective longue, le récent tour de vis budgétaire s’est soldé par une accumulation de mesures pénalisantes pour l’épargne retraite et salariale. Le forfait social focalise notamment les aigreurs. Créée par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2009, cette contribution d’un taux de 2 % à l’origine porte sur l’intéressement, la participation, l’épargne salariale et la retraite supplémentaire, et tient le bon rythme d’une augmentation de 2 points chaque année (soit 8 % en 2012). Si la nouvelle augmentation votée en septembre lors de la discussion sur le collectif budgétaire devrait rapporter 400 millions à l’État, elle sera, selon toute vraisemblance, intégrée par les employeurs dans leur pilotage de la masse salariale. En outre, cela ne devrait pas contribuer à améliorer le taux de couverture en épargne retraite des PME et des TPE, qui plafonne à 25 %. « À l’évidence, cela va à l’encontre du partage de la valeur ajoutée », grince Jean-François Pilliard, délégué général de l’UIMM et président de la commission protection sociale du Medef.

Si le report de l’âge légal de départ à la retraite est censé contribuer à maintenir dans l’emploi les seniors, la réforme devrait aussi, par ricochet, augmenter le coût de la protection sociale. « Il va y avoir un renchérissement du coût des contrats de prévoyance lié à l’accroissement des obligations des assureurs sur les frais de santé et les gros risques tels le décès ou l’invalidité », pronostique Xavier Pignaud, avocat spécialiste de la protection sociale complémentaire. « Si vous continuez d’employer des seniors jusqu’à 62 ans ou plus, il y aura plus de risques qu’ils soient usés, malades ou qu’ils disparaissent », explique en effet Pierre Havet, président de la commission épargne salariale de l’ANDRH, selon qui ce surcoût va se répartir entre les assurances, les assurés et les entreprises.

En maintenant dans l’emploi les seniors, la réforme des retraites devrait aussi augmenter le coût de la protection sociale
Santé : plus de rigueur sur les prestations

Si les complémentaires santé ont bénéficié pendant des années d’un cadre social de faveur, force est de constater que la crise a bouleversé cette donne. Les dispositions réglementaires en application de la loi Fillon, touffues et pléthoriques, selon des observateurs, ont rendu plus difficiles les conditions à remplir pour bénéficier des avantages sociaux et fiscaux de ces dispositifs. C’est même un « véritable calvaire » si on en croit les DRH car, confrontées au durcissement des règles et des principes relatifs aux contrats collectifs et obligatoires, les entreprises sont davantage exposées au « risque Urssaf ». Ainsi, les cabinets d’avocats spécialisés ont vu arriver sur leurs bureaux des redressements de plusieurs dizaines de millions d’euros de quelques stars du CAC 40 ou de la grande distribution. « Il y a énormément d’angles d’attaque », souligne Xavier Pignaud. « Si, pour telle ou telle raison, 10 salariés ne cotisent pas au régime, l’entreprise sera redressée sur la totalité du régime », précise-t-il. Avec, au final, une requalification durable du coût pour l’employeur.

À cela s’ajoute évidemment – réduction des déficits oblige – une hausse des taxes diverses et variées sur les contrats. Depuis 2009, les complémentaires santé ont été grandement mises à contribution, de la création en 2009 d’une taxe de 5,9 % de leur chiffre d’affaires hors taxes destinée à financer la couverture maladie universelle à l’assujettissement des contrats santé dits responsables à la taxe spéciale sur les conventions d’assurance puis son alourdissement à 7 %. Cette dernière taxe, qui a fait hurler le mouvement mutualiste, devant rapporter en année pleine 1,1 milliard d’euros à l’État, et ce dès 2012. Ces mesures, couplées à l’augmentation des dépenses de santé et aux transferts de charges de l’assurance maladie obligatoire vers les complémentaires, induisent une hausse mécanique des cotisations chaque année. Selon Étienne Caniard, le président de la Mutualité française, « celle-ci peut être estimée à 7 ou 8 % ». Dans bien des cas, cette hausse est partagée à parts égales entre les salariés et les entreprises, même s’il arrive à certaines d’entre elles, à l’instar de Veolia Eau, de « faire un effort ». Surtout, bon nombre de grandes entreprises ont mis en place des mécanismes de suivi sur les prestations des régimes afin de jouer sur leur niveau et, le cas échéant, de les raboter. Eiffage, Veolia, la SNCF, Total…, mais aussi les institutions de prévoyance et les mutuelles de santé, disposent ainsi de systèmes de pilotage extrêmement poussés.

Aux yeux de Jean-François Pilliard, « les entreprises seront de plus en plus amenées à avoir une approche globale : rémunération et avantages sociaux. Il y aura des choix à faire entre les salaires de base et les complémentaires santé et prévoyance ». « Il est indispensable de regarder les coûts et les garanties que proposent les complémentaires et de s’attacher à rembourser ce qui est nécessaire », indique pour sa part Véronique Descacq. Tout semble plaider pour une remise à plat du système de protection sociale.

23,2 % du PIB en 2010. C’est le taux de prélèvements obligatoires des administrations de Sécurité sociale. Selon le rapport sur les prélèvements obligatoires du projet de loi de finances 2012, il pourrait atteindre 24 % du PIB.

La compétitivité allemande pour modèle

Puisque l’Allemagne est décidément un horizon indépassable pour la France, la Cour des comptes s’est récemment penchée sur les divergences des deux pays en matière de coût du travail et de compétitivité à l’occasion d’un rapport sur leur fiscalité comparée. Selon la juridiction financière, la politique salariale a contribué à faire de l’Allemagne cette championne de la compétitivité qui fait saliver l’industrie française. Celle-là ayant joué la modération, voire la baisse des salaires (réforme Hartz), avant d’inverser la tendance tout récemment. Mais la politique fiscale a également pesé : les Allemands ont allégé l’impôt sur les sociétés et transféré sur la TVA une partie des cotisations sociales. Pour la Cour, les « évolutions divergentes » des coûts salariaux rendent ainsi « prioritaire » une réflexion en France sur l’« allégement de la taxation du travail ».

Sans minorer le poids des coûts salariaux dans le déficit de compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne, Philippe Weil, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques, insiste, lui, sur le retard pris dans l’internationalisation et la recherche-développement dans l’Hexagone. « La baisse récente du coût unitaire du travail en Allemagne n’a fait que renforcer cet avantage mais il n’en constitue pas l’essentiel. La compétitivité à moyen et à long terme dépend plus de la productivité, c’est-à-dire de l’investissement et de l’innovation, que des coûts salariaux. »

31,8 % entre 2000 et 2008 C’est l’augmentation du coût du travail (Insee, février 2011).

2 points C’est la hausse annuelle du forfait social depuis sa création en 2009.

1,1 milliard d’euros C’est ce que devrait rapporter à l’État en année pleine l’alourdissement de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance.

7 à 8 % par an C’est la hausse probable des cotisations aux complémentaires, selon la Mutualité française.

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  • Grégory Danel