logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Merci de nous dire si vous êtes handicapé

Politique sociale | publié le : 01.11.2011 | Olivier Durand

Pour remplir leur obligation d’emploi de 6 %, de plus en plus d’entreprises encouragent leurs salariés qui taisent leur handicap à le déclarer.

Faire son outing ou pas ? Depuis un an, les 170 consultants de KLB Group en France reçoivent, avec leur fiche de paie, une lettre d’information qui les invite à déclarer leur handicap. Comme de nombreuses entreprises, ce cabinet de conseil qui participe toujours à la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées (qui se déroule cette année du 14 au 20 novembre) cherche à sensibiliser les salariés en interne, à recruter davantage de personnels handicapés, mais aussi à puiser dans le vivier de salariés encore non déclarés.

Et cette dernière option se développe. Car remplir l’obligation légale de 6 % de salariés handicapés dans les effectifs, sous peine de devoir s’acquitter d’une pénalité financière (voir chiffres page 38), n’est pas chose aisée. Seules 57 % des entreprises y répondent, selon l’Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). Mais difficile de convaincre les salariés quand nombre d’entre eux, déjà bien intégrés, cherchent à dissimuler leur handicap. Francis Bergeron, DRH groupe de SGS, en témoigne avec l’exemple d’une collaboratrice qui, à l’occasion d’un simple changement de coupe de cheveux, « dévoile incidemment un appareillage auditif jusque-là invisible » et, du même coup, sa surdité. Ce groupe mondial de contrôle et de certification teste l’incitation financière. L’accord de groupe en faveur de l’emploi des personnes handicapées stipule qu’une « aide fixée à 700 euros brut est versée » à chaque salarié reconnu travailleur handicapé. En dix-huit mois, 20 personnes ont franchi le pas.

Une démarche personnelle. Lydia David-Duluc, responsable de la RSE à la BPCE, avance pour sa part que « les dispositifs incitatifs ne fonctionnent pas toujours » et que « le processus de reconnaissance est une démarche personnelle et peut être le résultat d’un dialogue avec le médecin du travail, l’assistant(e) social(e) et le référent handicap qui alertent le collaborateur de la nécessité de sa mise en place ». De son côté, Veolia Propreté « maintient le lien avec ses collaborateurs en arrêt de longue durée », déclare Valérie Guinet, responsable de la mission handicap. « Sans interférer avec la sphère privée, cela doit permettre d’anticiper d’éventuelles restrictions d’aptitude, envisager une éventuelle reconnaissance de handicap et mettre en place des mesures compensatrices s’il y a lieu. » L’entreprise cherche à sensibiliser l’ensemble de ses salariés : elle leur adresse, avec la feuille de salaire, une brochure avec un formulaire de réponse qui explique la procédure et ses avantages. Les vingt-quatre derniers mois furent un bon cru avec 226 reconnaissances, à mettre en regard des 229 recrutements.

Chez KLB, en revanche, si les actions de sensibilisation au handicap (avec jeux, quiz, défis…) fonctionnent bien, personne, en interne, ne s’est encore signalé à la direction. « Nous n’avons peut-être pas encore trouvé les mots justes », plaide Julie Garnier, DRH France de KLB Group, qui offre aux salariés qui se déclarent une journée de congé afin d’effectuer toutes les démarches de reconnaissance. « Mais, bien sûr, cela va au-delà. Nous en avons discuté avec les organisations syndicales qui considèrent également qu’il y a un intérêt à ce que les salariés handicapés soient identifiés. Nous pouvons ensuite les accompagner, aménager un poste ou des horaires afin qu’ils puissent plus facilement suivre un traitement médical… »

Reste qu’il faut vaincre de fortes réticences. « Déclarer un handicap dans son CV divise par 14 la probabilité d’être convoqué à un entretien de recrutement par rapport à une personne valide », rappelle François Atger, directeur de la communication de l’Agefiph. Lenteur, moindre productivité, voire « incompétence à occuper un emploi », comme le résume une étude de l’IMS-Entreprendre pour la cité, sont des croyances persistantes. Un salarié handicapé qui vit caché échappe à ces préjugés ainsi qu’à bien des tracas quotidiens, qu’il s’agisse de souscrire un emprunt ou d’acheter un logement. Pour de nombreuses entreprises, la solution consiste surtout à agir très en amont. Ernst & Young France procède à 1 000 recrutements par an, la plupart au niveau bac + 5, et comptabilise seulement 11 salariés handicapés. « Le recrutement de personnes handicapées est une priorité ; pourtant, il est difficile de trouver les profils correspondant à nos exigences de compétences et de diplômes », constate Laure Bruère-Dawson, responsable de la mission handicap. En France, 1,8 % des personnes handicapées atteignent le niveau bac + 3, contre 10,3 % pour la population valide.

Agnès Kerecki, responsable à l’Essec des partenariats entreprises et développement et coréférente handicap, reconnaît que « peu de collégiens ou de lycéens handicapés se sentent capables de poursuivre des études supérieures ». Depuis 2009, avec son programme Phares – « par-delà le handicap, avancer et réussir ses études » – destiné aux collégiens de troisième et aux lycéens handicapés, l’Essec tente de lever l’obstacle de l’autocensure. Les recrues, accompagnées par des étudiants volontaires de l’Essec, au moins jusqu’à la terminale, alternent tutorat individuel, séances hebdomadaires par petits groupes et ateliers spécialisés.

En France, seulement 1,8 % des personnes handicapées atteignent le niveau bac + 3

Salariés tuteurs. De son côté, Ernst & Young s’appuie sur le programme de tutorat d’étudiants de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (Arpejeh) pour mettre ses troupes au contact des réalités du handicap. Dix binômes sont déjà à l’œuvre. Les tuteurs volontaires endossent leur rôle à l’issue d’une journée de formation à l’accompagnement. « L’expérience fait sens avec notre problématique d’emploi », souligne Laure Bruère-Dawson, tutrice d’Abdel, déficient visuel, étudiant en master d’AES.

Le groupe O2, spécialiste des services à la personne, qui entend recruter 200 travailleurs handicapés en deux ans – et qui en a déjà intégré 97 –, a mis en place tout un plan d’action. Reportings mensuels et remise des trophées Hanploi, pour les agences dynamiques, rythment la vie de l’entreprise. « Cela favorise l’émulation », assure Jean-François Auclair. Mais les habitudes ont la vie dure. « Cela se vérifie dans le traitement des candidatures », poursuit le DRH, qui veut en « tester la chaîne avec de faux CV ». Lever les obstacles au changement nécessite un regard extérieur, parfois décalé. O2 recourt au théâtre. « Visuel, il interpelle les collaborateurs », explique Marialya Bestougeff, la directrice commerciale de Decommedia, spécialisé dans le théâtre d’entreprise. « Nous collons à la réalité, les saynètes, rédigées à partir de verbatim recueillis auprès de managers, responsables de mission handicap, personnes handicapées, s’appuient aussi sur l’expertise de spécialistes et de consultants. » Pour maintenir la vigilance des spectateurs, une sonnette « bienveillante » tinte chaque fois qu’un comportement discriminant est joué. Les actions théâtrales répondent à un questionnement et à des demandes spécifiques des entreprises. « Participatives, elles favorisent une réflexion commune pour déboucher sur une réponse collégiale », ajoute Marialya Bestougeff.

L’humour est aussi un outil d’ouverture. « Sans forcer le trait, il dédramatise et lève le sentiment de malaise et de maladresse », estime Jérôme Adam, qui en a fait son allié. Atteint de cécité depuis ses 15 ans, il confie avoir souffert du « regard des autres, de l’image et des préjugés qu’ils avaient et [lui] renvoyaient ». Fin 2010, il fonde avec Guillaume Buffet, expert en stratégie Internet, un blog baptisé Jencroispas­mesyeux.com. Il présente, pour le moment, 12 courts-métrages, « financés par les entreprises partenaires pour être diffusés auprès de leurs collaborateurs ». L’humour, pour lui, « représente un formidable instrument de recrutement pour les entreprises partenaires puisqu’il attire l’attention sur elles ». Le site comptabilise plus de 500 000 visionnages.

Intégrer la différence « revient à recevoir chacun tel qu’il est et à l’amener au meilleur de lui-même avec ses propres compétences », explique Antoine de Gabrielli, à la tête de Companieros, spécialisé dans la responsabilité sociale de l’entreprise. Une démarche qui, selon Guy Tisserant, cofondateur de TH Conseil, spécialisé dans l’emploi des personnes handicapées, « doit amener à se questionner sur son management, pour dépasser le modèle classique, égalitariste et standardisé, antinomique avec la gestion de la singularité ; c’est un laboratoire d’innovation sociale au bénéfice de tous ».

2,6 % soit 284 000 personnes, c’est le taux d’emploi réel des travailleurs handicapés dans le privé alors que l’obligation est de 6 % de l’effectif (au-dessus de 20 salariés).

1 500 smics horaires multipliés par le nombre de personnes handicapées non embauchées, c’est la pénalité encourue par les entreprises qui ne respectent pas leur obligation.

5,9 % C’est le nombre de travailleurs handicapés parmi les demandeurs d’emploi (en décembre 2010). Soit 257 121 personnes.

Auteur

  • Olivier Durand