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Idées

Faut-il assouplir les règles relatives aux groupements d’employeurs ?

Idées | DÉBAT | publié le : 01.11.2011 |

La loi du 28 juillet 2011 permet aux entreprises de plus de 300 salariés d’adhérer à des groupements d’employeurs. Un sujet de querelle entre les partenaires sociaux, auxquels le législateur avait laissé jusqu’au 1er novembre pour conclure un accord interprofessionnel ad hoc.

Aline Jacquet-Duval Avocate en droit social et présidente de l’Union des groupements d’employeurs de France

Bénéficier de compétences pointues à temps partiel, ajuster au mieux ses effectifs, mener des missions de longue durée, tels sont les avantages principaux pour l’entreprise adhérant à un groupement d’employeurs. Être embauché à temps plein et en CDI, multiplier les expériences, conduire des missions variées tout en étant salarié, choisir son temps de travail et le concilier avec sa vie familiale, tels sont les bénéfices pour les salariés mis à disposition. La mission du groupement consiste à mailler des emplois à temps partiel pour en faire des emplois à temps plein ou à trouver des missions successives, notamment pour les saisonniers. Les avantages de cette mise à disposition légale sont bien connus par les PME qui forment l’essentiel des adhérents des groupements. Mais les entreprises de plus de 300 salariés rencontrent le même type de problèmes. Pour développer l’emploi, il faut démultiplier le dispositif. La loi du 27 juillet 2011 permet maintenant aux entreprises de plus de 300 salariés d’adhérer à un ou plusieurs groupements. C’est une avancée très sérieuse pour les entreprises, pour les salariés des groupements et pour les groupements eux-mêmes. Les groupements, fruit de la bonne volonté et de la philosophie de solidarité de dirigeants de petite entreprise, ont besoin de structures et de supports pour développer harmonieusement leurs activités : l’appui d’entreprises déjà organisées permet de construire un groupement très professionnel et de garantir sa pérennité comme la sécurité des salariés. À cet égard, l’engagement sociétal des grandes entreprises peut trouver là à s’exercer pour développer, par le biais des groupements, des contrats de transition professionnelle.

Les entreprises sont confrontées à la double difficulté qui consiste à gérer au plus près de leurs carnets de commandes mais sans embaucher de manière pérenne parce qu’elles ne veulent pas avoir à conduire des PSE démotivants et onéreux. Elles ont recours parfois massivement à l’intérim et aux CDD pour pourvoir des postes permanents. Mais, dans ces configurations, le salarié demeure précaire, n’a pas accès à la formation ou très difficilement, ne peut acquérir son logement et ne bénéficie d’aucun avantage social. Le groupement peut répondre en partie à ces problèmes par la sécurité qu’il apporte aux salariés et la nécessaire flexibilité qu’il procure aux entreprises.

Arnaud de la Tour Président du Prisme

Groupements d’employeurs et agences d’emploi ont des activités complémentaires bien qu’ils répondent à deux logiques différentes. Pour les premiers, il s’agit de partager des salariés entre plusieurs entreprises adhérentes, généralement des PME ou des TPE qui, financièrement, ne peuvent supporter les charges d’une embauche et qui n’ont pas besoin d’un salarié à temps plein. Pour les secondes, la logique est celle de la mise à disposition de personnel intérimaire dans des entreprises clientes. Or, depuis quelques années, on a vu apparaître les dérives de certains groupements d’employeurs qui réalisent des mises à disposition de personnel en réponse à des besoins ponctuels en proposant les mêmes services que ceux des agences d’emploi. Le nouveau dispositif de la loi Cherpion qui assouplit le recours aux groupements d’employeurs va aggraver cette situation. Nous ne sommes pas favorables à ces mesures qui positionnent les groupements dans une situation de concurrence déloyale à l’égard des agences d’emploi sans que les contraintes légales et réglementaires de l’intérim ne leur soient applicables. Il y a à notre avis trois dispositions contestables dans la loi Cherpion. Tout d’abord, pour les entreprises de plus de 300 salariés, l’adhésion à plusieurs groupements sans négociation d’un accord collectif risque de fragiliser les garanties accordées aux salariés mis à disposition. Je rappelle à ce propos que les salariés intérimaires disposent de garanties conventionnelles (prévoyance, formation et action sociale) mutualisées au sein de la branche.

Ensuite, l’adhésion à plusieurs groupements d’employeurs signifie que le groupement devient une structure de recrutement de personnel comme l’est l’agence d’emploi. On n’est plus alors dans la logique de partage de salariés. Enfin, le législateur ne se prononce pas sur le type de contrat de travail des salariés d’un groupement d’employeurs. Le risque est alors grand de les voir recruter des salariés en CDD pour des durées très courtes, comme c’est déjà le cas dans certains secteurs d’activité. Il s’agit là encore d’une concurrence déloyale. C’est pourquoi le CDI doit rester la norme et le CDD l’exception, en cas de remplacement d’un salarié par exemple. Nous attendons beaucoup de la négociation interprofessionnelle qui devait se terminer fin octobre et permettre de déroger aux dispositions de la loi Cherpion.

Lise Casaux-Labrunée Professeure à l’Université Toulouse 1 Capitole

Les groupements d’employeurs, qui ont plus de vingt-cinq ans, n’ont jamais eu le succès qu’ils méritent, en dépit de leur indéniable intérêt. Si le gouvernement souhaite véritablement exploiter le gisement d’emplois que ces groupements recèlent, avant de retoucher une nouvelle fois le dispositif déjà remanié à maintes reprises, il faut d’abord s’interroger sur les raisons de cet insuccès pour en tirer les conséquences. Trois viennent à l’esprit. La première tient à l’équilibre général de cette forme d’emploi. Si la formule est attractive pour les salariés (stabilité de l’emploi, notamment), il n’est pas sûr qu’elle le soit autant pour les entreprises. La question de la responsabilité solidaire des membres du groupement est à retravailler d’urgence : pour nombre d’entreprises, le fait de savoir qu’elles auront peut-être à payer les dettes des autres membres du groupement constitue un véritable épouvantail. La fiscalité applicable à ces groupements doit également être adaptée : il faudrait être plus clair sur le caractère lucratif ou non de l’activité de ces organismes voués au développement de l’emploi, au-delà des besoins des entreprises adhérentes.

Une deuxième raison tient aux exigences portant sur le statut conventionnel des salariés concernés. Plutôt que le méli-mélo juridique actuel, et au lieu du débat consistant pour les partenaires sociaux à se demander s’ils doivent ou non revenir sur la loi Cherpion du 28 juillet 2011, mieux vaudrait sans doute mettre en place le seul vrai chantier de négociation qui vaille pour ce secteur : un accord national interprofessionnel qui « invente » un statut spécifique pour les salariés de ces groupements qui sont, à maints égards, en situation particulière : un seul employeur, plusieurs entreprises et lieux de travail, un temps partagé… Il y a probablement inspiration à trouver dans la convention collective du travail temporaire qui régit également des salariés en situation de mise à disposition. Enfin, il y aurait beaucoup à dire sur la politique « marketing » du gouvernement lorsqu’il invente de nouvelles formes d’emploi. Les groupements d’employeurs sont des « parents pauvres » de ce point de vue. Une campagne de communication serait utile pour expliquer la logique des GE, pour insister sur leur intérêt, qui déborde largement le cadre de l’agriculture. Attention cependant à ne pas commencer par le plus facile. Si l’on veut agir efficacement pour l’emploi, il faut d’abord perfectionner le dispositif avant de diriger sur lui les projecteurs.