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Enquête

Les trappes à vulnérabilité

Enquête | publié le : 01.11.2011 | A.-C.G.

Aux plus diplômés, la perspective d’un déclassement insatisfaisant. Aux moins qualifiés, le chômage de longue durée. Deux réalités que la crise amplifie.

Je suis arrivée au mauvais moment ! » À 32 ans, Laura, double diplômée en droit des affaires et en management, baisse les bras. Elle est entrée sur le marché du travail en 2009 après un doctorat. Au pire moment de la crise. Son rêve : devenir avocate d’affaires. « Mais les recrutements sont rares. » Et les abus criants dans son secteur. « Les cabinets d’avocat vous proposent un contrat de collaboration libérale. Théoriquement vous travaillez sur les dossiers d’un avocat et vous avez du temps pour développer une clientèle. Dans la réalité, vous travaillez cinquante heures par semaine, pour 1 000 euros mensuels, sans développer quoi que ce soit, et surtout sans protection sociale. » Après deux ans de recherches infructueuses, elle jette l’éponge. « Les jeunes diplômés qui arrivent aujourd’hui sur le marché du travail sont plus intéressants à recruter. » Elle lorgne des boulots sous-qualifiés. « Hôtesse d’accueil, vendeuse, n’importe quoi pour décrocher un CDI et commencer à cumuler des droits à la formation. » Car Laura veut se réorienter et décrocher un contrat en alternance pour devenir prof de fitness.

L’histoire de Laura est loin d’être un cas isolé. Elle est même emblématique d’une génération de jeunes diplômés qui se sentent sacrifiés et surtout englués dans une précarité qu’ils ont cherché à tout prix à éviter. « On s’est fait avoir, tempête Ophélie Latil, porte-parole de Génération précaire. On a fait des études parce qu’on nous assurait qu’un diplôme serait le plus fort barrage contre le chômage. Résultat, on galère. Ce qui nous unit au sein du mouvement, c’est cette déception à l’égard du travail. » Une déception qui, pour cette génération, laisse des traces. Car les jeunes diplômés qui n’ont eu d’autre choix que de se déclasser pour intégrer le marché du travail ne rattrapent pour ainsi dire jamais leur retard en matière de salaire. « La société envoie à ces jeunes une injonction à l’autonomie à laquelle ils ne peuvent pas se conformer. En France, les jeunes croient de moins en moins au diplôme mais de plus en plus à leur capacité à s’en sortir individuellement. Parmi les plus défavorisés, certains ont perdu l’espoir d’être intégrés », explique Cécile Van de Velde, sociologue et maître de conférences à l’Ehess.

La meilleure protection contre le chômage. Reste que le diplôme est encore en France la meilleure protection contre le chômage. Le bizutage est loin d’être réservé aux seuls diplômés. Les études du Cereq montrent que la crise a d’autant plus d’impact sur la qualité de l’insertion professionnelle que les jeunes sont moins qualifiés. « Les grosses difficultés se concentrent sur certaines catégories de débutants : les jeunes peu ou pas diplômés et en particulier les jeunes femmes. Au cours des années 2000, les conditions d’insertion des jeunes sortis précocement du système scolaire se sont notablement dégradées », souligne Virginie Mora, du Cereq. Les chiffres sont implacables : 29 % des jeunes sans diplôme de la génération 1998 étaient au chômage au bout de trois ans de vie active. Ce taux a explosé pour la génération 2007 avec 40 % des jeunes au chômage trois ans après leur arrivée sur le marché du travail. Et le temps partiel ne cesse, lui aussi, de gagner du terrain depuis 2006. À l’époque, « si quelques transitions du temps partiel vers le temps plein étaient enregistrées, elles disparaissent à partir de 2008, de sorte que l’emploi à temps partiel permanent se développe sur la dernière période », note ainsi le CEE. Le risque : une irréversibilité du chômage et de la pauvreté pour ces jeunes sans qualification. Selon l’Observatoire des inégalités, en 2008, les moins de 30 ans représentaient la moitié des personnes pauvres.

Victorine, 21 ans, stagiaire de longue durée

À 21 ans, trois années de prépa littéraire et deux masters de l’Ehess en poche, Victorine a près de deux ans de travail à son actif dans le milieu de la culture. « Des stages pour lesquels je ne cotise rien et qui jamais ne débouchent sur un emploi. À chaque fois, il s’agissait pourtant d’un vrai travail », tempête la jeune femme, membre de Génération précaire. À choisir, elle aurait préféré faire moins d’études. « On vous rabâche tellement qu’il vaut mieux être diplômé pour trouver un travail. » Son ambition : être commissaire d’exposition ou chargée de production. Pour vivre, elle poursuit les stages rémunérés 417 euros par mois, comme le veut la loi. « J’ai même fait un service civique. J’étais mal à l’aise car je prenais la place d’un jeune moins diplômé, mais j’avais besoin d’argent. » D’un squat elle est passée à un 23 mètres carrés, à Paris. « Pour 600 euros par mois. Je touche 200 euros d’APL, mes parents me donnent 100 euros et me paient mon forfait de téléphone. » Elle fait du baby-sitting, participe au démontage de scènes après les spectacles. « J’ai du mal à trouver le temps de chercher un vrai travail en CDI. Et maintenant, je commence à être concurrencée par les jeunes qui suivent la même formation que moi. »

A.-C.G.

515 000 jeunes ont été accueillis pour la première fois dans les missions locales en 2009, soit une hausse de 10 % par rapport à 2008.

1 268 000 jeunes ont été en contact avec le réseau des missions locales.

Source : Dares, mars 2011.

Auteur

  • A.-C.G.