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Enquête

À l’étranger aussi, le CDI est un Graal

Enquête | publié le : 01.11.2011 |

Les formes sont différentes selon les pays, et les tendances plus ou moins accentuées, mais l’essor des temps partiels, minijobs, CDD de courte durée ou contrats d’intérim est une réalité partagée. Partout la précarité se développe.

ESPAGNE

La précarité permanente

Mar Beneyto respire. Un CDD de trois mois… c’est déjà ça ! Temporaire peut-être, oui, mais c’est un emploi. Spécialiste de l’organisation événementielle, elle court après les contrats depuis que l’agence madrilène pour laquelle elle travaillait a fermé, il y a deux ans. « Avec 5 millions de chômeurs, tout est revu à la baisse, plus personne ne se préoccupe de la stabilité ou de la qualité de l’emploi mais d’avoir un job », note-t-elle.

La précarité est devenue le lot commun des nouveaux embauchés : seuls 6 % des contrats signés chaque mois sont à durée indéterminée. Les autres 94 %, l’immense majorité, sont des contrats temporaires, souvent de durée très courte. On ne compte pas le nombre de cas où les contrats arrivent systématiquement à expiration le vendredi, quitte à réembaucher les mêmes le lundi ou au retour de vacances pour économiser à l’entreprise le repos du week-end, dénoncent les syndicats. Vivre au rythme des contrats précaires n’est pas une nouveauté en Espagne. « La crise des années 80 a ouvert les portes à la temporalidad [la précarité espagnole, NDLR]. Le CDD a été le mécanisme d’entrée sur le marché du travail », explique le sociologue Luis Garrido, professeur à l’université Uned.

Les années de boom économique n’ont pas corrigé la tendance, au contraire : il y a quatre ans, 35 % de l’emploi était temporaire en Espagne. Le système productif, largement fondé sur la construction, était demandeur de main-d’œuvre abondante et peu qualifiée. La précarité était plus vécue comme flexibilité que comme un phénomène inquiétant. « Aujourd’hui, les contrats précaires ne représentent plus que 25 % des contrats de travail, souligne Paloma Lopez, responsable de secrétariat à l’emploi pour le syndicat Commissions ouvrières (CCOO). Mais ce n’est pas le signe d’une amélioration, au contraire : cela montre qu’avec le retournement de conjoncture l’ajustement s’est fait sur le dos des temporaires. Cette population a été la première à sortir. » En 2006, une loi essayait de réguler les abus en limitant l’enchaînement des CDD, obligeant les entreprises à embaucher au bout de vingt-quatre mois de contrats temporaires cumulés dans une période de trente mois.

Le gouvernement est revenu dessus en septembre, suspendant la mesure jusqu’en 2014. Les syndicats sont montés en vain à l’offensive pour défendre une « génération sacrifiée, condamnée à la précarité ». « Nous préférons un temporaire à un chômeur », a expliqué succinctement le ministre de l’Emploi, reconnaissant l’impasse dans laquelle se trouve le marché du travail.

Cécile Thibaud, à Madrid

ALLEMAGNE

Jeunes en CDD

IG Metall met le paquet pour que les apprentis de son secteur soient embauchés à plein temps et en CDI. Vingt mille jeunes gens se sont ainsi réunis le 1er octobre à Cologne, pour la plupart des apprentis en formation dans les secteurs de l’automobile, de la métallurgie et de l’électrotechnique. Ils veulent plus de « sécurité professionnelle » et viennent soutenir la campagne « Opération embauche » lancée par le syndicat et qui sera au cœur des prochaines négociations collectives de février 2012 : « La crise n’a pas vraiment changé les tendances. Depuis une dizaine d’années, on ne note qu’une très légère érosion du CDI. La durée moyenne d’un contrat de travail, environ dix ans, reste assez constante. En revanche, dans la même période, on est passé d’une proportion d’un tiers de CDD pour deux tiers de CDI lors d’une nouvelle embauche à une proportion de 50-50 aujourd’hui. Les jeunes commencent donc beaucoup plus souvent qu’avant leur vie professionnelle avec un CDD », explique Sabine Klinger, experte de l’Institut d’études sur le travail et la formation professionnelle (IAB).

Cette tendance s’est renforcée après 2005 avec l’entrée en vigueur des lois Hartz du gouvernement de Gerhard Schröder pour flexibiliser le marché de l’emploi. Les employeurs n’ont plus eu à motiver la signature d’un CDD, qui peut durer jusqu’à deux ans mais reste, en principe, non renouvelable : « On peut renouveler un CDD pour remplacer en urgence un collègue malade ou une collègue enceinte, détaille Johannes Jakob, spécialiste de l’emploi à la Confédération des syndicats allemands. Dans les faits, il existe de nombreuses méthodes pour renouveler un CDD, par exemple en transférant les salariés en CDD vers une filiale. Aujourd’hui, sur 31 millions de salariés, nous avons 2,7 millions de personnes en CDD, contre 1,89 million en 1998. L’augmentation est légère. Ce qui veut dire qu’en général, si on commence avec un CDD, on continue quand même en CDI ; enfin, cela dépend un peu du secteur. » Dans la métallurgie, la proportion de jeunes embauchés en CDD se voyant offrir un CDI est de 60 à 80 % selon les régions. Dans le secteur des services, elle descend en revanche sous les 50 %.

Mais CDI ne signifie pas sécurité professionnelle. Surtout lorsqu’on en décroche un parmi ces 7 millions de « minijobs » qui rapportent 400 euros par mois pour vingt heures de travail hebdomadaires : « Si l’emploi en CDI n’a que modérément reculé, le sentiment d’insécurité, lui, a en revanche fortement augmenté », souligne Sabine Klinger.

Thomas Schnee, à Berlin

GRANDE-BRETAGNE

Flexibilité à tous les étages

Le Royaume-Uni est sans doute le marché mondial de l’emploi où l’utilisation de l’intérim est la plus étendue. » Patrique Habboo, l’un des responsables de la société de recrutement Boyden Interim, spécialiste de l’intérim des postes à haute responsabilité, est explicite sur ce point : « Des emplois non qualifiés jusqu’aux postes de managers, les entreprises utilisent désormais de nombreux intérimaires. » Il insiste également sur le fait que la plupart des personnes qu’il place ont choisi de travailler en intérim. « Elles sont bien rémunérées et aiment les nouveaux défis. »

Ce point de vue est tempéré par Alan Manning, professeur d’économie à la London School of Economics and Political Science : seule la moitié des détenteurs d’emploi temporaire vise un emploi à durée indéterminée. « Ces emplois se limitent généralement encore aux métiers qui connaissent des fluctuations saisonnières, comme l’agriculture, ou des variations d’activité, comme les magasins pendant Noël. » Et n’ont pas le niveau de rémunération des postes de managers.

À la fin août, le Royaume-Uni comptait 2,51 millions de sans-emploi et 1,28 million de travailleurs à temps partiel ou intérimaires, soit 4,3 % des employés, un chiffre record depuis le début du calcul de cette statistique en 1992. Patrique Habboo n’en est pas surpris. Il se souvient que, « lors de la crise post-11 septembre 2001, tous les emplois avaient plongé, intérimaires ou pas. Aujourd’hui, les entreprises continuent à embaucher car elles restent optimistes quant à leurs débouchés mais, ayant une visibilité limitée, elles ne veulent pas prendre de risque et usent de flexibilité au cas où le projet commercial nécessitant ladite embauche ne se conclurait pas ». Selon lui, il ne fait aucun doute que la législation britannique favorise la flexibilité : cinq jours ouvrés suffisent pour employer un manager, et le contrat à durée limitée permet de ne pas payer d’indemnités à l’issue de celui-ci. Pour le professeur d’économie à la LSE, « cela prouve qu’il n’existe pas de différence fondamentale dans la loi entre un contrat à durée limitée et un contrat à durée illimitée : un employé en CDI licencié aura droit à une indemnisation faible [en moyenne une semaine de salaire par année travaillée, NDLR] et la durée du préavis varie entre une semaine et trois mois ».

CDI ou pas, les contrats sont donc précaires. Surtout que, quel que soit le salaire de l’employé avant son licenciement, l’allocation chômage se limite aujourd’hui à 67,50 livres par semaine, soit 336 euros par mois.

Tristan de Bourbon, à Londres

Dans l’ADN américain…

Le CDI, le Saint Graal de l’emploi en France, a très peu d’intérêt aux États-Unis… car l’employeur peut licencier dans la minute et se passer dans la foulée des lourdes indemnités de départ. Ses obligations légales sont réduites au minimum. La précarité fait partie du paysage américain. Et la récession n’a fait qu’accentuer la fragilité des plus démunis. Selon les derniers chiffres du Bureau of Labor Statistics (BLS), le chômage concerne 14 millions d’Américains, soit 9,1 % de la population. Et 6 millions de ces sans-emploi, soit 43 % du total, pointent au chômage depuis au moins vingt-sept semaines. Les salariés n’arrivant pas à trouver des pleins-temps ont finalement accepté des temps partiels. D’autres ont vu leur nombre d’heures réduit. En un an, le nombre des temps partiels est ainsi passé de 8,4 millions à 8,8 millions. La catégorie « marginalement » attachée à la force de travail est aussi en hausse. Les intéressés ont cherché un emploi dans l’année mais, devant le peu d’intérêt suscité par leur candidature, ils se sont découragés. Pour le BLS, ils sont 2,6 millions, soit 200 000 personnes de plus qu’un an plus tôt.

La précarité touche de plus en plus de monde.

Ainsi, les jeunes diplômés ayant décroché un bachelor au bout de quatre ans d’études supérieures trouvent de plus en plus difficilement un emploi correspondant à leur savoir-faire. En 2010, 1,9 million de jeunes diplômés étaient « mal employés », réduits à jouer les garçons de café, baby-sitters ou autres métiers ne réclamant pas une formation supérieure. Les mal-employés sont en hausse de 17 % depuis 2007. Et même certaines études qui devaient assurer un avenir radieux s’avèrent aujourd’hui décevantes. Les jeunes avocats se voient proposer depuis peu des postes payés moitié moins chers. Le salaire de départ dans les grands cabinets se situait habituellement aux alentours de 160 000 dollars l’année. Pour réduire leurs frais, certains cabinets offrent aujourd’hui des postes d’associés à 60 000 dollars. Sans perspective d’avenir.

Caroline Crosdale, à New York