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Vie des entreprises

Patron cherche toit pour ses salariés

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.10.2011 | Emmanuelle Souffi

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Montants d’épargne salariale distribués (en milliards d’euros)

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Aide au loyer, caution, assurance… Face à la crise du logement et aux carences des institutions, des patrons se mobilisent. En jeu : l’équilibre et la mobilité des salariés.

Des salariés contraints de dormir dans leur voiture ou squattant à droite à gauche, Yann Orpin en croise de plus en plus. Inadmissible pour le patron de Cleaning, une entreprise de nettoyage de la banlieue lilloise, qui se fait un devoir de les aider à trouver un toit stable. Question de performance… mais pas seulement. « Je ne suis pas assistante sociale, juste entrepreneur. Quelqu’un qui n’est pas bien chez lui n’est pas bien à son travail, coupe-t-il. C’est de la solidarité. Dans un monde individualiste, je veux juste créer du lien. »

Avec l’envolée des prix de la pierre, ses employés, souvent embauchés au smic et à temps partiel, connaissent les pires difficultés pour se loger. Alors, il n’hésite pas à décrocher son téléphone pour mettre la pression sur Vilogia, son organisme de 1 % logement, ou activer son réseau. L’an passé, 50 % des demandes ont été satisfaites. Dernièrement, ce gérant tenace a déniché en quinze jours un logement à une salariée victime de violences conjugales. Via la Caisse solidaire du Crédit mutuel, il se porte également caution morale pour ceux qui empruntent afin d’acheter ou de réaliser des travaux. Argument massue pour la banque : 100 % des crédits alloués ont été remboursés.

Les initiatives de ce type se multiplient ces derniers mois. Épiphénomène réservé hier aux grandes sociétés désireuses d’attirer et de fidéliser les meilleurs, les aides au logement se démocratisent. Car la crise immobilière touche tout le monde. Cadres et non-cadres, communes rurales ou grands centres urbains. « Il manque de 900 000 à 1 million de logements en France ! s’alarme Michel Mouillart, professeur d’économie à Paris Ouest. Partout les dispositifs d’aide à la recherche d’offres locatives se renforcent. »

Les groupes se structurent et créent des départements dédiés. Dernièrement, L’Oréal SA (600 salariés en Ile-de-France) et Total ont signé des accords collectifs plutôt innovants et généreux. Si Phone Régie se porte caution de ses collaborateurs franciliens, le géant des cosmétiques prend en charge depuis septembre l’assurance qui garantit le propriétaire contre les risques d’impayés. Chez Eiffage Travaux publics Var et Securities Services-Fund Services, une filiale de BNP Paribas, c’est le comité d’entreprise qui verse cette aide salutaire qui dispense les salariés de trouver un garant. Plutôt incitatif pour le bailleur, ce financement ne s’applique qu’aux loyers ne dépassant pas 1 000 euros chez Eiffage. Pour le CE, le coût varie entre 20 et 40 euros par mois et par foyer.

Jeunes recrues d’abord. Dans son accord signé le 12 mai par tous les syndicats, le pétrolier cible quant à lui les jeunes recrues, premières victimes des exigences parfois délirantes des propriétaires. En plus de garantir les loyers à hauteur de 1 500 euros maximum, Total contribue partiellement à leur paiement. En fonction de la localisation (Paris ou province) et de la situation de famille (enfant ou non), l’effort peut atteindre 5 076 euros sur trois ans. Pour éviter les effets d’aubaine, il est limité aux seuls embauchés depuis le 1er juin pour au moins un an et dont le salaire ne dépasse pas 33 750 euros brut annuels. « Nous souhaitons contribuer à une meilleure intégration dans le groupe grâce à des dispositifs permettant de rapprocher le domicile du travail et donc de diminuer le temps de transport, la fatigue, la pollution… », égrène Virginie Lalanne, responsable du département relations du travail. Quant aux heureux propriétaires, Total rembourse 50 % des intérêts de leur emprunt immobilier, jusqu’à 60 000 euros, majorés de 30 000 euros pour les moins de 35 ans, les familles et les handicapés.

Sans avoir la même assise financière, les PME ne sont pas en reste et multiplient les – parfois gros – coups de pouce. Comme Axon’ Cable, un sous-traitant de 650 salariés à Montmirail, dans la Marne, un département surtout pourvu en villas spacieuses et onéreuses. Bref, inadaptées à des jeunes. Alors, pour éviter qu’ils ne rebroussent chemin, la société loue des appartements qu’elle leur propose ensuite à un prix inférieur à celui du marché. Loïc Rigault, lui, réhabilite le logement ouvrier des patrons du XIXe siècle ! Il a carrément fait construire un coquet immeuble de 22 appartements à 200 mètres de son hypermarché Leclerc (voir ci-contre)! Coût de l’opération 2 millions d’euros.

L’idée lui est venue en 2008 quand le baril de pétrole était au plus haut et que ses salariés, contraints à s’expatrier pour payer des loyers moins élevés, passaient de plus en plus de temps dans leur voiture. Signe que les institutions voient d’un mauvais œil l’interventionnisme des employeurs dans leur domaine réservé, Loïc Rigault a dû batailler ferme pour obtenir l’agrément de la Caisse d’allocations familiales à l’allocation pour le logement. Indispensable pour rendre son offre locative attractive, car elle divise par deux le montant du loyer. Si les employeurs ont fait du logement l’une de leurs priorités RH, ça n’est pas simplement pour fidéliser leurs troupes ou les inciter à s’investir deux fois plus. C’est souvent pour les aider à concilier vie professionnelle et vie privée, en réduisant leur trajet. À être moins stressées, moins pressurées financièrement… et donc moins susceptibles de demander des rallonges de salaire pour financer un train de vie devenu insupportable ! Surtout, ce retour de flamme pour le paternalisme vient compenser les carences de dispositifs totalement dépassés.

Parmi eux, le 1 % logement, créé en 1953 et rebaptisé Action logement. Rien qu’en Ile-de-France, 380 000 dossiers sont en attente. En 2006, 1 million de salariés bénéficiaient d’un toit à prix bradé. Quatre ans plus tard, ils ne sont plus que 600 000. En cause, l’État qui siphonne ses comptes – 3,4 milliards entre 2012 et 2014 – pour financer sa politique de rénovation urbaine. Un « détournement » dénoncé par les partenaires sociaux. « Si l’État laissait Action logement jouer son rôle, c’est-à-dire loger les salariés, les entreprises ne seraient pas obligées d’intervenir », fustige Jérôme Dubus, délégué général du Medef Ile-de-France. « Elles ont pris conscience qu’elles devaient agir face à la défaillance de l’action publique », opine Michel Mouillart.

Selon une étude du Credoc parue cet été, 70 % des actifs déclineraient une offre si elle se traduisait par une hausse de leur budget logement. Et, depuis cinq ans, 500 000 personnes ont refusé un poste pour éviter un coûteux déménagement. « Toi toi mon toit… »

Auteur

  • Emmanuelle Souffi