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Politique sociale

Patronat et syndicats belges paralysés

Politique sociale | publié le : 01.10.2011 | Peggy Corlin

Après seize mois sans exécutif, les tensions se propagent chez les partenaires sociaux. Ils s’en inquiètent, mais les divergences sont profondes.

La fin de la Belgique ? Marie-Anne Belfroid-Ronveaux, représentante des PME francophones à l’Union des classes moyennes (UCM), ne veut pas y croire : « Vous imaginez la pagaille bureaucratique que cela deviendrait pour les entreprises installées dans plusieurs régions ! » Pourtant l’évolution politique du pays fait craindre toujours plus de régionalisation. À l’heure où nous écrivons, la Belgique est depuis plus d’un an sans gouvernement. Les élections de juin 2010 ont vu la victoire en Flandre de la N-VA, parti indépendantiste de droite, et en Wallonie de la gauche fédéraliste du Parti socialiste. Le pays est on ne peut plus divisé. Après moult rebondissements, les Belges espèrent que les négociations pour la formation d’un gouvernement aboutiront d’ici à la rentrée parlementaire d’octobre.

Ce serait un soulagement pour la Fédération européenne de Belgique (FEB) qui, depuis de longs mois, alerte sur les effets néfastes de cette crise pour l’économie du pays : « Le monde politique doit prendre le temps pour trouver un accord, mais cela a assez duré maintenant. Cela ne peut plus se poursuivre comme cela. Nous devons être très prudents afin de ne pas perdre des investisseurs étrangers », s’impatiente Rudi Thomaes, administrateur délégué de l’organisation patronale. L’exaspération a atteint le sommet des plus grandes entreprises du pays. Dans la presse, Jef Colruyt, patron de la chaîne de distribution éponyme, dénonçait il y a quelques mois l’irresponsabilité des politiques : « Si notre problème de multiculturalité se révèle insurmontable, que cela va-t-il signifier pour le monde ? Nous pouvons prouver qu’il y a moyen de trouver une solution pour vivre ensemble. Pour y arriver, il faut passer outre aux ego politiques et penser à l’intérêt collectif. »

Les positions des confédérations syndicales deviennent difficiles à tenir. Les syndicats partagent aussi les inquiétudes patronales, dénonçant une situation qui laisse les travailleurs dans l’incertitude en pleine période de crise économique. Mais, face aux violentes rancœurs qui divisent Flamands et Wallons, la voix des partenaires sociaux ne semble plus porter au niveau fédéral. Avant les élections de 2010, la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) a bien tenté de mettre en garde contre la tentation du vote indépendantiste pour la N-VA. Mais les leaders du plus important syndicat du pays, dont la majorité est flamande, se sont fait houspiller en interne. Dans certains secteurs, les positions fédérales deviennent difficiles à tenir. En 2006, les métallurgistes de la deuxième grande force syndicale, la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), n’ont pas résisté aux tensions internes. Quand l’usine de Volkswagen Forest s’est trouvée menacée de fermeture, les représentants flamands ont proposé une flexibilisation de l’organisation du travail, alors que les francophones refusaient tout compromis avec la direction. « Les différences culturelles étaient trop fortes », se souvient Benoît Gerits, au sein de la nouvelle structure francophone, la MWB. « Nous avons des divergences profondes sur les remèdes à apporter aux questions sociales, ce qui nous a amenés à nous séparer. On ne s’en porte pas plus mal. » La culture syndicale flamande est nordique. Tandis que les représentants wallons sont dans l’opposition, à la française. « Les entreprises croient parfois avoir un rapport privilégié avec les représentants flamands, mais, en fait, on retrouve une solidarité syndicale dans le cadre des actions européennes. »

Au fil des crises politiques, les Flamands ont réussi à transférer aux régions nombre de compétences, économiques et de politique de l’emploi, notamment. Si bien que la Belgique est devenue un pays qui semble en contenir deux. En premier lieu à cause de la frontière linguistique, dont le tracé a été figé au début des années 60, qui divise le pays en deux régions unilingues, la Flandre et la Wallonie, Bruxelles restant bilingue. Chez Contigo, on parle indifféremment flamand et wallon, c’est-à-dire français. Cette PME spécialisée dans le marketing opérationnel a beau se situer en territoire flamand, à la périphérie de Bruxelles, les conflits communautaires ne perturbent pas le quotidien. Les salariés, en majorité bruxellois, sont bilingues. Seule la paperasse pose parfois problème. En effet, la loi impose d’informer les salariés dans la langue de la région du siège de l’entreprise. Or Stéphane Cardon, le patron, fait régulièrement appel à des hôtesses embauchées à la journée dans des magasins en Wallonie lors d’opérations promotionnelles. « Comme elles refusaient toutes de signer des contrats en flamand car elles ne le comprennent pas, nous avons installé notre siège social à Bruxelles, cela permet de faire des contrats dans les deux langues. »

En Wallonie, la situation sociale est inflammable. Mais, hormis à la périphérie de Bruxelles, la mobilité entrepreneuriale est faible entre les deux régions. En 2008, on dénombrait 161 nouvelles succursales flamandes en Wallonie et 169 nouveaux établissements wallons en Flandre, sur 99 320 entreprises créées dans les deux régions. Une enquête réalisée par l’Unizo, représentante des PME flamandes, révèle que 8 entrepreneurs flamands sur 10 plébiscitent une régionalisation plus poussée. Son patron, Karel Van Eetvelt, explique : « Même si la Wallonie accorde des aides intéressantes les premières années de la création de l’entreprise et que les permis de construire s’y obtiennent en quelques mois, contrairement à la Flandre, les patrons ne veulent pas de la politique de gauche des Wallons. En plus, en Wallonie, la situation sociale est inflammable, les risques de grève plus fréquents. » Mis à part les 340 000 « navetteurs » qui vont travailler chaque jour à Bruxelles, les échanges de main-d’œuvre sont tout aussi faibles. Les Wallons ne sont que 3,4 % à traverser la frontière. Pourtant, avec 7 % de chômage en Flandre et 14 % en Wallonie, le Nord dispose au Sud d’une vaste réserve de main-d’œuvre. Charlotte Thomas, au Forem, le service public wallon de l’emploi et de la formation, souligne la distance entre les deux marchés du travail : « Les chômeurs wallons savent rarement qu’ils peuvent trouver du travail en Flandre. Et la langue reste une barrière importante. » Depuis 2007, le Forem collabore avec son homologue du Nord, le VDAB, pour aider à la mobilité.

Dans les secteurs en manque de main-d’œuvre, comme l’industrie alimentaire ou la distribution, certains patrons flamands savent se montrer moins regardants sur les exigences linguistiques. « À condition qu’il ne s’agisse pas d’un emploi en contact direct avec la clientèle », précise Charlotte Thomas. Cet été, le Forem invitait à des jobdatings pour 450 postes de cueillette des fruits ouverts en Flandre. Mais ces ponts entre les deux régions restent rares.

Aux yeux des Flamands, les chômeurs wallons sont avant tout un boulet pour la Sécurité sociale

Aux yeux des Flamands, les chômeurs wallons sont avant tout un boulet pour la Sécurité sociale. La volonté de la N-VA de régionaliser ce dernier lien de solidarité entre les deux régions affole les partenaires sociaux : « Imaginons que demain on ait des allocations chômage ou familiales différentes d’une région à l’autre, on arrivera à des systèmes très compliqués avec un risque de dumping social entre les régions », s’inquiète Claude Rolin, le secrétaire général de la CSC. Le patronat ne veut pas non plus de cette concurrence entre les régions. Mais les mises en garde résonnent dans le vide. En 2007, le gouvernement régional flamand n’a pas hésité à donner un coup de pouce à certains de ses résidants en créant le jobkorting, une remise d’impôt de 300 euros. Des salariés d’un même groupe pouvaient toucher des salaires différents pour le même poste selon qu’ils travaillaient en Flandre ou en Wallonie. La Commission européenne est intervenue pour dénoncer la discrimination. Le pouvoir flamand a annulé la mesure en 2011, plus pour des raisons budgétaires que par crainte de représailles. Mais il n’a pas attendu longtemps pour réitérer la manœuvre : en juillet, un décret annonçait une allocation enfant indépendante du système belge d’allocations familiales. Et la presse flamande a titré : « La Sécurité sociale flamande prend forme ».

Les dossiers en attente faute de gouvernement en plein exercice

En février dernier, quand les bases syndicales de la FGTB et de la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique, la CGSLB, ont rejeté l’accord interprofessionnel 2011-2012 négocié par les partenaires sociaux, le gouvernement « en affaires courantes » est venu trancher, comme l’y autorise la loi, et fixer la fourchette salariale des deux années à venir. Les négociations sectorielles sur les salaires et les conditions de travail ont ainsi pu s’engager en Belgique, avec une limite de 0,3 % pour les hausses de salaire. Mais les pouvoirs du gouvernement en affaires courantes demeurent limités. Et d’autres dossiers restent en suspens sur la table des partenaires sociaux belges.

Vieux serpent de mer du dialogue social fédéral, le débat sur l’harmonisation du statut des ouvriers et des employés a été relancé à la faveur du paquet anticrise. Celui-ci a introduit le chômage partiel dans le statut des employés, mesure qui n’existait jusque-là que pour les ouvriers. Les syndicats y ont vu une tentative d’harmonisation « par le bas », le statut « ouvrier » étant moins protecteur. Depuis des années, ils demandent notamment l’harmonisation du délai de préavis en cas de licenciement, actuellement plus court pour les ouvriers. Autre question en débat, et qui nécessitera le concours d’un gouvernement en plein exercice : l’indexation automatique des salaires sur l’inflation.

En février, l’Allemagne a pointé du doigt les coûts salariaux en Belgique, considérés comme un frein à la compétitivité. L’argument est aussi soutenu par le patronat. Mais les syndicats défendent vivement l’« index », qu’ils jugent au cœur du modèle social belge. Selon eux, le vrai problème tient aux abus des fournisseurs d’énergie qui profitent de la libéralisation du marché pour fixer des prix élevés.

Enfin, comme tous les pays d’Europe, la Belgique doit faire face au vieillissement de sa population. Les partenaires sociaux attendent que le gouvernement définisse des orientations. La consultation risque ensuite d’être tendue, pas tant sur un éventuel report de l’âge légal de départ à la retraite, déjà fixé à 65 ans, que sur les systèmes de prépensions qui font qu’aujourd’hui l’âge réel de départ à la retraite se situe à 60 ans.

Auteur

  • Peggy Corlin