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Vie des entreprises

Travailler en maison de retraite n’est pas de tout repos

Vie des entreprises | Reportage | publié le : 01.09.2011 | Sarah Delattre

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées ont de l’avenir mais subissent de fortes contraintes financières. La charge de travail s’élève, sa qualité se dégrade. Non sans faire souffrir les salariés.

La résidence de l’Abbaye ressemble à la maison de retraite idéale. Implanté à Saint-Maur-des-Fossés, en banlieue parisienne, cet établissement public dirigé par Pascal Champ­vert, par ailleurs président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), accueille quelque 250 personnes âgées des communes avoisinantes. À midi, le restaurant résonne du rire des enfants de la halte-garderie installée en plein cœur. Un salon de coiffure et d’esthétique, une salle de gymnastique longent un corridor séparant les deux ailes du bâtiment. Et, tous les mois, une multitude d’animations et de sorties viennent rompre la monotonie d’une fin de vie. Le personnel se réunit au moins deux fois par mois pour discuter des besoins des résidents et travaille sans blouse blanche pour ne pas faire trop « hôpital ». Les équipes expérimentent aussi un planning relativement souple. « Par exemple, certains peuvent choisir d’enchaîner trois journées de douze heures par semaine, d’autres rester à sept heures par jour », témoigne Sherazade Rami, aide-soignante, qui se reconnaît dans « le projet d’établissement, centré autour du plaisir, du partage et de l’autonomie ». « La prise en charge du résident est vraiment au centre de l’intérêt et les bonnes idées sont prises en considération », apprécie Flore Mouanga, une autre aide-soignante.

Une voie à suivre dans un monde grisonnant, encore associé aux mouroirs d’antan, malgré des progrès incontestables en termes d’architecture et de qualité depuis les premières conventions tripartites (établissement-État-département) signées en 2000. Lancé en février par Nicolas Sarkozy, le débat national sur la dépendance (voir encadré page 62), censée être le dernier grand chantier social du quinquennat, a le mérite de braquer les projecteurs sur le devenir de nos anciens, au moment où les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont financièrement asphyxiés. « Depuis deux ans, l’État « siphonne » les excédents de la Caisse nationale de solidarité pour l’au­tonomie pour les reverser à ­l’Assurance maladie […]. En 2010, 150 millions d’euros ont ainsi été subtilisés », dénonce le think tank Terra Nova dans un rapport consacré à la prise en charge de la dépendance (1), sans parler du gel de la médicalisation et des places. « Les Ehpad recourent davantage aux contrats précaires du fait des contraintes financières, critique le trublion Pascal Champvert. Des conseils généraux tiennent un double discours en exhortant à une meilleure formation du personnel tout en faisant pression sur la masse salariale pour diminuer les prix de revient. » Largement composé d’établissements publics et associatifs (78 % des lits), le secteur attise néanmoins les convoitises du privé. Trois opérateurs, en particulier, se disputent ce que l’on appelle désormais « l’or gris » et affichent des recettes en hausse en 2010 : Orpea (chiffre d’affaires à 964,2 millions, en hausse de 14,3 %), Korian (923 millions d’euros, + 8,5 %) et Medica (538,9 millions, + 12,1 %).

Rattachées à des conventions collectives et à des statuts différents (Synerpa pour le privé, conventions de 1951 ou de 1966 pour le privé non lucratif et fonction publique hospitalière ou territoriale), les aides-soignantes dressent un constat unanime.

L’accueil de personnes plus dépendantes, car pouvant rester plus longtemps chez elles grâce aux soins à domicile, a alourdi la charge de travail, alors que le ratio moyen de personnel par résident est souvent inférieur à celui prévu par la législation. Leur pire ennemi? Le temps ! « Nous avons l’impression de courir tout le temps, témoigne Christelle Marteau, aide médico-psychologique dans un Ehpad public de 60lits à Clion-sur-Indre, un territoire rural où les plus de 75 ans représentent plus de 12 % de la population totale. Nous som­mes deux fois plus de salariés qu’à mes débuts, mais au lieu de faire une dizaine de toilettes, nous en faisons une quarantaine. Nous commençons les toilettes vers 7 heures, nous les finissons vers 12 h 30, ce qui signifie que les derniers résidents ne sont pas levés avant. Nous leur donnons une douche tous les quinze jours. Idéalement, il faudrait y consacrer au moins une demi-heure, mais nous n’avons pas le temps. On fait les toilettes à la chaîne, on n’a plus le temps de discuter avec les résidents. On a l’impression de ne pas faire notre travail comme il faut, on n’est pas contents de nous. Moi, j’ai 38 ans, et déjà des douleurs aux épaules et dans le dos. »

Ancienne mécanicienne en confection reconvertie aide-soignante à l’issue d’une fermeture d’usine, Jeanne (2) témoigne de la même frustration. « J’ai l’impression d’être revenue en confection, avec des cadences infernales à tenir. Nous suivons des formations très intéressantes pour apprendre à rassurer un malade d’Alzheimer, mais nous n’avons pas le temps de les mettre en application. Nous n’avons plus le droit de changer les résidents la nuit, soi-disant pour ne pas les réveil­ler. En réalité, pour faire des économies de couches. Résultat, le matin, ils sont trempés et se retrouvent avec des escarres aux fesses. J’aime le relationnel, mais on n’a plus le temps de les écouter. Les conditions de travail nous interdisent de donner du bonheur à des gens qui n’attendent plus que la mort, et on en souffre beaucoup. On est toujours en train de se battre et notre hiérarchie ne nous soutient pas du tout. »

“On fait les toilettes à la chaîne, on n’a plus le temps de discuter avec les résidents” (Christelle Marteau, aide médico-psycho logique)

Travailler en gériatrie, c’est aussi réparer les dégâts pro­voqués par un malade d’Alzheimer, être insulté par un vieillard se sentant humilié de ne plus pouvoir se laver seul, sourire avec ceux qui se souviennent des belles choses, pousser la chansonnette avec les plus vaillants… Selon une enquête de la CFDT Santé-­Sociaux (3), 60 % des employés en gériatrie (qui re­présente 29 % des services interrogés) estiment ainsi leur travail très ou pas mal stressant ; 77 % estiment que leurs conditions de travail se sont dégradées au cours des dernières années ; 53 % se plaignent de douleurs musculaires… Avec pour résultat un absentéisme et un turnover élevés dans les villes, un manque de personnel qualifié dans les zones rurales, où la maison de retraite constitue parfois le principal employeur local. « En milieu rural, c’est difficile de trouver du personnel qualifié. Des agents de service hospitalier font parfois fonction d’aides-soignants, note Christelle Marteau. On ne peut pas remplacer les absences du jour au lendemain, alors, quand il y a cinq ou six arrêts en même temps, le travail devient très difficile. Des aides-soignantes sont obligées de faire des coupures et de revenir le soir pour le coucher. »

En plein cœur de la capitale, rue des Vinaigriers, Romain Rabourdin, profil droit-management, dirige un Ehpad de 99 lits, propriété du groupe Korian. Tarif mensuel ? Pas moins de 4 000 euros. Cinquante-cinq équivalents temps plein y ­travaillent, parmi lesquels 25 aides-soignants et aides médico-psychologique, une psychomotricienne, 4 kinésithérapeutes libéraux… « Depuis le début de l’année, il y a eu au moins quatre départs et l’absentéisme est un gros problème », précise Romain Rabourdin.

Pour lutter contre l’absentéisme, susceptible de désorganiser les équipes, Korian verse une prime d’assiduité : en moyenne 410 euros brut en 2010, 490 euros cette année. L’un des principaux sujets de négociation, avec l’intéressement et l’emploi des seniors, auxquels s’est attaquée Rose-Marie Van Lerberghe depuis son arrivée en 2006. Les prochaines discussions devraient porter sur le stress et les conditions de travail. Présidente du directoire, l’ancienne directrice générale de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a voulu diffuser une culture du dialogue social. « Tous les directeurs d’établissement sont formés au dialogue social », relate Sophie Lamalle, DRH du groupe Korian. Une initiative louable dans un secteur qui, avec des Ehpad de moins de 50 employés, reste faiblement syndiqué et où des pratiques de management autoritaires sont souvent dénoncées.

Tétanisé à l’idée de la faute professionnelle, le personnel passe son temps à se couvrir, les infirmières déléguant des soins aux aides-soignants, lesquels n’ont légalement pas le droit de les pratiquer. « Les tensions peuvent être fortes entre la direction obéissant à une logique gestionnaire et le cadre de santé obéissant à une logique de soin, ajoute Philippe Douillet, chargé de mission au département santé et travail de l’Anact, qui observe une augmentation des demandes d’intervention de la part de maisons de retraite. Malheureusement, nous intervenons souvent à chaud, lorsque les relations de travail sont déjà très dégradées, avec un absentéisme élevé, des conflits au sein des équipes. En milieu rural, quand la maison de retraite est le seul employeur du coin et que le personnel est condamné à rester, vous pouvez vite aboutir à des situations explosives. »

En amont, les difficultés de recrutement sont récurrentes… « La gériatrie n’est pas très glamour. Les soignants sont formés pour guérir. Or la vieillesse est une maladie dont on ne revient pas et la mort reste un tabou », constate ­Sophie Lamalle. « À la fin de leurs études, les jeunes infirmières et aides-soignantes veulent du technique, travailler en service d’urgence. Dans nos métiers, c’est le relationnel qui prime », ajoute Céline Arioli, responsable de la formation chez Orpea.

Le levier de la formation. Coincées entre deux logiques contradictoires, budgétaire et de prise en charge, les maisons de retraite disposent de faibles marges de manœuvre pour rendre le quotidien plus supportable. « Nous avons lancé l’année dernière un questionnaire sur les conditions de travail, en complément du baromètre social, raconte Alexandra Devic, DRH chez Medica. Ce qui rassure les équipes, par exemple, c’est d’avoir un organigramme clair pour savoir qui fait quoi, et de pouvoir compter sur le soutien de leur hiérarchie. » La formation étant le principal levier que les directions actionnent pour professionnaliser leur personnel et prévenir notamment les risques de maltraitance, sujet tabou s’il en est. « Au moins 1 500 employés par an suivent une formation de prévention de la maltraitance, en plus de miniformations sur la prise en charge de la douleur, la maladie d’Alzheimer, la “bientraitance”… évalue Céline Arioli. En 2010, nous avons aussi accompagné une cinquantaine d’agents hospitaliers en VAE sur les métiers d’aide-soignant et d’aide médico-psychologique. »

De son côté, Korian a mis sur pied une formation interne baptisée Best, pour « bien­traitance éthique et soins pour tous », et accompagné 300 VAE. Afin de pallier la pénurie d’aides-soignants, Korian a signé en 2009 une convention de partenariat avec la Croix-Rouge et Pôle emploi. « L’idée étant d’embaucher des chômeurs en contrat de professionnalisation. Le hic, c’est que nous nous heurtons à un problème de quotas. Des candidats qui ont fait leurs preuves lors de stages en établissement et qui ont leur moyenne à l’examen sont recalés à l’école de la Croix-Rouge faute de place », se désole Sophie Lamalle. Dans le même genre, Medica a cherché à élargir ses canaux de recrutement pour les métiers de directeur et d’aide médico-psychologique en embauchant des chômeurs en reconversion.

Les démarches de qualité, engagées dans bon nombre d’établissements, ont aussi apparemment permis de « donner des repères au personnel en définissant mieux un certain nombre d’interventions », selon Alexandra Devic. « Nous avons par exemple beaucoup travaillé sur la prévention des chutes, avec une adaptation des sols, enchérit Sophie Lamalle. La qualité des soins est non seulement un outil de pérennité économique mais aussi un outil de management, car vous évitez l’usure professionnelle. » Le revers de la médaille ? Des normes parfois tatillonnes. « Jusqu’à l’année dernière encore, nos petits vieux pouvaient par exemple écosser les petits pois. Ils étaient contents, ils avaient l’impression d’être utiles. Aujourd’hui, ils n’ont plus le droit, pour des raisons d’hygiène », raconte Jeanne. Dif­ficile de concilier l’intérêt du patient et la qualité de service.

(1) « Dépendance : pour une prise en charge pérenne et solidaire », mai 2011.

(2) Le prénom a été modifié.

(3) 38 455 réponses analysées, dans 492 établissements publics.

60 % des employés en gériatrie trouvent leur travail très ou pas mal stressant.

Source : enquête CFDT Santé-Sociaux.

Un cinquième risque toujours à l’étude

Le 5e risque, la « dépendance », promis dès 2007 par Nicolas Sarkozy, se fait attendre. En lieu et place, en février dernier, le président de la République lançait en grande pompe le grand débat national sur la dépendance, exaltant comme à son habitude « les auteurs du programme du Conseil national de la Résistance et les bâtisseurs de la Sécurité sociale ». Quatre groupes de travail et une trentaine de débats départementaux plus tard, les premières mesures financières devraient être intégrées dans le projet de loi de finances à l’automne 2011, une réforme en profondeur étant repoussée à l’après-présidentielle. Écartant une augmentation des prélèvements obligatoires, « depuis un an, le gouvernement ou les parlementaires qui souhaitent l’aider multiplient les “ballons d’essai”, histoire de tester l’opinion », critique Terra Nova dans son rapport sur la dépendance. Ainsi en est-il de l’obligation de souscrire une assurance perte d’autonomie à partir de 50 ans, proposée par la députée UMP de Meurthe-et-Moselle Valérie Rosso-Debord, dans un rapport publié en juin 2010 sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

La seconde idée avancée par le gouvernement consiste à mobiliser le patrimoine des personnes âgées pour financer leur propre dépendance. En revanche, la proposition de Valérie Rosso-Debord de supprimer l’allocation personnalisée d’autonomie pour les GIR 4 (les personnes âgées relativement autonomes, soit 46 % de ses bénéficiaires actuels) a suscité un tel tollé qu’elle a été aussitôt enterrée. Plus récemment a été relancé le débat sur la suppression d’un autre jour férié, façon lundi de Pentecôte. Évalué en 2000 à 800 000, le nombre des personnes âgées dépendantes serait de 920 000 à l’horizon 2025 et de 1,2 million en 2040, selon les estimations de l’Insee.

Auteur

  • Sarah Delattre

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