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Tableau de bord

Hauts salaires : faut-il surtaxer les entreprises ?

Tableau de bord | publié le : 01.09.2011 |

Jean-Paul Betbèze Directeur des études économiques de Crédit agricole SA

En matière d’impôt, il faut toujours revenir aux fondamentaux tant l’idéologie, pour ne pas dire les passions, se mêle vite de la partie. À la base, les impôts doivent faire fonctionner l’appareil public, id est assurer la paix et la justice, id est permettre la croissance. Il s’ensuit que de plus hauts revenus doivent concourir davantage au financement public, donc à la prospérité de tous.

Pour autant, tout est affaire de dosage. « Trop d’impôt tue l’impôt », car il tue son support : la croissance. Les revenus peuvent se dérober, attirés par l’économie grise, ou disparaître, car il ne sert à rien de faire des efforts supplémentaires si tout est pris, ou encore aller voir ailleurs. Et c’est précisément le risque actuel, avec des entreprises qui ? peuvent bouger, comme les capitaux et désormais les très hauts cadres.

Dans ce nouveau contexte, il faudrait taxer pareil partout. En attendant, il faut taxer ici de manière différenciée en fonction du temps. Des revenus différés participent plus au financement de la croissance et à ses risques, ils doivent être relativement favorisés. Moralité : oui pour des comptes fiscalement attractifs liés à un financement durable de l’économie.

Karine Berger Économiste

Depuis les années 80, l’idée astucieuse selon laquelle les dirigeants devaient être intéressés aux résultats au travers de parts variables indexées sur les bénéfices, afin de servir au mieux les intérêts des actionnaires, a échoué : 1° Le conformisme extrême dans le recrutement des dirigeants les rend risk adverse et ils réclament que la part variable soit en fait fixe. 2° Les actionnaires veulent toucher à de plus en plus court terme des profits sur leur capital. Surtaxer les entreprises aura donc peu d’impact sur les hauts salaires car cela n’infléchira pas les objectifs des uns et des autres. En revanche, si on limite la redistribution du profit via les dividendes pour l’orienter vers l’investissement, non seulement la maximisation à un an du profit ne sera plus l’objectif commun du management et des actionnaires, mais en plus la maximisation de la rentabilité de l’investissement à cinq ou dix ans pourra devenir un point d’intérêt pour les actionnaires qui, dès lors, seraient en capacité de modifier la structure de rémunération des dirigeants. Plus qu’une taxe sur l’entreprise, c’est une mo­dification du partage de la valeur ajoutée par la fiscalité qui sera de nature à limiter les dérapages actuels des hauts salaires.

Augustin Landier Professeur d’économie à la Toulouse School of Economics

En termes de pédagogie économique, la manière dont le ministre du Travail a posé ce débat est très nocive. Récapitulons. Il y a depuis les années 80 une envolée des rémunérations managériales. Elle ne s’explique pas par une gouvernance dégradée des entreprises. On ne constate pas des salaires plus faibles chez les entreprises mieux surveillées par leurs actionnaires. Ce qui s’est produit, c’est que la taille des enjeux financiers a considérablement augmenté avec la globalisation. Pour les grosses entreprises, une petite différence d’efficacité entre deux managers peut générer de gros effets sur le résultat. Elles sont donc prêtes à dépenser des millions pour choisir, conserver et motiver leurs managers. C’est la logique du « marché du talent ». Parler de « rémunérations extravagantes » est donc à mon sens non pertinent et décalé par rapport à la réalité économique. Mais cela ne veut absolument pas dire qu’il ne faille rien faire en termes de redistribution. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut poser ce débat de politique publique. L’explosion des inégalités (et des déficits) est en France comme ailleurs un enjeu important. Réfléchir aux modalités de taxation des hauts revenus est totalement légitime.

Pour en savoir plus

« Embaucher les meilleurs et les payer plus »,

A. Landier. www.liberation.fr/economie/01012345003-embaucher-les-meilleurs-et-les-payer-plus.

Les Trente Glorieuses sont devant nous,

Karine Berger et Valérie Rabault. Éditions Rue Fromentin.

« Les très hauts salaires du secteur privé »,

Paul Amar, Insee. www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1288/ip1288.pdf.

Pour une révolution fiscale,

C. Landais, T. Piketty, E. Saez. www.revolution-fiscale.fr.