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Enquête

Relookés pour trouver un job

Enquête | publié le : 01.09.2011 | Emmanuelle Souffi <i>Photos : Bruno Levy</i>

Dans un marché de l’emploi de plus en plus codifié, avoir l’apparence qu’il faut est indispensable pour espérer être recruté. Les initiatives se multiplient pour aider les chômeurs à se mettre en valeur et à retrouver leur estime de soi.

C’est un petit écrin violine au cœur de la Goutte-d’Or, dans le 18e arrondissement de Paris. Quand Samia a poussé la porte du salon Joséphine, elle était voilée. Deux heures plus tard, cheveux au vent, elle ressort majestueuse et rayonnante au bras de sa fille. Mère de cinq enfants, elle vient ici une fois par mois pour se faire une couleur, une nouvelle coupe ou un coup de « pinceau magique ».

Grâce à ce salon de beauté dédié aux femmes qui ne pensent jamais à elles, cette habitante du quartier s’est émancipée. « Ça redonne le sourire et confiance en soi. Avant, je n’osais rien faire », confie-t-elle. Le boudoir de Joséphine est un lieu à part, conçu pour celles qui n’ont pas les moyens de prendre soin d’elles et que l’isolement social a fragilisées. Étudiantes ou mères célibataires, la plupart n’ont pas de travail, sont au RSA et ne sont pas allées chez le coiffeur depuis des mois, voire des années. C’est pour les aider à relever la tête que Lucia Iraci a ouvert ce salon social. Ses partenaires sont des grands noms du privé (la Fondation Macif, L’Oréal, Meetic…) qui lui offrent les produits dont elle a besoin pour proposer un service de qualité, et des professionnels qui viennent là bénévolement. Sans ce soutien, impossible de faire fonctionner une structure qui reçoit près de 150 clientes par mois – et pas un centime des pouvoirs publics ! –, compte trois salariés pour 300 000 euros de budget.

Valorisation de soi. Trois euros la coupe, le maquillage et la couleur – « tout le monde les a et ça ne démunit pas », dit Lucia Iraci –, 1 euro le massage, l’épilation ou le soin du visage… Au départ, elles sont envoyées par des associations qui luttent contre l’exclusion. Depuis l’ouverture, au printemps, elles viennent de plus en plus spontanément. Accueillies par une assistante sociale, elles peuvent aussi rencontrer une gynécologue, une psychologue, une styliste, et bientôt une diététicienne, faire du Pilates ou du yoga… « Ce sont des femmes qui, une fois dehors, quittent toute la méfiance qu’elles avaient en arrivant », souligne la fondatrice, coiffeuse de stars. Nombreuses sont celles qui téléphonent la veille d’un entretien d’embauche pour venir emprunter une veste Comptoir des cotonniers ou une jupe Caroll dans le vestiaire tenu par une relookeuse, Mademoiselle Charlotte. Déjà deux clientes ont décroché un emploi, et celles qui étaient sur le bord de la route depuis des années multiplient les entretiens.

La recette est finalement toute simple : apprendre à s’aimer pour que les autres vous aiment. Appliquée au recrutement, ça donne un foisonnement d’initiatives autour du relooking, ou plus exactement de la valorisation de soi pour mieux se vendre.

Même Pôle emploi s’y est mis. Jusqu’à présent, l’opérateur public multipliait les opérations éparses centrées sur les techniques de recrutement et répondait, à l’occasion, aux demandes des entreprises. Comme celle du centre commercial La Vallée Village, à Serris, en Ile-de-France, qui a sollicité son concours pour aider des chômeurs volontaires à travailler sur leur CV, leur gestuelle, mais aussi leur apparence. Pour la première fois, Pôle emploi se focalise sur le look. Depuis janvier, sur le modèle du salon Joséphine, l’opérateur propose à une dizaine de femmes bénéficiaires du RSA ou de minima sociaux de suivre un atelier de coaching beauté et RH. La plupart sont au chômage depuis longtemps. Elles passent des entretiens, mais n’arrivent jamais à conclure. Il leur manque ces clés indispensables pour séduire, ces petits riens qui font qu’en short list elles ne sont pas retenues. « Ça n’est pas pour se faire jolie, mais pour s’offrir un second souffle et se sentir bien, résume Christine Salaün, présidente du Fonds de dotation Ereel, qui pilote l’opération. Dans une société du paraître, une entreprise privilégie un candidat à son image. » Consciente de l’importance du bon look et des lacunes de certains en la matière, cette directrice de la communication compte prochainement lancer, grâce à un partenariat avec le lycée parisien Albert de Mun, le premier tailleur « spécial recherche d’emploi ». En octobre, les ateliers seront décuplés en province et ouverts aux hommes, qui bénéficieront même de cours de courtoisie !

Brune piquante et allure élancée, Samia cherche depuis plus d’un an un point de chute. Ex-acheteuse dans la mode, elle reconnaît avoir un peu trop joué les dilettantes. « J’allais aux entretiens à la cool, sans mettre toutes les chances de mon côté, raconte-t-elle entre deux coups de make-up. Là, je remets tout à plat, comme un bilan. Ça va m’apporter plus de fraîcheur. » En feuilletant son book de styles, Olivier Prévot, relookeur, lui apprend qu’elle est plutôt classique et romantique. Il lui conseille un tailleur, « mais pas noir », et d’oser les robes, elle qui fait tout pour se cacher derrière ses vêtements.

Tout est affaire de cohérence entre ce que l’on porte et le poste proposé. Un costume ou un tailleur pour postuler chez KPMG. Un ensemble un peu looké pour Canal Plus

Elga, elle, pensait que le maquillage, « ça devait se voir ». Du coup, elle n’en mettait jamais. Thomas Majorosi, habitué des plateaux de tournage, lui apprend qu’il suffit de peu pour illuminer un teint. Ongles soignés, lunettes et chaussures nettoyées… Sur un marché de l’emploi hypercompétitif, le diable se niche dans les détails. « Le vêtement a toujours été un signe de repérage, on va vers ceux qui nous ressemblent », explique Virginie Gautier, fondatrice de Relookémoi.com, une agence de conseil en image. Ce que l’on dégage, c’est la première chose que le recruteur scrute une fois la porte du bureau passée. « L’apparence compte pour 50 %, la communication verbale pour 25 %, et non verbale pour 25 % », calcule la relookeuse. Bref, à 75 %, c’est sur le physique et le paraître que tout se joue.

Une poignée de main plus ou moins forte, un sourire à demi esquissé, une voix qui trahit l’anxiété… En quelques secondes, ça passe. Ou ça casse. « Comme dans une relation amoureuse, le premier effet porte sur l’attitude », pointe Frédéric Fougerat. Et il peut être dévastateur. Directeur de la communication d’Ethypharm, il se souvient d’un jeune qu’il coachait, recalé à chaque fois qu’il passait un entretien alors qu’il avait les compétences. « Je ne comprends pas, j’avais mis mon plus beau survêt », se lamentait-il… Virginie évoque avec franchise le cas de ce cadre informaticien au col de chemise si large qu’elle pouvait y passer deux doigts ! « Ça laisse penser qu’il est malade et dépressif, et qu’il a mal géré sa période de chômage », analyse-t-elle. Bien coupé, au contraire, ça fait propre et dynamique.

De la personnalité mais pas trop. Des petits trucs qui ont leur importance et que les bénévoles de Pôle emploi tentent de faire comprendre à leurs clientes un brin déboussolées. Lors de chaque atelier mensuel, Agnès Macé, DRH du Marriott Champs-Élysées, et Thomas Madrid, directeur de l’agence Set and See, reçoivent les candidates en tête à tête. En plus du look, ils travaillent aussi sur la capacité à convaincre, la façon de s’exprimer, de poser sa voix… Car le recruteur cherche un CV, mais aussi une personnalité. À condition qu’elle ne soit pas trop affirmée non plus. Sans être aseptisée, elle doit toutefois épouser les codes de la société. Tout est affaire de cohérence entre ce que l’on porte et la fonction proposée. Un costume ou un tailleur pour un entretien chez KPMG. Un ensemble un peu looké pour postuler à Canal Plus. Le vêtement traduit un peu de soi, mais il exprime aussi une marque de respect et d’intérêt pour l’ADN de l’entreprise. L’habit ne fait pas le moine, mais il y contribue. « Les entreprises ont beau crier qu’elles veulent de la diversité, elles cherchent avant tout à se rassurer avec quelqu’un de conforme », tempère Gilles Verrier, directeur général du cabinet de conseil Identité RH.

Abandonner son jean élimé et sa coupe un peu terne pour un carré apprivoisé peut valoir le coup. Sur une cinquantaine de demandeuses d’emploi ayant suivi le stage de relooking, quinze ont retrouvé un poste après souvent des années de galère. Une trentaine ont passé des entretiens et attendent une réponse. Samia et Elga ont compris la leçon. Plus de jeans pour la première ni de tops orange pour la seconde…

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  • Emmanuelle Souffi <i>Photos : Bruno Levy</i>