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Loi LRU, ce n’est qu’un début

Dossier | publié le : 01.09.2011 | S.G.

Si la réforme du 10 août 2007 a contraint les universités à faire le pari de l’autonomie, elle n’a pas simplifié leur organisation ni réduit l’intervention de l’État. Et elle laisse pendante la question du sous-financement de l’enseignement supérieur.

En 2010, près de 2,35 millions d’étudiants se sont inscrits à l’université : 1,4 % de plus qu’en 2009, alors que le nombre de bacheliers a diminué de 1,3 %. CQFD : « L’université est devenue plus attractive grâce aux réformes engagées depuis 2007 », a claironné Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.« Dans l’ensemble, et nonobstant certaines oppositions à la loi LRU qui sont devenues minoritaires et surtout de principe, les universités se sont emparées de [leur] nouvelle autonomie et s’approprient peu à peu les marges de manœuvre qui en découlent », note le troisième rapport du comité de suivi de la loi du 10 août 2007, publié le 3 février dernier. De fait, alors que les décrets relatifs au mode d’évaluation ont jeté des milliers d’enseignants et de chercheurs dans la rue en 2009, la mise enœuvre de la loi LRU s’est faite sans psychodrame. Et même avec un certain enthousiasme : « Le passage des universités aux « responsabilités et compétences élargies » [RCE, voir encadré page 74] a été beaucoup plus rapide que prévu, note Michel Leroy, auteur d’Universités : enquête sur le grand chambardement [éd. Autrement, 2011]. Les universités étaient demandeuses d’autonomie pour professionnaliser leur gouvernance et leur gestion et sortir du pilotage à vue généré par la bureaucratie, l’absence de gestion analytique et le manque de visibilité (l’État n’honorant que rarement ses engagements quadriennaux). »

J’ai toujours eu le sentiment que nous étions infantilisés dans notre rapport à l’État, explique Claude Condé, président de l’université de Franche-Comté. Quoi que nous fassions, nous devions demander l’autorisation du ministère. Bien que j’aie été très critique à l’égard de la loi LRU, j’ai fait le forcing pour que nous figurions parmi les premières universités à passer aux RCE, en 2010. » « Puisque nous avions toutes les compétences (finances, gestion, RH) et le système d’information requis, nous avons été parmi les 18 premières universités à passer aux RCE dès 2009, explique Yvon Berland, président de l’uni­versité de la Méditerranée et vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU). Nous avons décidé de tirer parti de toute l’autonomie que nous donnent les RCE en matière de gestion de la masse salariale, de recrutement, d’action sociale… »

Toulouse 1 Capitole est l’une des trois premières universités à avoir obtenu la dévolution du patrimoine, en mai dernier : « Depuis des années, le patrimoine est mal entretenu par l’État, qui fonctionne selon une logique budgétaire annuelle, avec des investissements très fluctuants d’une année à l’autre, explique son président, Bruno Sire. Pour maintenir efficacement mon patrimoine, je dois pouvoir planifier mes investissements, avec de la visibilité et une stratégie. » Les présidents auraient tort de se plaindre : ce sont les grands gagnants de cette loi, largement inspirée par la CPU, et qui renforce leur rôle dans la gouvernance rénovée.

Des budgets démultipliés. Alors que les universités ont jusqu’au 1er janvier 2012 pour passer aux RCE, la plupart ont déjà franchi le pas. Mais le changement n’est pas toujours facile à mettre en œuvre. L’un des grands enjeux est la capacité de gérer des budgets démultipliés. Celui de l’université de la Méditerranée est passé de 50 millions d’euros à 240 millions ; pour l’université de Franche-Comté, il a bondi de 60 à 190 millions. À Toulouse 1 Capitole, « la seule masse salariale a été multipliée par cinq, passant de 15 millions à 70 millions », compte Bruno Sire.? Afin d’abonder une enveloppe salariale par nature contrainte, l’université toulousaine a mobilisé deux chercheurs de haut niveau pour répondre aux appels d’offres internationaux : « Nous avons décroché six projets européens de recherche, dotés chacun de 600 000 euros à 1,5 million d’euros sur trois ans. Ce qui nous a permis de recruter six chercheurs sur le marché international. »

Aux yeux de Michel Leroy, ce fameux « mercato » des enseignants et chercheurs relève « largement du mythe. Cela ne concerne qu’une poignée de chercheurs ». Les enseignants et chercheurs lambda restent enfermés dans une grille de salaires extrêmement rigide. « Les personnels ont subi en vingt ans une érosion de 20 % de leur traitement », fulminent les cinq universitaires auteurs de Refonder l’université (Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet et François Vatin, éd. La Découverte, 2010). « Nous avons pris le parti de redistribuer toutes les marges de manœuvre budgétaires en instituant un système de prime et d’intéressement et en renforçant notre action sociale », plaide Yvon Berland. Le président de l’université de la Méditerranée reconnaît toutefois que ces marges tendent à se réduire sous l’effet de l’implacable GVT (glissement vieillissement-technicité*), et parce que « les emplois vacants, qui nous laissaient une certaine latitude dans l’affectation de nos moyens, sont pourvus depuis longtemps ».

Mais l’autonomie des universités s’est accompagnée d’un contrôle tatillon et a priori de l’État, très mal vécu par tous les présidents. « Les universités ont la capacité de gérer leur autonomie, estime Yvon Berland. Qu’on nous fasse un peu confiance ! Pourquoi nous demander de faire certifier nos comptes si c’est pour nous soumettre au contrôle des agents comptables de Bercy et du recteur d’académie ? Tout se passe comme si l’État était incapable de nous faire confiance et nous retirait d’une main toute l’autonomie qu’il nous a donnée de l’autre. » De fait, « la loi LRU n’est pas la réforme ­ultralibérale que ses opposants ont caricaturée, observe Michel Leroy. Au contraire, l’État n’a probablement jamais été aussi interventionniste. Ce qu’il a donné en autonomie aux universités avec la loi LRU, il le reprend en attribuant les crédits des plans d’investissement (les 5 milliards d’euros de l’opération Campus et les 11 milliards des Investissements d’avenir) ».

Obnubilé par les classements internationaux, le gouvernement a choisi de concentrer ses efforts sur une dizaine de pôles d’excellence. Au risque de sacrifier les petites universités et les sciences humaines sur l’autel de l’excellence et de la visibilité internationale ? « Presque tous les appels d’offres portent sur les sciences de la vie, au détriment des sciences humaines », observe Michel Leroy. « L’opération Campus et les Investissements d’avenir favorisent clairement les grandes universités et les sciences dures, admet Bruno Sire. Mais cela n’a rien à voir avec la loi LRU, qui n’est jamais qu’une loi de décentralisation, donnant un peu plus d’autonomie aux universités dans la gestion de leur budget. »

Manque de lisibilité. Cette loi aurait dû simplifier l’organisation du système universitaire pour le rendre plus lisible par les étudiants et les entreprises, notamment dans le but affiché de renforcer l’orientation et l’insertion professionnelle. « L’empilement de structures et de sigles la rend, au contraire, plus illisible que jamais », observe Michel Leroy. La Cour des comptes a vertement critiqué la politique de regroupement universitaire et son pilotage par l’État : « Une mise en cohérence des diverses initiatives législatives et financières majeures qui se sont succédé depuis quatre ans est indispensable pour savoir où l’on va », a déclaré le président de la troisième chambre de la Cour des comptes, Jean Picq, devant la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, et la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Le troisième rapport du comité de suivi de la loi LRU conseille de « donner de la lisibilité à la stratégie de l’État et à sa vision à long terme de l’organisation universitaire à l’échelle du territoire » et de rendre également plus lisible « l’offre de formation en déclinant les grands diplômes en compétences professionnelles ».

Certes, la loi LRU aura eu l’immense mérite de sortir les universités de l’immobilisme. Mais elle reste une réforme technique qui laisse de côté de grands enjeux : la pédagogie, l’accueil de nouveaux publics (étudiants étrangers, bacheliers issus des filières techniques, adultes reprenant des études) et, surtout, le sous-financement de l’enseignement supérieur. « Est-il normal qu’un étudiant coûte moins cher à l’État qu’un lycéen ? » demande Alain Rousset, président PS de la région Aquitaine. En consacrant 10 % de son budget à la recherche, l’Aquitaine est l’une des régions qui s’engagent le plus. Car, dans ce domaine, chaque exécutif régional fait ce qu’il veut : d’un endroit à l’autre, le montant des enveloppes consacrées à l’enseignement supérieur et à la recherche va de 1 à 25 ! Alain Rousset plaide pour la clarification des rôles de chacun ou, à tout le moins, pour « une régulation de ces différences ». Car, à ses yeux, « la loi LRU mène tout droit à une explosion des frais d’inscription. Notamment son volet immobilier : les universités n’ont clairement par les moyens de gérer leur autonomie patrimoniale ».

Or les principes de non-sélection et de droits d’inscription réduits restent les deux grands tabous de l’université française. Pour obtenir la neutralité de l’Unef lors de la négociation de la loi LRU, le gouvernement s’est engagé à ne pas y toucher. Jusqu’à quand ? L’après-LRU se profile déjà : il convient de « préparer sans attendre l’après-RCE par une réflexion prenant en compte l’identification, l’analyse et l’anticipation des risques à moyen et long terme », préconise la recommandation numéro 5 du comité de suivi de la loi LRU.

* Répercussion sur la masse salariale des hausses de salaire liées aux règles d’avancement (ancienneté) et aux changements de qualification.

LOI LRU EN CHIFFRES

au 1er janvier 2011 51 établissements (1) sur 83 passés aux « responsabilités et compétences élargies » (RCE).

7,9 milliards d’euros de masse salariale transférés aux universités.

22 fondations universitaires et 10 fondations partenariales créées.

51 universités et 51 autres établissements regroupés au sein de 17 pôles de recherche et d’enseignement supérieur (Pres).

(1) Universités, écoles normales supérieures (ENS) et instituts nationaux polytechniques (INP).

Zoom sur les « responsabilités et compétences élargies »

L’autonomie d’une université, au sens des articles 18 et 19 de la loi LRU, se traduit par le transfert de différentes compétences de gestion RH et budgétaire :

• responsabilité de la paie des personnels titulaires (sous réserve de plafonds de gestion) ;

• élargissement des compétences en matière de gestion des personnels, notamment dans la répartition des obligations de service et de rémunération ;

• renouveau du cadre budgétaire et financier, avec mise en place d’une comptabilité analytique et certification des comptes par un commissaire aux comptes ;

• mise en place d’instruments d’audit interne et de pilotage financier. La dévolution du patrimoine, c’est-à-dire le transfert en pleine propriété des biens immobiliers et mobiliers, n’est pas obligatoire. Comme le passage aux RCE, elle est soumise à l’audit de l’Inspection générale de l’Éducation nationale et de la recherche et à l’accord du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Yvon Berland
Président de l’université de la Méditerranée

“Qu’on nous fasse un peu confiance ! Tout se passe comme si l’État nous retirait d’une main toute l’autonomie qu’il nous a donnée de l’autre.”

Auteur

  • S.G.

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