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Le casse-tête du financement

Dossier | publié le : 01.06.2011 | B. F.

Alors que l’impôt contribue davantage au financement de la protection sociale et que les cotisations santé et prévoyance des entreprises s’élèvent, le débat sur le financement du système est de retour. Les complémentaires sont concernées au premier chef.

L’annonce par Éric Besson, ministre de l’Industrie, d’une réflexion sur les coûts salariaux dans le cadre de la Conférence nationale de l’industrie est tombée à pic pour le patronat. Le conseil exécutif du Medef avait décidé unanimement, trois jours auparavant, de « porter la question ducoût du travail dans le débat présidentiel », selon sa présidente, Laurence Parisot. Sous couvert de dénoncer que le poids des charges sociales incombe entièrement à l’employeur, celles-ci étant du reste plus élevées de 7 points en moyenne en France qu’en Allemagne, selon le controversé rapport de COE-Rexecode, l’offensive patronale visait surtout à relancer le débat sur le financement de la protection sociale, passé à la trappe après les élections de 2007. « On ne peut séparer la question du coût du travail de celle de la nécessaire réforme structurelle à conduire sur le financement et la gestion de notre système de protection sociale », a indiqué la patronne du Medef.

Report vers la fiscalité. De fait, le patronat travaille à dessiner des pistes de restructuration. À commencer par le désengagement du financement de prestations jugées sans lien avec l’entreprise, comme les allocations familiales. « On a lié rémunération et protection sociale, mais cela résulte d’un accident de l’histoire, constate Michel Didier, président de COE-Rexecode, lors d’un débat organisé par l’IUMM mi-février. Hormis le cas des AT-MP, il n’y a pas de lien direct entre les deux. » Le patronat plaide pour un report d’une partie du financement assis sur le travail vers la fiscalité : cela pourrait passer par une taxe sur la consommation (TVA sociale) ou un élargissement de l’assiette (CSG). Surtout, il prône une révision de l’archi­tecture des régimes. Un document de travail de novembre 2010 reprend ainsi l’idée d’une assurance maladie à trois niveaux : obligatoire a minima fondée sur l’impôt, complémentaire obligatoire ou facultative, et supplémentaire libre.

Si le gouvernement n’a pas encore dévoilé ses intentions, le débat est ouvert. Pour preuve, l’Assemblée nationale a lancé dans le même temps une « mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale ». Ces initiatives font écho à une réalité en marche : la part des cotisations sociales représente déjà moins de 60 % du financement de la protection sociale, tandis que la part de la fiscalité s’établit à 30 %, avec la création de la CSG et la compensation par l’État des allégements de charges.

De même, « tandis que la protection sociale de base se rétrécit, la pro­tection sociale complémentaire, à lachargedesentreprisesetdes branches, se développe », constatait l’avocat David Rigaud lors de ce même débat. Avec, à la clé, de nouveaux arbitrages à opérer : alors que les entreprises voient leurs cotisations santé et prévoyance s’envoler, sous l’effet des nouvelles taxes et de la hausse de la sinistralité, s’achemine-t-on vers une recomposition du financement de la complémentaire santé ? Signe le plus flagrant de cette discrète mutation, la multiplication des accords de branche en frais de santé et prévoyance. « Ces accords visent essentiellement à développer une couverture de PME non satisfaisante », tempère Pierre-Yves Chanu, économiste à la CGT. De même qu’à fidéliser des salariés dans des branches parfois jugées peu attractives. « Ils limitent aussi le dumping social dans le secteur », note Jean-Louis Faure, délégué général du CTIP.

Mais pas seulement, comme en témoigne, dans un arrêté du 3 mars, la validation par la Cour de ­justice de l’Union européenne (CJUE) du dispositif d’affiliation obligatoire inclus dans le régime frais de santé de branche de la boulangerie, contesté par une entreprise concernée. En effet, en estimant que « l’affiliation obligatoire de l’ensemble des entreprises d’un secteur, sans possibilité de dispense », ne contrevient pas aux règles européennes en matière de concurrence, la CJUE a conforté la solidarité organisée par les partenaires sociaux. Et confirmé que la mutualisation obéit à des considérations sociales qui ne peuvent être prises en compte dans le seul cadre du marché.

Quel est le bon niveau de prise en charge ? Le régime de frais de santé des hôtels, cafés, restaurants, mis en place le 1er janvier, est à ce titre emblématique. S’il impressionne par le nombre de salariés concernés (900 000) et son niveau de garanties, il fera surtout date par son périmètre de mutualisation, encore élargi par un arrêté d’extension publié au Journal officiel du 24 décembre. Ainsi, seules les entreprises qui disposaient, au 1er janvier, d’une couverture santé obligatoire dont les garanties sont supérieures à celles du régime de branche sont dispensées d’y adhérer. De fait, nombreuses sont celles qui ont déjà été contraintes de relever leur niveau de couverture. Cet accord vient, de facto, poser la question du bon niveau de prise en charge par les différents ­acteurs concernés : la solidarité nationale, certes, mais aussi les branches et l’entreprise – et, au-delà, la famille et, enfin, l’individu.

Les négociations en cours pour la mutuelle de la branche transports sont à ce titre révélatrices : alors qu’une fédération (TLF) souhaite la création d’un socle minimal pour les TPE, l’autre (FNTR) estime que seules les entreprises dépourvues de mutuelle devraient être concernées, tandis que des organisations syndicales prônent une mutuelle identique pour tous avec une clause inter­générationnelle. « Certes, un accord tel que celui des HCR est positif pour les actifs, mais personne n’a de recul sur ce que ça va coûter au final », regrette le DRH d’un groupe de l’hôtellerie. Il redoute surtout une déresponsabilisation des acteurs et déplore que les entreprises se voient « privées de la possibilité de suivre les contrats, tant au niveau des cotisations qu’à celui de la consommation des assurés ».

Les entreprises risquent aussi de perdre la main sur le levier de rémunération que sont les couvertures santé et prévoyance. Jusqu’à présent, les accords de branche leur laissaient de bonnes marges pour décider du contenu des accords. La tendance s’inverse, avec la bénédiction des pouvoirs publics qui, au travers des arrêtés d’extension des contrats, tendent à organiser la mutualisation en restreignant les clauses de maintien de contrats antérieurs, à l’instar de celui des HCR. « Pour résoudre les problèmes d’articulation entre couverture de branche et contrats d’entreprise, il faut organiser un partage des rôles entre dispositifs d’utilité sociale qui relèvent de la branche et les outils de management qui doivent demeurer l’apanage des entreprises », suggère Laurence Lautrette, avocate au cabinet Barthélémy, chargée du conseil branches.

Enfin, les acteurs craignent de voir le marché se concentrer sur quelques organismes, recréant ainsi des situations de monopole. Ce mouvement s’effectue au bénéfice des groupes paritaires, qui se taillent la part du lion, avec plus de 80 % du marché, au détriment des assureurs et des mutuelles. Au risque de relancer la polémique sur les conditions dans lesquelles ces contrats sont attribués… Reste que ces réserves n’empêchent pas les assureurs de prendre acte des évolutions en cours au travers de leur offre : Malakoff Médéric vient ainsi de développer un contrat supplémentaire facultatif, sans cotisation patronale, articulé sur le contrat de branche. Avantage principal pour le salarié : le coût d’acquisition s’en trouve diminué. Pour Jean-Louis Faure, ce type de montage, qui « touche essentiellement des secteurs d’activité très émiettés, avec des salariés à faibles revenus et non couverts par des contrats collectifs », n’a pas encore vocation à se généraliser, « sauf en cas de réforme conséquente du régime obligatoire ». A contrario, ces accords de branche pourraient se trouver fragilisés par la remise en cause, régulièrement évoquée, des allégements de charges patronales sur les contrats collectifs. Tout dépendra des arbitrages à venir.

La protection sociale, un atout compétitif

En escale en mars à Paris, le groupe consultatif sur le socle universel de protection sociale, présidée par Michèle Bachelet, a voulu démontrer que « l’efficacité des politiques de protection sociale contribue à une meilleure performance économique ».

Une idée défendue par Dominique Libault, directeur de la Sécurité sociale lors de son audition le 5 mai par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la compétitivité et la réforme de la protection sociale : selon lui, un des enjeux majeurs en matière de compétitivité en Europe sera « d’augmenter la part de la population au travail, et donc susceptible de produire de la richesse ». La protection sociale, loin de n’être qu’un fardeau, y contribue en permettant de rester plus longtemps en bonne santé ou de concilier vie familiale et vie professionnelle. Par ailleurs, « le choix d’un pays de mutualiser sa protection sociale n’est pas nécessairement synonyme de baisse de compétitivité ». Et de citer les États-Unis, où la réforme du système de santé visait, entre autres, à alléger les charges incombant aux entreprises en créant un socle de prise en charge public plus solide. Même ligne de défense pour Hervé Drouet, directeur de la Cnaf, qui estime que « les politiques de protection sociale doivent être analysées en termes d’investissement ». Le comité de pilotage des politiques économiques de l’UE montre ainsi qu’à l’horizon 2050 les dépenses pour les personnes âgées représenteront 4 % du PIB en France, contre 5 % en Allemagne.

Auteur

  • B. F.