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Vie des entreprises

Nicole Notat lutte pour le développement durable… de Vigeo

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.05.2011 | Stéphane Béchaux

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Répartition des 17,7 millions d’euros de capital de Vigeo (en %)

Crédit photo Stéphane Béchaux

L’ex-syndicaliste a fait évoluer le modèle économique de son agence de notation sociale pour l’engager sur le chemin de la rentabilité. Elle investit le terrain du conseil. Au risque de brouiller son offre et d’atténuer son ambition initiale.

Sacré soulagement pour Nicole Notat et ses 89 salariés. Présentés fin mars en conseil d’administration, les comptes de Vigeo pour l’année 2010 s’annoncent positifs. Avec un chiffre d’affaires avoisinant les 8 millions d’euros, en hausse de 19 %, l’agence spécialiste de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) efface le très mauvais cru 2009, marqué par une perte opérationnelle d’un gros million d’euros. Il était temps ! Depuis la création de Vigeo, en juillet 2002, les résultats négatifs cumulés atteignaient 10 millions d’euros. La faute à la crise, qui a stoppé net la montée en régime de l’agence. Mais aussi à des erreurs stratégiques, tels des frais de structure trop élevés ou l’acquisition à un prix surévalué d’une société italienne…

Pour pérenniser sa société, l’ex-leader cédétiste a dû adapter son modèle. Certes, les deux activités d’origine demeurent : d’un côté, la notation des performances RSE des sociétés cotées, vendue aux investisseurs financiers ; de l’autre, l’évaluation, à la demande des entreprises, de leur politique de développement durable. Mais l’agence a également diversifié son offre vers le conseil et élargi sa clientèle. En interne, la culture a aussi changé. « Au lancement, Nicole Notat voulait qu’on soit très robuste sur les questions de méthodologie. On a beaucoup travaillé sur le fond. Aujourd’hui, avec la pression sur la rentabilité, on se concentre davantage sur l’économique », observe Florence Fouquier, directrice de mission.

1-Industrialiser la notation ISR

Avec 75 milliards d’euros d’encours, le marché européen de l’investissement socialement responsable poursuit son essor entamé voilà dix ans. Une niche vitale pour Vigeo, qui réalise deux tiers de son chiffre d’affaires auprès des investisseurs et gestionnaires d’actifs. Le groupe occupe des positions fortes dans ses trois pays européens d’implantation – France, Italie, Belgique – mais marginales en Grande-Bretagne, où il s’apprête à ouvrir un bureau londonien.

Spécialisés par secteur d’activité, ses 36 analystes extra-financiers, répartis sur quatre sites, notent les performances RSE des 1 100 principales multinationales européennes et nord-américaines cotées. Leurs évaluations s’appuient sur une grille d’analyse interne répertoriant 6 domaines, 38 enjeux et 264 critères. « On a bâti notre méthodologie sur la traçabilité des informations, l’opposabilité des critères et la reproductibilité des résultats afin que nos opinions sur les entreprises soient le moins subjectives possible », affirme Fouad Benseddik, directeur des méthodes de Vigeo.

Les analystes suivent, au jour le jour, l’actualité de la trentaine de multinationales de leur portefeuille. Et ils participent à des « campagnes » pendant lesquelles ils passent en revue les entreprises d’un même secteur. Leur quotidien Explorer les sites Web des sociétés, avaler rapports d’activité et de développement durable, consulter des bases de données d’informations financières, dépouiller des questionnaires envoyés aux entreprises, interroger les parties prenantes. « En moyenne, un analyste consacre six jours à noter une entreprise, un peu moins quand il renote. Nous sommes très vigilants sur la gestion des temps », précise Estelle Mironesco, directrice de Vigeo rating.

Ce travail, fastidieux et répétitif, génère du turnover et, parfois, de la frustration. « Qui peut croire qu’on peut évaluer sérieusement, en quelques jours, une multinationale présente dans 50 pays ? Cette consolidation de données RSE, de surcroît non standardisées, n’a pas de sens ! » affirme ainsi un ex-analyste de la maison. La méthodologie respecte en tout cas les canons de la profession, ce qui lui a valu d’être certifiée en 2009.

Porte de Bagnolet, pas de place pour les états d’âme. Confrontée à la concurrence très agressive de Bloomberg, Thomson Reuters ou MSCI, l’agence de Nicole Notat s’emploie depuis plusieurs années à réduire les coûts, améliorer la productivité et étendre sa couverture. Sur les recommandations des consultants de Bain, sollicités en 2008, Vigeo a lourdement investi dans son système d’information pour accélérer la collecte des données, leur traitement et la production des scores.

Dans sa quête de réduction des coûts, il a aussi localisé une partie de l’activité rating dans sa succursale de Casablanca, en recrutant une dizaine d’analystes marocains. Enfin, l’agence s’efforce d’élargir, à prix très serrés, son portefeuille d’entreprises sous surveillance. Elle a ainsi développé une plate-forme extranet permettant aux entreprises de capitalisation moyenne d’entrer directement leurs données RSE. Et elle a noué, fin 2008, un partenariat avec une agence malaisienne, OWW, pour noter les 400 premières multinationales asiatiques. Un fournisseur dont la qualité des prestations, de l’aveu même de Nicole Notat, n’est pas à la hauteur de ses standards.

2-Diversifier l’offre auprès des entreprises

Dans le business plan initial de Vigeo, les marges dégagées par les missions d’audit devaient soutenir financièrement le développement de l’activité de rating. Mal vu ! Les premières n’ont globalement jamais gagné d’argent, pas même en 2010, où les piètres résultats de la filiale italienne ont grevé les comptes. Pour sortir le département du rouge, l’agence a fait profondément évoluer son modèle. Initialement, ses prestations portaient uniquement sur l’audit des performances RSE des entreprises, domaine par domaine, avec des notations à la clé. « On auditait pour mesurer les performances et faire des recommandations. Mais on s’interdisait d’intervenir ensuite, dans un rôle de conseil », se souvient un ancien. Des temps révolus. « On s’adapte aux besoins des clients. On peut parfaitement aider des entreprises qu’on a préalablement notées à améliorer leurs process. Mais on s’interdit, ensuite, de les réévaluer. Ou alors à des fins strictement internes, sans communication vers l’extérieur »,précise Sophie Thiéry, directrice de Vigeo enterprise.

Des principes d’intervention que l’agence gagnerait à afficher publiquement pour ne pas prêter le flanc à la critique. « Vigeo doit bien sûr veiller à ne pas devenir juge et partie. Mais l’agence a toujours inscrit ses interventions dans une logique de progrès. Ce qui la conduit naturellement à investir le terrain du conseil », approuve le cédétiste Gaby Bonnand, qui vient de céder son fauteuil d’administrateur à Véronique Descacq. À l’unisson, les clients se disent d’ailleurs demandeurs. « Vigeo ne peut pas nous noter puis s’en laver les mains. On a besoin de son aide pour progresser », résume l’un d’eux. Chez Vinci, on a résolu le problème autrement, en recrutant… deux auditrices qui ont évalué ses politiques de diversité !

Au-delà de l’audit, la maison accompagne aujourd’hui les directions sur tous les champs du développement durable : les achats responsables, la diversité, l’écoconception, l’intégration de critères RSE dans les rémunérations, la norme ISO 26000, le dialogue social, la gestion des eaux et même les risques psychosociaux. Depuis ses débuts, Vigeo enterprise, qui compte 16 auditeurs internes et sollicite ponctuellement trois anciens, a ainsi réalisé plus de 300 interventions. Auprès des grandes entreprises françaises et de leurs filiales étrangères, mais aussi auprès des collectivités locales, des ministères ou des acteurs du logement social.

Des prestations très franco-françaises, l’agence gérant l’essentiel de ses missions depuis ses bureaux dominant le périph parisien. Selon les marchés, ses concurrents se nomment BMJ Ratings, Afnor ou Ernst & Young. Cette diversification assumée a ses détracteurs. « Vous voulez un audit ? Un label ? Une certification ? Du conseil ? Pas de problème, Vigeo fait tout ! L’agence n’a plus de colonne vertébrale, son modèle est brouillé. Nicole Notat s’est fait manger par les dirigeants du CAC 40. Elle fait de la RSE sur un mode institutionnel, sans ambition, sans gêner personne », assène un fin connaisseur du secteur.

3-Développerla culture du business

Chez Vigeo, le principal commercial se nomme… Nicole Notat. Riche d’un formidable carnet d’adresses, l’ex-syndicaliste – qui a succédé, en janvier, à Denis Kessler à la présidence du très élitiste club Le Siècle – connaît tous les grands patrons français. Beaucoup sont d’ailleurs actionnaires de sa structure, à la création de laquelle Franck Riboud (Danone) et Gérard Mestrallet (GDF Suez) ont personnellement œuvré. Des contacts très utiles pour démarcher les entreprises et décrocher les premiers contrats. Les dirigeants politiques, aussi, la chouchoutent. Présidente du groupe de travail sur la « démocratie écologique » lors du Grenelle de l’environnement, Nicole Notat a également siégé de 2005 à 2010 au collège de La Halde, nommée par Nicolas Sarkozy. Des postes d’observation stratégiques… Dans le petit milieu de la RSE, cette proximité avec les décideurs agace. « Dans les starting-blocks, on part systématiquement avec un boulet aux pieds. Et on s’interroge tous sur les possibles conflits d’intérêts dans sa structure », juge l’un de ses rivaux. En interne, les troupes assurent, elles, que leur patronne n’intervient pas dans leurs dossiers et qu’elle les protège des pressions patronales.

Les directeurs du développement durable s’étonnent plus de la timidité – voire de la médiocrité – commerciale du groupe qu’ils ne se plaignent de son agressivité. « Ils sont béton en méthodologie mais nuls en affaires. Notat est une extraordinaire VRP mais ça ne suit pas derrière », lance même un gros client. Un constat confirmé en interne. « L’entreprise est très humble, elle n’accepte pas n’importe quoi pour faire du chiffre. C’est une grande qualité, mais elle doit devenir davantage business minded pour résister à la concurrence », analyse Ann-Katrin Dolium, auditrice senior et secrétaire… CGT du tout nouveau CE. Avec le récent départ du commercial grands comptes, l’intégralité des activités de prospection et de suivi des clients incombe désormais aux directeurs de mission de Vigeo enterprise. Depuis l’an dernier, ils bénéficient même d’une rémunération variable assise sur des objectifs commerciaux. « Risqué, commente une ancienne Vigéenne. Auditer et entretenir les relations commerciales, c’est un peu schizophrène ! » Parmi les ambitions de l’année 2011, faire passer le prix moyen de la journée facturée de 1 300 à 1 500 euros.

Du côté du rating, pas de double casquette. Les analystes et directeurs de recherche ne s’occupent pas des relations commerciales avec les investisseurs et les gestionnaires de fonds. Mais les notations qu’ils délivrent ne sont plus fournies gracieusement aux entreprises cotées, évaluées malgré elles. Celles-ci doivent désormais payer pour recevoir les détails de leurs scores et obtenir des analyses comparatives avec leurs concurrents. Efficace pour améliorer la rentabilité, mais pas pour satisfaire les dirigeants, qui râlent de payer aujourd’hui ce qu’ils avaient gratuitement hier. « On passe un temps fou à répondre à leurs questionnaires, qu’on doit en plus traduire en anglais à nos frais. On fait tout le boulot et on doit payer pour obtenir le résultat », s’emporte le Monsieur RSE de l’une des sociétés actionnaires de Vigeo. Curiosité, ces produits dérivés ne sont pas commercialisés par le département rating mais par celui de l’audit. Au risque de relancer les polémiques sur l’étanchéité de la muraille de Chine censée séparer les deux activités.

Arroseur arrosé

Pour noter les entreprises, Vigeo scrute leurs rapports d’activité. Les siens sont très perfectibles.

Société non cotée, Vigeo n’a aucune obligation d’éditer un rapport d’activité. Par souci d’exemplarité, elle s’y astreint pourtant depuis 2005. Les trois premiers crus sont de bonne facture. La société y détaille ses résultats financiers mais aussi sa politique de RSE en interne. Une rubrique qui disparaît en 2008. Dommage ! on aurait pu y apprendre que Vigeo avait perdu quelque 200 000 euros en Bourse sur des placements socialement pas très responsables touchés par la crise des subprimes. En 2009, ce sont carrément les comptes financiers qui deviennent opaques : ils tiennent, en tout et pour tout, en cinq lignes. Conséquence, aucune mention des 600 000 euros de dépréciation de la filiale italienne. Ni des 3 millions d’euros de perte nette, due (pour 2 millions d’euros) à la dépréciation du stock d’impôts différés générés par les déficits cumulés.

Répartition des 17,7 millions d’euros de capital de Vigeo (en %)
ENTRETIEN AVEC NICOLE NOTAT, PRÉSIDENTE DE VIGEO
“Après la crise, la RSE va revenir par la grande porte”

Vigeo a cumulé les pertes depuis sa création, en 2002. Sa survie est-elle en jeu ?

Pas du tout. L’exercice 2010 s’est soldé par un chiffre d’affaires en hausse de 19 % et un résultat net consolidé positif. Et 2011 s’annonce bien. Vigeo a maintenant fait la preuve de sa viabilité et entre dans une deuxième étape, qui vise à en faire un acteur global. Quand le secteur des agences de notation extrafinancière aura fini de se structurer, nous voulons être dans le top 3.

Vous ouvrez un bureau à Londres. Or les Anglais jugent incongru votre actionnariat, en partie composé de sociétés que vous notez

Nous venons de faire une superbe affaire avec un grand acteur financier anglais. Le sujet n’a pas été abordé une seule seconde. Nous n’avons jamais tenté de masquer la composition de notre capital, nous en faisons au contraire un atout. Le problème n’est pas de savoir s’il y a, ou non, un risque potentiel théorique de conflit d’intérêts : oui, il existe. Ce qui importe, c’est de le maîtriser.

Vigeo fait aussi du conseil. Le groupe a-t-il renoncé à devenir une vigie de la RSE ?

Non, c’est le travail quotidien de Vigeo rating. Du côté de Vigeo enterprise, la technique de l’audit, avec sa méthodologie très structurante, reste au cœur de notre savoir-faire. C’est le socle sur lequel on construit nos interventions. Mais on s’est aperçu que les entreprises nous sollicitent moins dans une perspective de communication que d’usage interne. Notre intervention est reçue comme une aide à l’action managériale, à la construction de plans d’action et à l’accompagnement de démarches de progrès.

Pendant la crise, les dirigeants ont gelé les budgets consacrés à la RSE. Le sujet resterait-il secondaire ?

Il y a une énorme hétérogénéité dans l’engagement des entreprises. Certaines sont encore dans la rhétorique, d’autres déjà dans l’intégration effective de la RSE à leur stratégie. Celles qui avancent le plus vite ne sont pas philanthropes. Elles ont compris que les questions de développement durable allaient remettre en cause leur modèle économique. Si la RSE a marqué une pause pendant la crise, elle va revenir par la grande porte.

Le patronat vient pourtant de faire un gros lobbying pour limiter ses obligations en matière de reporting RSE !

Il n’y a aucune raison de retarder le moment où les entreprises devront rendre compte de leurs actions. Ce n’est pas un service à leur rendre ; le Medef lui-même convient que la RSE est plus une opportunité qu’une contrainte. Lors du Grenelle de l’environnement, la demande d’un label RSE pour les PME a été clairement actée. Le reporting est une première étape.

Faut-il établir une liste d’indicateurs RSE s’imposant à toute entreprise ?

Certains vont de soi. Mais il est illusoire et contre-productif de croire qu’on peut lister quelques indicateurs simples et pratiques pour comparer les entreprises. Cela signerait la mort de la RSE. Les bons indicateurs ne se fixent pas par décret. Il faut les construire dans l’action, de façon sectorielle, par l’expérience.

On vous attendait en « poil à gratter » de la RSE. Or on vous entend peu. Pourquoi ?

Ce n’est pas parce qu’on crie fort qu’on est efficace. Compte tenu de mon passé syndical, j’ai été très attentive à ce qu’il n’y ait pas de confusion sur notre positionnement. Vigeo a dû faire la preuve qu’il était sur un registre à égale distance des entreprises et des parties prenantes. Notre vocation n’est pas de prendre position mais d’être un tiers impartial. La règle d’or pour être reconnu, c’est qu’il n’y ait pas de doute sur notre professionnalisme et notre indépendance.

Avez-vous hésité à prendre la présidence du Siècle ?

Oui. J’ai accepté car c’était l’occasion d’ouvrir davantage ce club vers des milieux peu sollicités comme les syndicats, les associations ou les mutuelles. J’aime rencontrer des gens d’autres horizons que le mien. Mais écouter et comprendre, ce n’est pas adhérer.

Vous allez avoir 64 ans. Pensez-vous à votre succession ?

Ce serait irresponsable de ne pas y penser, même si ce n’est pas pour demain. Je laisserai la place quand le groupe sera capable de voler de ses propres ailes. Mais si l’existence de Vigeo tient à mon nom, son image et sa réputation sont le fruit du travail des équipes.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux et Jean-Paul Coulange

NICOLE NOTAT

63 ans.

1969

Institutrice.

1978

Secrétaire du Sgen-CFDT de Lorraine.

1985

Secrétaire nationale chargée de l’enseignement.

DE 1992 à 2002

Secrétaire générale de la CFDT.

DEPUIS 2002

Présidente de Vigeo.

DE 2005 à 2010

Membre du collège de la Halde.

DEPUIS 2011

Présidente du Siècle.

Auteur

  • Stéphane Béchaux