logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

La Poste se transforme, les postiers trinquent

Politique sociale | publié le : 01.05.2011 | Éric Béal

La Poste fait sa mue. Baisses d’effectifs et réorganisations en chaîne sont devenues le lot des postiers. Leurs conditions de travail se détériorent et, avec, leur santé.

Début janvier, un fonctionnaire sans histoire travaillant au bureau de Vitrolles a mis fin à ses jours en se jetant sous un TGV. Non sans avoir envoyé une lettre à sa direction pour expliquer son geste. Selon les responsables des syndicats de postiers des Bouches-du-Rhône, il ne fait aucun doute que ce drame est lié au vécu professionnel de la personne. Après des réorganisations successives et des suppressions de postes au sein de son bureau, ce caissier de 56 ans s’est retrouvé seul pour gérer les distributeurs de billets et contrôler les fonds de la caisse générale. Il devait également aider ses collègues du guichet, eux aussi en sous-effectif. Une situation génératrice de stress que cet aspirant à une préretraite n’a pas supportée. Pour Jacques Dumans, secrétaire général de FO Com, ce drame n’est malheureusement pas isolé. « En 2009, nous avons recensé un peu plus de 70 suicides pour environ 290 000 postiers en comptant les filiales. C’est largement au-dessus des statistiques nationales », estime-t-il. À ses yeux, si La Poste n’est pas directement responsable, « dans la plupart des cas, il y avait un dénominateur commun lié au travail ». Un scénario qui ressemble à s’y méprendre à celui de France Télécom, une entreprise issue du même giron et jetée elle aussi dans le grand bain de la concurrence.

Départs à la retraite. Selon une majorité de représentants syndicaux, on assiste à une augmentation continue du nombre de tentatives de suicide parmi les postiers. Mais certains se montrent prudents sur les chiffres avancés. « Nous n’avons pas de visibilité sur la question car la direction refuse de mettre en place un outil statistique », indique Hugo Reis, secrétaire fédéral de SUD PTT. Tous les syndicalistes évoquent la recherche systématique de rentabilité et la baisse des effectifs pour expliquer une détérioration générale des conditions de travail susceptible de peser sur le moral des troupes. « La direction profite des nombreux départs à la retraite. En 2010, nous avons perdu 11 700 postes de travail, contre une moyenne de 10 000 ces dernières années. À quoi s’ajoutent les fermetures de postes en zone rurale. Certains agents tournent aujourd’hui sur quatre ou cinq bureaux différents », dénonce Hugo Reis. De son côté, Colette Duynslaeger, secrétaire générale de la Fapt CGT, souligne que le système d’« entraide » mis en place pour faire face aux absences dans le service courrier (voir encadré page 32) n’arrange rien. « En cas d’absence d’un facteur, sa tournée est divisée et redistribuée à ses collègues. Du coup, les amplitudes horaires moyennes augmentent et les heures supplémentaires ne sont ni rattrapées ni payées. »

Cette analyse pessimiste est confortée par les données figurant au bilan social 2009 du groupe. Pour les fonctionnaires comme pour les contractuels de droit privé. Chez les premiers, le nombre de jours d’absence pour accident du travail ou de trajet est passé de 324 600 en 2007 à 332 270 en 2009. Dans la même période, les absences de contractuels se sont accrues de 43 670 jours pour culminer à 346 240 jours. Parallèlement, si le nombre de jours d’arrêt pour maladie a baissé chez les fonctionnaires (de 3,44 à 3,13 millions), celui des contractuels a fait un bond, passant de 1,78 à 2,06 millions. Dans une lettre adressée en avril à Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste, le syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste interprétait cette détérioration des indicateurs de santé au travail comme le résultat, entre autres, « d’une forte pression commerciale individuelle et quotidienne […] exercée sur les guichetiers » ainsi que d’organisations du travail « de plus en plus virtuelles ». Ces dernières engendrent des dépassements d’horaires de travail réguliers et non rémunérés au service courrier, ainsi qu’un report massif des repos compensateurs chez les facteurs.

Sans nier la détérioration des indicateurs, Pascale Duchet-Suchaux, la directrice de la prévention de la santé et de la sécurité au travail du groupe La Poste, insiste sur les engagements pris par le groupe et résumés dans le nouveau plan « santé-sécurité au travail » pour la période 2010-2013. Trente-six mesures sont prévues, parmi lesquelles une évaluation annuelle des risques professionnels dans tous les établissements, la dotation d’équipements de protection individuelle, l’acquisition de véhicules de service adaptés à l’activité courrier et colis ou encore des formations de la ligne managériale à la prévention des risques psychosociaux et à l’écoute. La direction s’engage également à respecter un délai de dix-huit mois entre deux réorganisations « significatives » d’un service.

La Poste s’est engagée à respecter un délai de dix-huit mois entre deux réorganisations “significatives” d’un service

« Un réel problème de confiance ». Des efforts en partie virtuels pour Jean-Paul Kaufmant. Invité, fin juin, à s’expliquer devant la mission parlementaire sur le mal-être au travail, le président du Syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste a expliqué que, en dépit des investissements réalisés par l’entreprise pour améliorer les matériels, « le problème réside dans le fait que les règles mises en place pour protéger les agents dans le cadre de la réorganisation du travail ne sont pas respectées, que ce soit l’usage de certains matériels ou l’intensité du travail. Il y a donc un réel problème de confiance des personnels vis-à-vis de leur entreprise ». Ce point de vue est partagé par les représentants de la CGT-FO, qui n’hésitent pas à faire le parallèle avec l’histoire récente de France Télécom. Mais les responsables de la CFDT et de SUD ne vont pas jusque-là. « Les deux entreprises sont issues de l’administration des PTT d’avant la réforme Quilès en 1990. Le réflexe de comparer leur évolution respective est bien compréhensible. Mais nous n’avons pas eu de changement de métier aussi important qu’à France Télécom et le management n’a pas pour objectif de faire pression sur les équipes pour multiplier les départs », indique Alain Barrault, secrétaire fédéral de la F3C CFDT. Le cédétiste ajoute cependant que « les métiers de La Poste évoluent tout de même très vite et les changements organisationnels qui en découlent mettent à mal les conditions de travail des postiers ».

Tout cela, Foucauld Lestienne, directeur délégué aux ressources humaines du groupe, ne le dément pas. Il rappelle toutefois à ses interlocuteurs syndicaux que La Poste est dans l’obligation d’évoluer pour résister à son environnement concurrentiel. « Nous nous attendons à une baisse de 30 % de l’activité courrier d’ici à 2015, due en particulier à la dématérialisation des courriers de gestion, rappelle-t-il. D’ores et déjà, la marge d’exploitation de ce métier a baissé de 7 % à 1,3 % entre 2008 et 2010. Si nous ne réagissons pas, c’est tout le service public du courrier qui risque d’être fragilisé. » Le DRH se veut cependant pragmatique et rassurant : « Nous ne cherchons pas à faire de la productivité à tout prix. Pour développer l’activité de La Poste, nous avons besoin de maintenir une vraie qualité de service. Or celle-ci dépend de la santé des salariés et de leur implication envers la clientèle. » Et de rappeler qu’en 2011 le groupe a prévu d’embaucher 4 000 salariés en CDI et 2 500 en contrat de professionnalisation pour compenser les départs en nombre plus important de l’année précédente. « Nous souhaitons également élever la qualification des employés. Nous avons créé deux nouvelles fonctions pour les facteurs, afin de faciliter les progressions de carrière. Et, l’an dernier, 75 000 postiers ont bénéficié d’une prime calculée en fonction de la qualité de service, dont le montant pouvait atteindre 450 euros », ajoute Foucauld Lestienne.

Le discours ne convainc pas Hugo Reis. Le syndicaliste accuse la direction de vouloir mettre les agents en concurrence avec le système de primes sur objectifs par équipe. Il déplore également l’absence de décompte des heures de travail. « Sans vérification des horaires effectués, difficile de démontrer les nombreux dépassements. Sans compter que, dans certains établissements, la direction explique que, s’il y a dépassement, c’est que les collègues ne savent pas travailler. »

Déséquilibres entre bureaux. À la CFDT, on souligne aussi la difficulté de maintenir un équilibre des effectifs dans chaque bureau en fonction des départs. « La direction respecte son engagement de ne pas forcer à la mobilité géographique. Or les directeurs régionaux ont des objectifs fermes visant au non-remplacement des départs à la retraite. Cela peut créer des déséquilibres importants entre les bureaux », note Alain Barrault. Consultant spécialisé dans la reconnaissance au travail et créateur du cabinet VPHR, Christophe Laval réalise des missions pour La Poste depuis deux ans. À ses yeux, l’obligation de performance n’empêche pas la majorité des responsables de faire évoluer l’entreprise sans oublier sa culture sociale. « Tout n’est pas rose, mais la direction n’a jamais eu la volonté de repartir de zéro en oubliant le passé, comme à France Télécom », estime-t-il. À la DRH, on laisse entendre que le comité directeur du groupe a l’intention de remettre des indicateurs de performance sociale dans les critères d’évaluation des managers et des directeurs de plate-forme de tri. Si cette décision se concrétise, Jean-Paul Bailly ne devra pas oublier d’octroyer une certaine marge décisionnelle à ses managers. Afin qu’ils puissent recréer de la convivialité et redonner du sens à l’activité de chacun. Deux conditions indispensables pour aider les postiers à accepter les changements de leur environnement de travail.

70 suicides, c’est le décompte fait par la fédération FO Com pour l’année 2009, sur une population totale de 290 000 postiers.

Tournées sécables et facteurs corvéables

Il est bien loin le temps où le facteur pouvait travailler toute sa vie sur la même tournée. Certains « usagers » finissaient par l’accueillir en ami. En cas d’absence, le facteur savait éventuellement trouver le destinataire d’un recommandé au bistrot du coin ou dans l’atelier à deux pas. Les changements étaient cependant possibles. « À cette époque, on disait qu’un facteur achetait sa tournée », explique Alain Barrault (CFDT). Ce terme ne correspondait pas à une transaction financière mais plutôt à une promotion suivant un système de classement en fonction de l’ancienneté. Une tournée était « proposée à la vente » et les facteurs pouvaient revendiquer son attribution. « Les facteurs géraient leur tournée de façon très indépendante, ce qui explique peut-être ce vocabulaire particulier », hasarde le cédétiste. Puis La Poste a signé un accord RTT. Les cycles de travail ont été réorganisés pour y incorporer quelques jours de récupération, en fonction de l’accord local. Les facteurs ont accepté de prendre en charge une partie de la tournée du collègue absent pour cause de RTT. « Mais les journées chargées étaient toujours compensées par des journées comme le lundi, où le volume de lettres était plus réduit », précise Norbert Demé (FO). Reprise par la direction, cette idée de tournée « sécable » a été théorisée en 2006 dans le programme « Facteur d’avenir ». Outil de « modernisation de la distribution » grâce, notamment, à une organisation du travail en équipe, Facteur d’avenir organise l’autoremplacement au sein d’un bureau, de manière à diminuer le nombre de remplaçants. Sur le terrain, les jours moins chargés ont disparu et les facteurs subissent un alourdissement de la charge de travail et un allongement régulier des tournées.

Auteur

  • Éric Béal