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“Il ne fait pas bon être jeune dans un pays vieillissant”

Actu | Entretien | publié le : 01.04.2011 | Sandrine Foulon, Nicolas Guerbe

Le sociologue milite pour une formation initiale différée. Afin de permettre aux jeunes de mieux s’insérer sur un marché de l’emploi qui leur reste fermé.

Les jeunes Français ont-ils raison de redouter un déclassement ?

Même si le chômage des jeunes ne date pas d’hier, on peut comprendre leur angoisse. Il existe une vraie rupture entre les générations nées dans les années 40 et celles nées après 1960. Pour les premières, les mobilités en cours de carrière pouvaient intervenir tardivement. Pour les secondes, l’essentiel des mobilités ascendantes sont terminées à 40 ans, d’après l’Insee. Lorsqu’on sait que l’âge moyen du premier CDI se situe à 28 ans et que tout se joue dans les premières années d’un parcours professionnel, on mesure tout le stress des jeunes et de leur famille autour de l’enjeu scolaire.

Dans votre ouvrage Tous dans la rue, vous incriminez le système scolaire…

La France est, avec la République tchèque, le pays où l’origine sociale pèse le plus sur la réussite scolaire. Le diplôme ne se décroche qu’à l’issue d’une compétition biaisée dès la maternelle. La méritocratie est un mythe. La reproduction sociale chère à Bourdieu est toujours d’actualité. 75 % des enfants d’ouvriers exercent un métier d’exécution, cinq à huit ans après la fin de leurs études. Ils étaient 80 % il y a trente ans. Les progrès sont minimes.

Comment y remédier ?

Arrêtons de tout miser sur le diplôme de formation initiale. Dans d’autres pays, les jeunes sont moins pessimistes car ils savent qu’une vraie seconde chance est possible. Ce n’est pas le cas chez nous. Nous devrions pouvoir instaurer un système de formation initiale différée, des droits de tirage qui permettraient aux individus de se former et de rebondir toute leur vie. Les DIF et autres VAE ne sont pas suffisants. Intéressons-nous au cœur du sujet et pas à l’élite, aux 85 000 jeunes de prépas. Permettre à une poignée de jeunes de banlieue d’accéder à Sciences po, c’est bien, mais cela ne résoudra pas le problème des 170 000 décrocheurs qui quittent chaque année le système scolaire sans qualification.

Nos voisins européens s’en sortent-ils mieux ?

La sociologue Cécile Van de Velde a étudié l’accès des jeunes à l’autonomie en Europe. Dans les pays scandinaves, elle s’acquiert grâce à une forte intervention de l’État qui ouvre des droits dès l’âge de 18 ans avec une allocation d’autonomie. Au Royaume-Uni, elle passe par des prêts bancaires et les jobs étudiants, même si aujourd’hui les jeunes Britanniques se plaignent de commencer leur vie surendettés. Dans les pays latins, ce passage est assuré et assumé par les familles. Les jeunes restent chez leurs parents le temps d’accumuler suffisamment de ressources. Aucune solution n’est parfaite mais la spécificité française est d’opter pour un modèle hybride : un peu d’État avec un RSA jeune très restrictif, un peu de prêts et de bourses pour les bons élèves des bonnes écoles et, enfin, la famille, bien que ce ne soit pas du tout assumé. On raille les « Tanguy ». Les jeunes Français sont pris entre des injonctions contradictoires : être autonomes mais sans les moyens qui le permettent. Je réfute l’idée d’une guerre intergénérationnelle, les vieux empêchant les jeunes de travailler. Les seniors vivent les mêmes dynamiques et sont également licenciés. En revanche, il faut s’interroger sur la place que les baby-boomers laissent aux jeunes. En politique, l’exemple est frappant. Ce sont les trentenaires qui, en 1977, ont remporté les élections municipales. Ils ont construit et permis la victoire du PS en 1981. À l’époque, on comptait un député de moins de 40 ans pour un de plus de 60 ans. Aujourd’hui, l’écart est de un pour neuf ! Ces élus de 1977 sont toujours en place. La relève a du mal à percer. On peut faire l’hypothèse d’un schéma assez semblable en entreprise.

De la Grèce à la Tunisie, la jeunesse s’est révoltée. Un embrasement peut-il se produire en France ?

Ne confondons pas les jeunes qui vivent dans des régimes démocratiques et ceux qui subissent une dictature. Quant à prédire une explosion, c’est toujours périlleux de faire des prédictions ! Néanmoins, les chiffres du chômage dans les ZUS – 44 % des jeunes hommes sans emploi –, la paupérisation croissante des jeunes, qui ont supplanté les retraités dans ce domaine, ou encore la récente mobilisation des lycéens lors de la réforme des retraites sont des signes que cette tranche d’âge n’est pas passive. Et qu’elle se radicalise. En 1990, 7 % des jeunes se disaient proches de l’extrême gauche. Ils sont aujourd’hui 13 %, selon le chercheur Olivier Galland. Et, à l’autre bout du spectre, 29 % des jeunes qui n’avaient pas le bac en 2002 ont voté Le Pen au second tour de la présidentielle, relève le sociologue Louis Chauvel. La peur du chômage, du déclassement, explique sans doute cette dérive inquiétante. Il ne fait pas bon être jeune dans un pays vieillissant.

CAMILLE PEUGNY

Sociologue.

PARCOURS

Maître de conférences à Paris VIII, Camille Peugny a beaucoup travaillé sur les inégalités entre les générations. Il a publié le Déclassement (Grasset, 2009) et a participé à l’ouvrage collectif Tous dans la rue : le mouvement social de l’automne 2010 (Seuil, 2011) où il revient sur les raisons qui poussent les jeunes à se radicaliser.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Nicolas Guerbe