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Vie des entreprises

Le patron de SGS conjugue culture de groupe et gestion locale

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.03.2011 | Éric Béal

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En six ans, les effectifs de SGS France ont pratiquement doublé

Crédit photo Éric Béal

Leader du contrôle et de la certification, SGS se porte bien. À sa tête, Fabrice Egloff vise à harmoniser la GRH du groupe. Pas simple quand le management est entrepreneurial et décentralisé. Et il peine à fidéliser les techniciens.

Henri Goldstuck était un pragmatique. En créant la Société générale de surveillance, à Rouen, en 1878, cet émigré ukrainien souhaitait contrôler l’avoine qu’il importait de son pays d’origine pour nourrir les chevaux des fiacres parisiens. Loin de disparaître avec l’arrivée des moteurs à explosion, le contrôle des marchandises a connu depuis cette époque un développement régulier, parallèle à l’essor du commerce international.

Cent trente-trois ans plus tard, Fabrice Egloff est tout aussi réaliste. Ce spécialiste du commerce international et des biens de consommation pilote la filiale française de SGS en fonction des besoins de ses managers opérationnels. Installé à Genève, en Suisse, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le groupe SGS est devenu le leader mondial du contrôle et de la certification. Il emploie 64 000 salariés dans le monde. Et 2 471 personnes en France dans des laboratoires, des centres de contrôle, sur les sites de ses clients et partout où des marchandises arrivent sur le sol français ou partent à l’étranger.

Les techniques de calcul pour évaluer les quantités de marchandises en vrac ont été appliquées aux minerais ainsi qu’aux produits pétroliers et chimiques. Mais les « inspecteurs » de SGS interviennent maintenant dans l’industrie, la pharmacie, les biens de consommation, l’automobile, l’industrie agroalimentaire ou encore la certification ISO. Seul point commun, le fait de vérifier la correspondance entre ce qui a été commandé et le produit livré ou la méthode employée pour le fabriquer. Car les savoir-faire techniques diffèrent sensiblement et les salariés sont disséminés dans de multiples filiales. Un problème quand on prétend unifier la gestion des ressources humaines et créer une culture managériale de groupe.

1-Garder un mode de management entrepreneurial

Le législateur est souvent le meilleur VRP des spécialistes du contrôle. À force de multiplier les obligations concernant la sécurité des produits, les contraintes en matière de développement durable et de sécurité des installations, il empile les réglementations synonymes d’ouverture ou d’élargissement des marchés. La tendance est mondiale et le groupe SGS prévoit une croissance de plus de 60 % de ses effectifs mondiaux dans les quatre prochaines années. D’ici à 2014, la direction générale de Genève s’est fixé un objectif de 8 milliards de francs suisses de chiffre d’affaires (6,1 milliards d’euros), contre 4,8 milliards aujourd’hui (3,7 milliards d’euros).

En France, ce dynamisme autorise une organisation plutôt complexe. Depuis 1997, SGS France est constitué de sociétés juridiquement séparées : 25 fin 2010, dont 18 opérationnelles, un holding, des sociétés immobilières et SGS Management Services, qui salarie tous les présidents de société du groupe, les responsables des fonctions support et un certain nombre d’experts. À la tête de ces sociétés par actions simplifiées, des présidents qui rendent directement compte à Fabrice Egloff, le boss de SGS France, basé dans le nouveau siège flambant neuf d’Arcueil. Officiellement, cette organisation « responsabilise les dirigeants ». « Ce fonctionnement est très motivant, confirme François Barthélémy, patron de SGS Agri Min. Je suis responsable de mon activité, de la stratégie aux plans d’action commerciaux, en passant par les moyens techniques mis en œuvre, du management opérationnel aux investissements à moyen et long terme. » C’est dire si le mode de management est entrepreneurial. Tout remonte au patron de filiale. D’autant plus rapidement que SGS se targue d’un nombre restreint de niveaux intermédiaires.

De fait, une majorité de cadres dirigeants ont fait leurs classes dans le groupe en France. « SGS ne choisit pas forcément ses dirigeants en fonction de leur diplôme. Pour être promu, il faut avoir fait ses preuves et obtenu de bons résultats », explique Philippe Fusiller, à la tête de SGS ICS, une société spécialisée dans les certifications. Fabrice Egloff lui-même est entré en 1995 dans le groupe, au poste de responsable des opérations de SGS CTS. « Nous cherchons des compétences managériales en interne. Autant conforter les managers qui comprennent notre culture d’entreprise », confirme Francis Bergeron, DRH en France depuis vingt-deux ans.

Inconvénient de cette consanguinité des cadres dirigeants : elle limite leur capacité à innover dans un mode de management très orienté business, où les résultats financiers priment avant tout. « Le groupe entretient un certain stress. Nous subissons une pression constante pour atteindre les objectifs de chiffre d’affaires fixés chaque année », déplore Christian Caville, représentant CFTC chez SGS Qualitest Industrie.

2-Harmoniser la GRH

Chez SGS, la fonction RH n’est pas une sinécure. Chargée des ressources humaines de SGS Monitoring, de SGS Multilab et de SGS CTS, Florence Charles préside quatre CE par mois et trois CHSCT par trimestre. Elle est également directrice de la convivialité du groupe en France, chargée de la communication interne. Francis Bergeron supervise directement SGS ICS, SGS Aster, SGS Cephac Europe et SGS Life Science Services. « Si vous ne vous prenez pas par la main, il ne se passe rien en matière de GRH », résume un manager. « Nous donnons un cadre, mais c’est le manager responsable de la société qui décide. Nous nous interdisons d’imposer une décision aux managers », précise le DRH France. Pour autant, la fonction ressources humaines ne se limite pas à établir les fiches de paie et à enregistrer les arrivées et les départs. « Nous avons des structures juridiques différentes, mais nous souhaitons développer une approche managériale commune », assure Francis Bergeron.

Depuis trois ans, les premières étapes du recrutement sont centralisées grâce à un outil de gestion des candidatures. « Nous fonctionnons comme un cabinet de recrutement, explique Isabelle Bernard, la directrice du développement RH. Les CV reçus sur le site sont traités automatiquement et les candidats qui nous intéressent sont reçus par un chargé de recrutement maison. » Entretien, tests et présélection sont réalisés en interne. Mais le responsable opérationnel est décisionnaire en dernier ressort. Les nouveaux arrivants bénéficient d’un cursus d’intégration avec livret d’accueil et stage de connaissance du groupe. L’informatisation progressive des processus de GRH permet également d’utiliser les données collectées lors des entretiens annuels, notamment pour l’établissement du plan annuel de formation.

Actuellement, seule la hiérarchie est en mesure de consulter ces informations. « Mais nous avons l’intention d’équiper l’ensemble de nos inspecteurs en informatique dans les deux ans qui viennent », indique Isabelle Bernard. À terme, la préparation des entretiens annuels donnera lieu à un échange entre collaborateur et responsable hiérarchique, avec autoévaluation de la performance pour l’année et propositions d’engagement du collaborateur.

3-Déminer le dialogue social

Chez SGS, l’ambiance policée des réunions du comité de groupe ne correspond pas forcément à celle qui règne entre direction et syndicats dans les différentes sociétés. Si Bruno Mardirossian, DS CFDT chez SGS OGC (pétrole, gaz et produits chimiques), apprécie le sens du dialogue de Claude Cardon, son président, d’autres représentants syndicaux estiment que leur carrière et leur rémunération pâtissent de leur engagement. « Plus nous connaissons le Code du travail et plus nous sommes considérés comme des empêcheurs de tourner en rond », résume Jean-Michel Socrier, DS CGT chez SGS Aster. Christian Caville, représentant CFTC à SGS Qualitest Industrie (contrôle d’installations par radiologie, ultrasons, etc.), évoque des discriminations à l’encontre des représentants syndicaux. « Je n’ai pas eu d’augmentation depuis dix ans », dit-il. Ajoutant que sa direction ne supporte pas la contradiction : « Mon président se met tout de suite en colère lorsqu’un syndicaliste ne partage pas ses vues. »

Pour autant, Francis Bergeron peut revendiquer la signature de plusieurs accords importants : GPEC et emploi des seniors, emploi des personnes handicapées, modernisation du dialogue social, « convivialité au travail ». À part le texte sur les seniors, tous ont été signés par la CFTC et FO. Les non-signataires dénoncent des accords sans amélioration par rapport à la loi, ou bien partiels. Notamment s’agissant de la modernisation du dialogue social. « Il se résume à la possibilité de recruter par CDD à objet défini. C’est très réducteur par rapport à l’esprit de la loi », dénonce Anita Hodak, DS CFDT.

Les négociations annuelles obligatoires font aussi l’objet de critiques. Le niveau – fluctuant – des augmentations n’est pas en cause. Mais plutôt les conditions dans lesquelles certaines NAO se déroulent. « Cette année, Francis Bergeron les a ouvertes le 5 janvier chez Aster, en précisant qu’elles devaient être bouclées le 14. Nous avions au préalable demandé à connaître le montant des salaires hommes-femmes par niveau de classification. Nous attendons toujours la réponse », dénonce Jean-Michel Socrier. Même constat de Christian Caville : « Notre DRH nous a remis des informations concernant la structure salariale de l’ensemble du groupe et rien concernant Qualitest Industrie. » Représentant FO, présent depuis trente-trois ans chez SGS, Patrick Baranger n’a pas souhaité s’exprimer.

4-Rendre les métiers plus attractifs

En France, SGS devrait augmenter ses effectifs de quelque 900 salariés d’ici à 2014. Une perspective qui n’effraie pas Francis Bergeron. « Nous avons connu une progression de notre effectif de 77 % dans les sept dernières années. Nous continuerons simplement sur notre lancée », indique-t-il. Reste que certains managers sont sceptiques. « La direction générale compte beaucoup sur les besoins des clients et la présence de nouveaux diplômés disponibles pour un prix raisonnable sur le marché du travail, souligne l’un deux. Mais, pour vendre du savoir-faire intellectuel, il faut du personnel motivé. Si nous ne faisons pas d’efforts, nous risquons une perte de motivation. » Fabrice Egloff semble partager la même analyse. Il y a quelques mois, il a nommé un directeur de la convivialité. Cela suffira-t-il pour faire baisser le turnover, qui navigue entre 6 et 10 %? Une fois formés aux subtilités du contrôle qualité, les jeunes diplômés partent régulièrement valoriser leur savoir-faire chez les clients.

Une hémorragie que la maigre convention collective du Syntec, qui couvre la plupart des salariés, n’aide pas à combler. L’harmonisation des statuts avec les trois autres CCN présentes (pharmacie, métallurgie et services automobiles) fait du surplace. Quand elle ne donne pas lieu à des tensions. Le CE de SGS Aster, entité de 128 salariés spécialisée dans les essais cliniques, a repoussé l’adoption de la CCN du Syntec en 2006. « Nous souhaitions conserver nos 11 jours de RTT et ne pas en perdre un pour compenser la première journée d’un éventuel arrêt maladie », relate Anita Hodak, DS CFDT. De la même façon, la gestion des heures supplémentaires varie considérablement d’une entreprise à l’autre. Chez SGS Qualitest Industrie, la tendance est à la récupération plutôt qu’au paiement ou à l’utilisation du compte épargne temps (CET). Chez SGS ICS (certification), les heures supplémentaires sont planifiées un mois à l’avance, quitte à rectifier le mois d’après. Ailleurs, elles alimentent le CET des quinquas.

Parce qu’il n’existe pas de formation de contrôleur, SGS France recrute principalement des futurs techniciens de niveau bac + 2. « Nous embauchons de jeunes diplômés avec un bon niveau d’anglais et nous les formons en interne. Pour les contrôleurs, nous avons mis en place des formations qualifiantes de douze à dix-huit mois en alternance avec du tutorat », explique Florence Charles. L’entreprise recrute également des jeunes commerciaux. Devenues expertes, les nouvelles recrues qui restent feront peut-être partie des hauts potentiels que SGS France essaie de fidéliser en leur promettant une progression de carrière dynamique. Mais le manque de spécialistes expérimentés conduit les services RH à proposer de faire du rab aux seniors qui partent à la retraite. Engagés en contrat de vacation, ils servent aussi de coachs aux nouveaux recrutés.

C’est le cas de Francis Lalanne, inspecteur chez CTS, qui examine tout type de biens de consommation ou de produits agroalimentaires pour le compte de la grande distribution. Parti tôt le matin, il passe souvent toute la semaine hors de chez lui pour se rendre sur les lieux de ses contrôles. « Les clients sont de plus en plus exigeants sur la qualité de nos interventions, alors que les jeunes apprécient moyennement de travailler loin de chez eux. C’est difficile de les enthousiasmer pour le métier », avoue-t-il. À moins de proposer des salaires plus attractifs ou de s’atteler à l’amélioration des statuts et des conditions de travail. Des chantiers que Fabrice Egloff n’a, pour le moment, pas classé dans ses priorités.

Repères

L’organisation de SGS en France s’articule entre 18 structures juridiques différentes.

Ces sociétés par actions simplifiées sont, elles-mêmes, rassemblées en 10 pôles d’activité spécialisés :

– pétrole ;

– inspection non destructive en milieu industriel ;

– contrôle technique automobile ;

– agriculture et minerais ;

– environnement ;

– laboratoires travaillant pour diverses sociétés du groupe ;

– pharmacie, biologie, essais cliniques ;

– biens de consommation ;

– certification ;

– enfin, une activité à l’export auprès des gouvernements, administrations et institutions internationales.

Les sociétés qui constituent la galaxie SGS emploient, pour l’essentiel, des salariés itinérants (1 500 contrôleurs et 100 commerciaux). Le reste de l’effectif est composé de personnels de laboratoires et techniciens sédentaires (500 au total), et de salariés dans les fonctions support (300).

En six ans, les effectifs de SGS France ont pratiquement doublé
FABRICE EGLOFF, PRÉSIDENT DE SGS FRANCE
“La culture de groupe ne passe pas uniquement par la DRH”

Comment SGS a-t-il traversé la crise ?

Nous avons connu un tassement de notre activité, en passant d’une croissance de deux à un chiffre. Nous sommes privilégiés car les procédures de certification et de garantie de la qualité des produits se multiplient. Nous allons de nouveau initier un processus de croissance forte grâce au plan quadriennal d’acquisitions et de recrutements décidé par la direction mondiale. En France, nous pourrions atteindre 3 300 salariés en 2014.

Votre organisation a-t-elle toujours été aussi décentralisée ?

Avant 1997, notre entreprise était très intégrée. Puis nous avons connu une filialisation accélérée, au point de compter une trentaine de sociétés juridiquement séparées. Depuis mon arrivée, il y a deux ans, nous avons simplifié l’organisation et nous n’avons plus que 18 sociétés juridiquement indépendantes. C’est une situation équilibrée qui fonctionne bien.

Cette filialisation ne complique-t-elle pas le travail de vos services transversaux, notamment de la DRH ?

Bien sûr, cela alourdit les processus administratifs et la GRH, mais les enjeux et les contraintes de nos 10 métiers sont tellement différents que la flexibilité est nécessaire pour nous adapter aux besoins de la clientèle. Toutes nos filiales n’ont pas les mêmes contraintes de fonctionnement. Certaines ont des métiers très saisonniers, d’autres doivent organiser des astreintes pour répondre à la demande 24 heures sur 24. C’est pourquoi leurs accords de RTT sont distincts.

Ces différences sont-elles source de mécontentements et de départs ?

Les spécificités sont attachées aux métiers et, à ma connaissance, personne ne se sent lésé. Quant au turnover, ce n’est pas un problème. Nous sommes montés à 10 % dans certains métiers, mais cela offre des opportunités de carrière aux collaborateurs qui souhaitent rester. Par ailleurs, nos anciens salariés deviennent souvent nos clients. Bien entendu, nous devons faire en sorte que cela ne s’aggrave pas. Surtout dans les métiers en pénurie comme le nucléaire.

Vous insistez sur la construction d’une culture de groupe. Comment procédez-vous ?

Nous faisons converger l’organisation commerciale. Un même commercial peut proposer à un client des services correspondant à plusieurs métiers et à plusieurs sociétés du groupe. Au niveau technique également, les laboratoires peuvent travailler pour plusieurs sociétés internes. Enfin, nous avons mutualisé tous les services transversaux, de la DRH à l’informatique en passant par la direction financière, le juridique et le développement durable. La culture de groupe ne passe pas uniquement par l’action de la DRH. Nous organisons régulièrement des conférences managériales communes auxquelles sont conviés tous les présidents et leurs collaborateurs directs. C’est ensuite à chaque dirigeant d’instiller cette culture dans les filiales qui sont sous sa responsabilité. Par ailleurs, notre organisation en filières métiers nous conduit à mélanger les équipes. À Aix-en-Provence, par exemple, notre agence accueille des équipes de trois filiales différentes. Ce qui permet une uniformisation des méthodes managériales.

Vous avez signé des accords sur les seniors, les handicapés et la convivialité. Ces obligations légales sont-elles un aiguillon efficace ?

Le Code du travail contient beaucoup de contraintes inutiles. Les textes juridiques alourdissent la gestion sans toujours générer de valeur pour l’entreprise. Mais, en même temps, il n’est pas inintéressant de pousser les entreprises à dialoguer avec leurs collaborateurs sur des problèmes comme le stress, par exemple. Nous avons délibérément choisi de prendre ce sujet sous l’angle positif de la convivialité au travail et non pas sous son aspect anxiogène.

Les contraintes sur l’apprentissage devraient également se renforcer. Est-ce une bonne chose à vos yeux ?

Les généralisations sont dangereuses. Tous les secteurs n’ont pas les mêmes besoins. Nous utilisons le système d’apprentissage dans le secteur nucléaire car nous avons du mal à recruter des personnes qualifiées mais, pour d’autres métiers, nous n’avons pas de besoins.

Propos recueillis par Éric Béal et Sandrine Foulon

FABRICE EGLOFF

41 ans.

1995

Intègre le groupe SGS comme responsable des opérations de SGS CTS.

2002

Devient président de SGS CTS France et directeur commercial de CTS Europe.

2005

Promu P-DG de SGS Hong-Kong et reste quatre ans en Chine.

2009

Nommé président du groupe SGS France.

Auteur

  • Éric Béal