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Politique sociale

Des contrats de santé moins solidaires

Politique sociale | publié le : 01.03.2011 | Anne-Cécile Geoffroy

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Part de marché des différents organismes assureurs pour les contrats collectifs (en %)

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Avec les couvertures collectives obligatoires, les entreprises sont plus regardantes sur les prestations. Mais elles recréent de l’individualisation via les formules de cotisation offertes.

Marie*, salariée de LCL, digère mal la nouvelle mutuelle obligatoire du groupe bancaire. Elle y cotise depuis le début du mois. « L’accord signé avec les syndicats oblige ma fille étudiante et majeure à s’affilier à cette mutuelle. Je ne l’accepte pas. De quel droit l’entreprise lui impose ce contrat. Je suis salariée de LCL. Pas elle », s’agace cette quadra qui, du coup, n’a pas déclaré sa fille, comme d’autres salariés. Un faux qu’elle assume parfaitement, se sentant atteinte dans sa liberté de choix.

En décembre, à l’annonce de la signature de l’accord collectif instituant un régime complémentaire santé obligatoire (tous les syndicats ont signé sauf FO), les réactions ont fusé. Une pétition en ligne a été ouverte par des salariés, principalement des cadres, pour demander le retrait de l’accord. Un site vite censuré par la direction, qui en a bloqué l’accès depuis l’intranet. Mi-février, il recueillait modestement 115signatures. Mais, parallèlement, deux autres pétitions ont vu le jour. Celle des militants syndicaux retraités de LCL, exclus de la nouvelle complémentaire, et celle de FO, seul syndicat non signataire. « Nous avons collecté plus de 500 signatures de salariés », note Philippe Kernivinen, délégué syndical, pas du tout étonné par les rebuffades des salariés. « Le sujet est sensible car, à travers la mutuelle, nous touchons à la vie privée des salariés. Jusqu’ici, ils pouvaient être affiliés à la mutuelle maison, facultative ; 55 % des salariés y adhéraient. Les autres avaient leur propre mutuelle. FO n’entend pas dénoncer l’accord signé en décembre. Mais nous souhaitons le bonifier en augmentant la part employeur et en revoyant la prise en charge des enfants majeurs et étudiants », poursuit le syndicaliste.

Côté direction, Renaud Chaumier, le responsable des relations sociales, espère bien que les premiers remboursements feront changer d’avis les sceptiques. « Nous avons mis en place un socle de base de très bon niveau, comparable aux meilleures options de l’ancienne mutuelle. 60 % de l’effectif de LCL est féminin. Nous avons un effectif récemment rajeuni, dont 60 % est féminin. Il nous semble important de pouvoir proposer une protection santé en direction des familles. Sans oublier les salariés sans enfants. »

Sujet sensible. Bouleverser la couverture santé de ses salariés serait-il en passe de devenir un sujet à haut risque social ? Les entreprises comme leurs partenaires sociaux avaient tendance jusqu’ici à considérer cet objet de négociation de façon plutôt positive. Depuis la loi Fillon de 2003 qui incite les entreprises à transformer leur couverture santé facultative en contrat obligatoire sous peine de perdre le bénéfice des exonérations fiscales et sociales, les directeurs des relations sociales se sont attelés à la tâche et ont découvert la sensibilité du sujet. « La question est importante pour les salariés et leur famille, surtout dans un contexte de déremboursement des soins par la Sécurité sociale », souligne Dominique Azam, le directeur des affaires sociales du groupe Saint-Gobain, qui a travaillé pendant deux ans à l’harmonisation de la mutuelle. Partant de 128 régimes différents, Saint-Gobain est parvenu, en décembre, à regrouper tous les salariés sous deux régimes. « Nous avons associé étroitement les organisations syndicales à la conduite du projet afin qu’elles s’approprient le sujet », indique Dominique Azam.

Pour calmer la colère des individualistes forcenés, les contrats obligatoires proposent de plus en plus des formules de cotisation différenciées

Éviter les dérapages de consommation. Rendus obligatoires, les contrats collectifs sont désormais pilotés au plus juste par les entreprises et des commissions paritaires de suivi. Objectif : éviter tout dérapage de consommation. Car la santé a un coût et représente des budgets lourds dans certaines entreprises. Chez Saint-Gobain, par exemple, la complémentaire santé pesait 49 millions d’euros en 2010. « Jusqu’au début des années 2000, les entreprises étaient peu regardantes sur le contenu des prestations. Elles reviennent désormais plus fréquemment vers les régimes à options pour des raisons budgétaires », note Yves Trupin, associé du cabinet-conseil Winter & Associés. Certaines n’hésitaient pas à proposer des contrats avec options multiples. Comme chez Alcan, à Issoire (Puy-de-Dôme). Avant l’harmonisation de la complémentaire santé, en 2009, les salariés pouvaient choisir jusqu’à sept options différentes. « De la moins chère à la plus luxueuse. Une formule qui n’était pas très solidaire », explique Patrick Reinbold, secrétaire du CE d’Alcan Rhenalu à Neuf-Brisach, dans le Haut-Rhin. « Il faut de toute façon éviter les régimes à options. L’employeur ne participe à la mutuelle que sur le régime de base. Les options sont à la charge du salarié », souligne Mario Steri, secrétaire national à la FGMM CFDT et responsable des questions de protection sociale.

Reste que les assureurs proposent de plus en plus des « packs » qui permettent de compléter les régimes de base et de répondre au plus près aux besoins des salariés. Axa approche les TPE et les PME avec des formules sur mesure. « Les petites entreprises n’ont pas les moyens de prélever des cotisations sur les fiches de paie. Nous demandons aux chefs d’entreprise la permission d’entrer en contact avec leurs salariés et nous prenons ensuite tout en charge pour proposer différentes options au tarif collectif », précise Nathalie Miquel, responsable du développement TPE-PME santé et prévoyance.

« S’il existe de multiples options trop concentrées sur certains postes à haute consommation, ces dernières ne permettent pas de mutualisationd u risque et favorisent la sur consommation, prévient Yan Le Men, directeur des opérations spéciales assurances de personnes de GMC Services. C’est très bon en termes de communication. Mais c’est une vision à court terme qui coûte cher aux assurés à moyen terme. » Pour Yves Trupin, consultant chez Winter, « les entreprises sont passées d’un régime à prestations définies à un régime à cotisations définies. Dans le premier on regardait le niveau de garanties, dans le second on raisonne à partir d’un budget et on voit ce que l’on peut proposer avec. La tendance serait aussi plutôt de bâtir un régime de base qui assure un bon niveau de couverture avec une ou deux options facultatives en plus ». « À l’avenir, avec le développement des coûts des frais de santé et les désengagements de l’Assurance maladie, on ne pourra pas continuer à tout faire payer aux assurances complémentaires », reprend Yan Le Men. Certains imaginent même demander aux salariés de recourir au crédit pour des dépenses exceptionnelles.

Pour les salariés, c’est finalement moins l’absence de multiples options que le caractère obligatoire de la mutuelle qui passe mal. Dans les faits, les Français sont majoritairement couverts à titre individuel. Selon l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, 56,8 % des salariés actifs sont dans ce cas, quand 37,6 % des salariés sont couverts par l’intermédiaire de leur entreprise. « J’avais choisi une couverture bas de gamme. Je ne suis pas une grande consommatrice de médicaments ni de médecins. D’autant que LCL dispose d’un service médical très complet où l’on trouve un ophtalmologiste, une gynécologue, souligne Marie. Je sais que je serai mieux couverte désormais, mais pour des soins qui ne m’intéressent pas, comme les cures thermales. » Chez Alcan, ce sont les jeunes qui ont râlé. Des « malgré nous » de la mutuelle qui jusqu’ici n’étaient pas ou peu couverts. « Ces jeunes veulent du salaire tout de suite. Nous avons maintenu un front syndical pour défendre le caractère obligatoire de la mutuelle. Mais on peut comprendre ces jeunes qui, contrairement aux plus anciens, ne se projettent pas dans l’entreprise », consent Patrick Reinbold, secrétaire du CE d’Alcan Rhenalu. « Nous sommes favorables à cette obligation, ajoute Mario Steri, à la FGMM CFDT. Ça a du sens pour la métallurgie où un salarié sur cinq n’est pas encore couvert par une complémentaire santé. » Difficile, néanmoins, de faire admettre aux salariés que la solidarité doit parfois prendre le pas sur la liberté.

Démutualisation. Pour calmer la colère des individualistes forcenés, les contrats obligatoires proposent de plus en plus des formules de cotisation différenciées : avec un tarif pour les salariés sans enfants et un autre pour les familles excluant souvent le conjoint. « Cette individualisation des modes d’appel à cotisation est une tendance de ces deux dernières années. Les salariés ne veulent plus payer pour tout le monde », indique Patricia Delaux, directrice assurances collectives santé chez Axa France. Une forme de démutualisation, car la solidarité la plus forte entre les salariés se joue lorsque tout le monde paie le même prix. Du coup, les syndicats tentent d’orienter le choix du prestataire vers des mutuelles ou des institutions de prévoyance afin de contrer la tendance « package » des assureurs.

Surtout, ils cherchent à retravailler le paramétrage de l’assiette de cotisation. « Le tarif de la couverture santé est encore majoritairement exprimé de façon forfaitaire, décrypte Yves Trupin, chez Winter & Associés. Mais, pour les organisations syndicales, il devient fréquemment nécessaire de l’exprimer en pourcentage du salaire pour plus de solidarité entre les jeunes payés au smic et les moins jeunes, et entre les bas et les hauts revenus. Cette demande de retour à l’assiette de cotisation sur salaire se retrouve dans deux dossiers sur trois que nous traitons aujourd’hui. » C’est le choix de LCL et de ses partenaires sociaux. La cotisation salariale est désormais proportionnelle au salaire. Une tendance qui cherche aussi à amortir le poids des taxes légales (+ 10 %) qui, cette année, vont fortement peser sur les budgets.

* Le prénom a été changé.

57 % en moyenne du coût des contrats sont financés par les employeurs.

Source : enquête Irdes 2009.

Les « prestations flexibles » des entreprises britanniques

Le Royaume-Uni est fidèle à son image de paradis de la flexibilité. Le paiement des mutuelles et des assurances santé privées fait depuis quelques années déjà l’objet de négociations entre les employés et leur employeur. « La possibilité d’échanger une couverture santé complémentaire contre un meilleur salaire est très populaire, assure Alistair Tebbit, responsable de la communication et de la stratégie de l’IOD (Institute of Directors), la principale organisation des patrons britanniques de PME. Mais la plupart des salariés des petites entreprises ne sont pas concernés par cette évolution car leur patron ne contribue pas à une complémentaire santé ! » Le système de couverture sociale universel gratuit est en effet considéré comme suffisant par de nombreux Britanniques.

Neil Carbery, le directeur de l’emploi et des retraites au sein de la Confédération des industries britanniques, la principale organisation de grandes entreprises, confirme cette tendance des « prestations flexibles, très populaires auprès des employés. Ils préfèrent, en échange de leur complémentaire santé, recevoir une somme en liquide, voire l’utiliser pour accroître leurs cotisations retraite, obtenir plus de jours de vacances ou disposer d’un véhicule d’entreprise. La mise en place de telles mesures a été encouragée depuis le début de la crise : nous avons baissé les contributions patronales afin de préserver les emplois, et cela s’est confirmé sur le terrain par un nombre de licenciements moindre que lors des crises passées ».

Tristan de Bourbon, à Londres

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy

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