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L’homme aux 100 qualités

Dossier | publié le : 01.03.2011 | G. D.

Le petit chef a laissé place au manager de proximité. Mais, pour ce nouveau garant de la cohésion sociale de l’entreprise, la tâche est lourde. Son recrutement, son accompagnement et sa formation sont d’autant plus importants.

Hier sacrifiée sur l’autel du management allégé par les entreprises et renvoyée au caporalisme du « petit chef » par les salariés, la fonction de manager de proximité opère un retour en grâce, car elle crée du lien dans des organisations gagnées par la déshumanisation. Mais la tâche n’est pas simple. À 64 ans, Monique, partie aujourd’hui à la retraite, ne garde pas un souvenir particulièrement flatteur de ses années passées à travailler en hypermarché. Son regard se durcit lorsqu’il s’agit d’évoquer son supérieur hiérarchique de l’époque. Elle aimait le travail « bien fait » mais haïssait son autoritarisme, ses injonctions contradictoires, ses décisions arbitraires. Elle lui a, en retour, mené une vie infernale, et continue d’ailleurs de l’appeler par le surnom qu’elle lui avait charitablement attribué : « Ceausescu », du nom du dictateur roumain déchu. À l’heure où le manager de proximité est paré de toutes les vertus, il n’est pas inutile de rappeler, à l’instar de Maurice Thévenet (voir également page 62), professeur au Cnam et à l’Essec, que « la proximité dans la réalité crée aussi beaucoup de douleur ou de cruauté »…

Des missions multiples et variées. Pour Michel Tremblay, enseignant-chercheur à HEC Montréal, « on peut se passer de leader de proximité lorsqu’il se range parmi les abusifs ou les passifs ». Il n’y a, en revanche, « aucun facteur de substitution à un bon leader de proximité ». Selon lui, ces managers doivent susciter de la « confiance » et de la « reconnaissance formelle ou informelle des collaborateurs », créer « un environnement juste et équitable », « renforcer l’autonomie et la responsabilité » de tous et « faire passer les intérêts des collaborateurs au-dessus d’eux ». Si on ajoute à cela les impératifs de performance imposés par la hiérarchie, le bon manager de proximité, s’il mène à bien toutes ces missions, pourrait soutenir un quasi-procès en béatification. Michel Tremblay en convient, d’ailleurs : « Peut-être lui en demande-t-on trop… »

En outre, il y a la théorie et la pratique. Dans les faits, « le manager de proximité n’est pas dans le pilotage, il est ailleurs », observe Mathieu Detchessahar, professeur à l’université de Nantes. Sa fonction est polarisée sur le suivi et le reporting. « Nous aussi, nous sommes préoccupés ? par l’importance croissante du contrôle de gestion ou toutes les démarches qualité. L’enjeu est d’éviter que ces tâches viennent encombrer les agendas au détriment de la relation humaine », déplore Pascal Magnien, directeur général adjoint chargé des ressources humaines à Réseau de transport d’électricité (RTE), une entreprise à mission de service public, filiale d’EDF, qui cherche à mettre en actes son ambitieuse philosophie managériale.

Savoir-faire ou savoir-être ? Il n’existe aucune règle universelle garantissant le bon choix pour trouver un manager de proximité. « Il va être tout naturellement choisi par la hiérarchie parce que c’est un bon ouvrier qualifié. Erreur ! Ce ne sont pas les plus compétents en termes de savoir-faire qui sont les plus compétents en termes de savoir-être », plaide Luc Boyer, directeur de recherche à l’université Paris-Dauphine. À vrai dire, l’encadrement de proximité n’est pas le même dans une PME, dans le secteur bancaire, à EADS ou à la Direction générale des impôts. Chaque branche, chaque métier a son histoire, sa singularité. « Notre maîtrise est tenue par des techniciens reconnus pour leurs compétences techniques dans le verre. C’est souvent le cas pour des industries de process », témoigne Robert de Vaucorbeil, DRH groupe de l’ex-pôle conditionnement de Saint-Gobain, rebaptisé Verallia.

« Ce qui semble se produire depuis une dizaine d’années, c’est l’effritement de la hiérarchie de proximité de commandement au profit d’une logique d’animateur, de team leader », remarque Thierry Rochefort, professeur associé à l’IAE de Lyon. « On retrouve ce phénomène aussi bien dans l’industrie automobile que chez McDonald’s. Dans ces deux exemples, les recrutements s’opèrent largement en fonction de savoir-être comportementaux et moins sur l’exercice de compétences techniques. Cela pose parfois de délicats problèmes de légitimité lorsque de jeunes encadrants managent des équipes qui ont des référents ancrés dans le métier », précise Thierry Rochefort.

En dépit de la percée des enseignements de sciences humaines, du développement des modules de responsabilité sociale des entreprises ou de la maîtrise des outils techniques (Smed, TRS, Kaizen, Six Sigma, etc.), le jeune diplômé découvre généralement une réalité beaucoup plus rugueuse que celle qu’il avait pu entrapercevoir durant sa formation. Il revient dès lors au n + 1, ou au responsable RH de proximité, d’accompagner le jeune manager dans son apprentissage du quotidien. Le problème est différent lorsqu’un opérateur est promu à une fonction d’encadrement intermédiaire. « Nos managers de proximité sont des gens issus de la promotion interne qui, par leurs aptitudes et leurs compétences, sont sortis du lot », indique Patricia Muggeo, DRH de la PME dijonnaise l’Européenne de condiments.

Convaincue que la performance industrielle passait aussi par la cohésion d’ensemble, cette professionnelle a fait appel à l’Agefaforia (l’Opca des industries agroalimentaires) pour dispenser une formation centrée sur le management de proximité à ses agents de maîtrise. Un plus indéniable pour ces derniers. « J’ai pris l’habitude de réunir mes collègues et de prendre des décisions avec eux. Mais cela m’a aussi appris à penser autrement. Avant, je me demandais : pourquoi cela ne marche pas ? Maintenant, je me pose la question : comment faire pour que cela fonctionne ? » témoigne Sylvie Coppin, chef d’équipe.

Une dimension managériale à évaluer et à faire évoluer. Difficile de définir la valeur sonnante et trébuchante d’un management de proximité de qualité. S’il peut se mesurer grâce à des données quantifiables comme la faiblesse du turnover, la résorption de l’absentéisme ou l’accroissement de la productivité, il repose essentiellement sur des éléments qualitatifs parfois difficiles à résumer à des indicateurs. RTE envisage ainsi d’évaluer début 2012 une part des résultats de ses collaborateurs en fonction de la qualité de leur management, mais cherche encore à la détailler explicitement.

Chez Sopra Group, une des plus vieilles SSII européennes, le management de proximité n’est pas une fonction dédiée mais une responsabilité en plus de la fonction opérationnelle attribuée à un directeur d’agence, un directeur adjoint ou un chef d’équipe. Le manager de proximité est le référent RH du collaborateur, anticipant son évolution, son plan de formation. Il va contribuer à son affectation, discuter management et rémunération, etc. « Ce management est une composante de son actif parmi d’autres. En revanche, si cette dimension n’est pas présente dans son travail, nous faisons en sorte qu’elle devienne prépondérante », détaille Marie-Sylvia Acito, RRH chez Sopra Group.

Actuellement, les DRH préfèrent mettre en avant l’accompagnement de carrière et la formation pour récompenser les managers de proximité aux pratiques vertueuses. « Notre politique RH prend en compte leur mobilité. Ils doivent changer de fonction tous les trois, cinq ans. Cela induit un modèle d’entreprise fondé sur la croissance. Plus on se développe, plus on a de nouveaux défis à proposer aux collaborateurs », note François Rebeix, directeur du développement RH chez Sodexo. « Nous leur proposons des cursus de formation pour devenir managers de service, mais ils peuvent très bien revenir à l’acte technique et devenir spécialistes, voire experts. Tout cela s’inscrit dans un projet à examiner avec le n + 1 », indique de son côté Pascal Magnien, à RTE, qui a mis en place des conseillers carrières en dehors de la ligne hiérarchique.

David Tessier, responsable du département assistance téléphonique du PMU.

« Lors des groupes de codéveloppement, je suis avec mes pairs. L’un d’eux va nous dire : “J’ai tel problème avec un n–1, un collègue ou ma hiérarchie.” Le groupe va alors définir un plan d’action. On peut avoir des outils différents pour répondre au même problème. C’est très pratico-pratique et ça développe un esprit communautaire entre managers. »

Pascal Magnien, DG adjoint de RTE chargé des ressources humaines.

« Les managers de proximité sont des encadrants responsables d’une équipe qui peut comporter des techniciens, des opérateurs ou des cadres. Mais le principe commun, c’est qu’ils sont le dernier relais hiérarchique auprès des salariés. »

Le PMU lâche la bride à ses managers

Piloté par les RH, l’opérateur français de paris PMU a mis en place des espaces de liberté où s’épanouissent des « communautés de managers ». Les « journées PMU management » rassemblent – sans intervention des RH – une dizaine de managers de tous les horizons avec un animateur externe lors d’ateliers dédiés à des sujets opérationnels comme « osez dire » ou « comment faire un entretien avec un salarié qui travaille à distance ? ». « On choisit les thèmes, c’est sur la base du volontariat », témoigne David Tessier, responsable du département assistance téléphonique. Il existe également des groupes de codéveloppement qui permettent à certains managers d’aborder leurs problèmes en toute franchise et liberté avec leurs pairs. À charge pour la « communauté de managers » de tenter d’y apporter des réponses.

G. D.

Sylvie Coppin, chef d’équipe à l’Européenne de condiments.

« Un manque de coordination peut créer des tensions. J’ai pris l’habitude de réunir mes collègues pour essayer de prendre des décisions avec eux. Plus je me rapproche des personnes, plus je me rends compte des problèmes qu’elles peuvent rencontrer. Je suis le lien entre les opérateurs et la direction. »

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  • G. D.