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Politique sociale

FO, tous ensemble… contre tous

Politique sociale | publié le : 01.02.2011 | Stéphane Béchaux

Le congrès de Force ouvrière s’annonce unitaire. Car les troupes se sont trouvé des ennemis communs : les politiques de rigueur et le duo CGT-CFDT. De quoi masquer les clivages internes.

Jean-Claude Mailly peut dormir sur ses deux oreilles. Le 22e congrès confédéral de la CGT-FO, du 14 au 18 février à Montpellier, s’annonce pour lui sous les meilleurs auspices. « On n’a jamais connu une telle cohésion depuis vingt-cinq ans. Les militants sont fiers de l’organisation et très bien dans leurs baskets », assure René Valladon, l’un des piliers du bureau confédéral. Un luxe dans la grande auberge espagnole Force ouvrière, où militants trotskistes et tenants de la politique contractuelle s’envoient plus souvent les assiettes à la figure qu’ils ne trinquent ensemble. Mais pas cette fois-ci. Avenue du Maine, on s’attend à vivre un congrès d’autocongratulation, marqué par un rapport d’activité très largement approuvé.

Cette unité retrouvée doit beaucoup à la crise économique qui secoue l’Hexagone depuis trois ans. Plans sociaux, révision générale des politiques publiques (RGPP), austérité salariale, rigueur budgétaire… En l’absence de grain à moudre, tout concourt à rassembler les troupes sur des positions radicales. Celles des militants lambertistes, qui, bien que minoritaires, pèsent de tout leur poids dans les structures. Loire-Atlantique, Côtes-d’Armor, Ille-et-Vilaine, Finistère, Seine, Morbihan, Manche, Puy-de-Dôme, Maine-et-Loire, Aisne, Haute-Loire, Moselle, Val-d’Oise… De très nombreuses unions départementales sont aujourd’hui dirigées ou influencées par les militants du Parti ouvrier indépendant, l’ex-Parti des travailleurs. Sectoriellement, ceux-ci ont aussi de vraies places fortes, dans l’enseignement, l’équipement, les territoriaux de Marseille, l’AP-HP, la presse, la chimie, les assurances, la Sécu ou les cheminots.

Cette union dans le refus de la remise en cause des acquis masque les fissures de la maison FO. Car, dès qu’il s’agit de s’engager, les lézardes réapparaissent. Le dernier congrès de la Fédération générale des fonctionnaires, en novembre 2009, en a donné l’exemple. Unanimes pour dénoncer les dégâts de la RGPP, ses syndicats se sont néanmoins déchirés à propos de la signature par leur secrétaire générale, Anne Baltazar, quelques jours plus tôt, d’un accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique. Un texte pourtant paraphé, finalement, par sept syndicats sur huit, dont la CGT ! Idem avec les accords interprofessionnels. Le visa, donné par FO, au texte portant modernisation du marché du travail a suscité de vives passes d’armes entre pourfendeurs et défenseurs de la rupture conventionnelle, au début de l’année 2008.

Réformisme contre lutte de classes. Un épisode sur lequel le très virulent Yann Perrotte est revenu en décembre, lors du congrès de l’Union départementale de la Manche, qu’il dirige. « Nous n’avons pas compris cette signature. Celle-ci a en quelque sorte remis au jour les deux grandes tendances dans notre confédération, on va dire, pour faire simple, la tendance “réformiste” dans un certain sens du terme, et la tendance “lutte de classes”. » Et celui-ci de prévenir : « Je crois, camarades, que cet aspect sera au cœur des choses dans les mois et années à venir, sans doute même d’une portée plus importante pour notre organisation que ce qu’on peut imaginer aujourd’hui. » Autant dire que les débats s’annoncent déjà brûlants dans la confédération, si celle-ci revient dans le jeu conventionnel lors des négociations sur l’assurance chômage, comme il en est question.

Sur les retraites, en revanche, Jean-Claude Mailly a su maintenir la cohésion interne. Avec un slogan – « 40 ans, c’est déjà trop ! » – capable de rassembler irréductibles nostalgiques des 37,5 ans et pragmatiques adeptes des 40 annuités. Une nouveauté. En 2003, la maison s’était entre-déchirée sur la question de l’allongement de la durée de cotisation. « Cette réforme était imbuvable. Contrairement à 2003, on était en plein accord avec la confédération, qui a fait un vrai travail de pédagogie et proposé des solutions alternatives », assure Frédéric Homez, le très réformiste patron des métallos FO. « Sans langue de bois, il y a eu un vrai consensus interne. Les seuls débats ont porté sur notre présence, ou non, au sein de l’intersyndicale », confirme son alter ego de la très hétéroclite Fédération des employés et cadres, Serge Legagnoa. Chauffée à blanc par son aile trotskiste, la CGT-FO a choisi de rejeter en bloc les propositions gouvernementales. Une attitude radicale mais néanmoins confortable : persuadée que le gouvernement ne lâcherait rien, la confédération a laissé les autres centrales se compromettre dans de vaines mobilisations.

Point d’orgue de cette stratégie solitaire, la journée du 15 juin. Face au refus des autres syndicats d’appeler au « retrait » du projet de loi et à une grève interprofessionnelle de vingt-quatre heures, Force ouvrière a organisé, seule, son propre rassemblement, à Paris. « La bagarre a commencé ce jour-là. C’était un signal de cohésion de la maison considérable », se félicite Philippe Pihet, secrétaire de l’UD du Rhône. « On a montré qu’on était capable de prendre des initiatives autonomes qui se voient. On a existé sur le dossier des retraites sans être aux ordres de la CGT et de la CFDT », abonde Rafaël Nedzynski, patron de la Fédération générale des travailleurs de l’alimentation.

De quoi galvaniser les troupes mais pas influer sur les événements. La manif à peine dispersée, la confédération s’est empressée de réintégrer l’intersyndicale. Sans pour autant signer les déclarations communes. « Ils nous ont rejoints car ils ne pouvaient pas faire autrement, sauf à se marginaliser. Mais ils n’ont jamais cherché à peser sur les décisions », commente-t-on à la CGT. « Force ouvrière a aboyé le plus fort possible pour ne pas avoir de problèmes en interne avec ses durs. Elle a alimenté le mythe de la grève générale sans jamais y croire. La centrale cherche simplement à se démarquer, en cultivant l’ambiguïté et le double langage », complète un dirigeant cédétiste. Des arguments balayés par Bernard Devy, le monsieur Retraites de la CGT-FO. « Nicolas Sarkozy avait fait de l’adoption de cette réforme une question de principe et il n’avait aucune marge de manœuvre face aux agences de notation financière. Dans ce contexte, on savait avec certitude que des journées d’action ne suffiraient pas à le faire plier. »

FO aime à cultiver sa place de syndicat pivot, capable de jouer les gros durs aussi bien que les pragmatiques responsables

À Montpellier, les oreilles du président de la République devraient siffler. Mais pas autant que celles de Bernard Thibault et de François Chérèque. Affublés en interne des surnoms de « butane et propane », les leaders cégétiste et cédétiste vont représenter des cibles de choix pour les 2 500 congressistes. Outre leur gestion du dossier des retraites, personne ne leur a pardonné leur « position commune » sur la représentativité, en 2008. « L’élection des délégués syndicaux, c’était une vieille revendication patronale. Et pourtant, la CGT et la CFDT ont accepté de renoncer au pouvoir de désignation des syndicats », dénonce le secrétaire confédéral Stéphane Lardy. Un crime de lèse-majesté dans la confédération, où les valeurs d’« indépendance » et de « liberté », brandies à tout-va, représentent l’unique ciment.

Plus que jamais, la loi sur la représentativité pousse la CGT-FO à jouer les trublions pour exister face à ses deux grandes sœurs. Entre la CGT contestataire et la CFDT réformiste, Force ouvrière aime à cultiver sa place de syndicat pivot, capable de jouer les gros durs aussi bien que les pragmatiques responsables. Un positionnement rebelle jugé gagnant. « À la RATP, notre détermination sur le dossier des retraites a été très bien perçue. Ça va nous apporter, aussi, des voix dans les entreprises privées », se félicite René Valladon. Mais, malgré ses envolées guerrières, la centrale n’entend pas abandonner le jeu conventionnel. « Le dialogue social a du sens, il est gage de stabilité. Quand on fait l’impasse dessus, comme sur la réforme des retraites, on voit où ça mène », plaide ainsi Stéphane Lardy, le négociateur en chef sur les questions d’emploi et de formation.

Ralliements récents. Avenue du Maine, on affirme que les résultats électoraux sont bons, même si FO a bu le bouillon lors des dernières prud’homales (15,8 %, en baisse de 2,5 points). Et on se félicite des ralliements récents de plusieurs syndicats de policiers, greffiers, navigants, commerciaux ou profs de lycée technique. Des recrues séduites par la culture très décentralisée de Force ouvrière, qui leur permet, en changeant de sigle, de conserver en l’état leur organisation. Une façon de gonfler les troupes, mais pas de gagner en cohésion interne.

Bien que minimisées, les difficultés à passer la barre des 10 % sont réelles dans nombre d’entreprises, à l’instar de la SNCF, d’Alcatel, d’IBM, d’Axa, des Caisses d’épargne, de GRTgaz, de Thales ou de Safran… Une situation tendue dont la confédération a pleinement conscience. Un projet de résolution sur le développement syndical sera ainsi présenté à Montpellier. Car l’autocongratulation et le repli sur soi ne suffisent pas pour se dessiner un avenir radieux…

Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO
“On a transformé les organisations syndicales en machines électorales”

Comment les syndicats sortent-ils du conflit sur les retraites ?

Battus, mais pas abattus. On retrouve aujourd’hui sur les questions sociales l’esprit de résistance qui s’est alors manifesté. D’ailleurs, le dossier retraites n’est pas clos. Parce qu’il n’est toujours pas financé et que nous sommes farouchement opposés à tout régime par points.

La position de FO, à la fois dans et hors de l’intersyndicale, n’était guère lisible…

Les journées d’action à répétition ont montré leurs limites. En 2003, 2009 et 2010, ça n’a pas marché. Beaucoup de camarades voulaient qu’on exprime clairement nos positions. Ce qu’on a fait le 15 juin, en rassemblant 701 000 personnes à Paris [28 000, selon la police, NDLR]. C’est la plus grosse manifestation de toute l’histoire de Force ouvrière. Sur le fond, sur le comportement pendant le conflit, il y a eu unanimité dans la maison. On sort plus fort, consolidé, de ce mouvement.

Les autres syndicats vous reprochent votre cavalier seul…

Quand le contenant est supérieur au contenu, ça s’appelle de la com. Pendant tout le conflit, la CGT et la CFDT se sont affichées bras dessus, bras dessous. Or, sur le fond, la CGT était plus proche de nous que de la CFDT. À FO, on est pour l’unité d’action, pas pour le syndicat unique. On tient à garder notre liberté. On sera encore plus vigilant aujourd’hui qu’hier là-dessus.

La réforme de la représentativité a-t-elle modifié votre comportement ?

Sur le dossier des retraites, on n’a pas pris nos positions par rapport à la question de la représentativité. Mais il est clair que la loi du 20 août 2008 exacerbe la concurrence et les différences. Elle modifie la nature des relations. On a transformé les organisations syndicales en machines électorales, dans les entreprises comme dans la fonction publique.

Cette loi met-elle en danger la CGT-FO ?

Comme les autres, on a des problèmes, ici ou là, par exemple chez les cheminots. Mais on accueille aussi des syndicats, qui nous rejoignent car ils savent qu’ils garderont à FO leur autonomie et leur liberté d’action. Globalement, je ne suis pas du tout inquiet pour notre représentativité interprofessionnelle.

Vous aviez promis de communiquer le chiffre des adhérents. Et vous ne l’avez pas fait…

J’ai failli le faire. Mais, en comité confédéral national, ça a grogné. Il y a chez nous un vrai fond de culture libertaire, un refus de communiquer ce genre d’information. Le contexte n’a pas aidé non plus, avec la réforme de la représentativité. On le fera un jour, mais ça ne fait pas partie des urgences.

Certains évoquent une fourchette de 280 000 à 350 000 adhérents…

Non, c’est plus ! Actuellement, nos effectifs sont stables, voire en légère augmentation. Lors de mes nombreux déplacements sur le terrain, j’observe un rajeunissement et une féminisation de nos effectifs, bien que je ne puisse pas les chiffrer. Depuis le dernier congrès, près de la moitié de nos unions départementales ont changé de secrétaire.

On aimerait que vous soyez plus précis !

Je n’ai pas le fichier des adhérents. Et je n’en veux pas, pas plus que d’un circuit centralisé des cotisations. C’est complètement contraire à la culture et à l’histoire de Force ouvrière.

Auteur

  • Stéphane Béchaux