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Enquête

À chacun sa recette pour motiver

Enquête | publié le : 01.02.2011 | Laure Dumont, Anne-Cécile Geoffroy, Emmanuelle Souffi

Pour renouer avec la motivation et la performance, pas de formule magique. Communication, surveillance des signes négatifs, embauches, augmentations salariales… Trois cas d’entreprises illustrent la diversité des moyens employés.

La Société générale peine à regagner la confiance

Après les “affaires”, la direction a tenté de remotiver ses salariés, sans grande innovation sociale

Septembre 2008 : la crise des subprimes ébranle Lehman Brothers. En France, la Société générale tremble. Près de 3 milliards d’euros partent en fumée dans ces actifs pourris. Quelques mois plus tôt, le trader Jérôme Kerviel avait fait perdre 4,9 milliards à la banque. Malgré tout, l’équipe de direction empoche un paquet de stock-options et l’ancien président, Daniel Bouton, une retraite chapeau de 730 000 euros. Dans les agences, les conseillers sont pris à partie par des clients fumasses de s’être vu refuser un découvert de 50 euros ou un prêt de 50 000 euros. « Le surcroît d’agressions a été phénoménal ! Les salariés l’ont très mal vécu », se souvient Isabelle Blanquet-Leroy, déléguée syndicale nationale FO. Pour lutter contre le sentiment d’écœurement, les ressources humaines multiplient les mails et les messages d’encouragement sur le thème du « restons soudés ». « Dehors, on s’en prenait plein la figure ! » rappelle Eva*, chef de projet informatique. Comme elle, la plupart des 60 000 salariés défendent la banque à laquelle ils sont attachés. « Face aux attaques, l’esprit de corps a fonctionné », constate lui aussi Michel Marchet, délégué national CGT. C’est une des grandes victoires de la SG : avoir réussi à maintenir la cohésion interne. Du moins, le temps de traverser la tempête. Car le personnel s’impatiente. Augmentations et primes sont réduites à la portion congrue. L’absentéisme s’envole. Les arrêts maladie, inférieurs à quatre jours, passent de 30 000 en 2008 à 37 000 en 2009. En un an, la banque totalise 100 000 jours d’absence de plus.

Lâcher du lest. Le 24 novembre 2009, c’est la grève. La direction – qui a refusé de nous répondre sur le sujet de la motivation – prend enfin la mesure du divorce. Il faut lâcher du lest. Gelés durant un an, en 2010, les budgets de fonctionnement repartent à la hausse. L’activité redécollant, les embauches redeviennent une priorité : 3 100 CDI en 2010 et 3 300 prévus cette année. Dans les bureaux et les agences, on respire. « C’est rassurant, juge Eva. Ça prouve que des services comme le mien ne seront pas externalisés. » Le plan « Ambition SG 2015 » présenté en avril par Frédéric Oudéa, le successeur de Daniel Bouton, promet de rompre avec le passé et de remettre clients et salariés au cœur des préoccupations. « Aujourd’hui, on ne fait plus de conseil bancaire, mais de la vente », déplore Alain Treviglio, délégué national CFDT. Pour éviter un syndrome à la France Télécom, les chantiers seront accompagnés par des experts du changement. Une école de management de projet est créée pour améliorer l’efficacité et le respect des délais. Le robinet des formations est rouvert. « C’est open bar ! » se réjouit Eva, qui va en suivre près de quatre cette année en plus de son stage en anglais.

Mais les motifs de mécontentement n’ont pas pour autant disparu. Exemple avec le nouveau processus d’évaluation des compétences. Hier cantonné à la tenue du poste, il contient désormais un volet comportemental. Gestion des conflits, niveau d’esprit collaboratif… Autant d’indicateurs flous qui font redouter aux syndicats des dérives. Le plan d’actions gratuites annoncé en novembre fait lui aussi grincer des dents. Présentée comme automatique, la distribution se fera en réalité sous conditions. Seize actions seront attribuées en 2013 en fonction de la réalisation des objectifs et les 24 restantes, selon l’enquête de satisfaction client. « C’est un marché de dupes », tempête l’élue FO. « Par rapport aux performances de la banque et aux sacrifices des salariés, c’est décevant », note Eva. Pas sûr que l’accord salarial signé à la fin de l’année par quatre syndicats, sauf FO, la rassure davantage. Il prévoit une hausse générale de 1 %, avec un plancher de 500 euros, mais, tour de passe-passe, si cette somme a été versée fin janvier, le 1 % ne sera acquis qu’en janvier 2012…

Si les jeunes recrues réussissent à conserver leur motivation, les anciens, surtout sur les plates-formes téléphoniques, se sentent abandonnés. L’absentéisme y frôle les 20 %. Une étude de l’Anact est d’ailleurs en cours pour remettre à plat l’organisation. Plus largement, le stress a franchi des niveaux alarmants. Selon une étude de février 2010 du cabinet Stimulus auprès de 3 039 salariés, 13 % se sentent hyperstressés et 23 % en situation de stress. En cause : des procédures rigides et surveillées, doublées d’une incertitude sur l’avenir. Surtout, le clivage entre la banque d’affaires – les traders aux petits oignons – et le réseau – avec sa cohorte de téléconseillers qui assurent la rentabilité de la SG – crée un sentiment de frustration et d’injustice que la direction ne semble pas avoir mesuré.

E. S.

* Le prénom a été modifié.

Würth mise sur le management

Le groupe allemand forme ses managers à détecter les signes de démotivation chez les commerciaux

Würth, spécialiste allemand de la fixation industrielle (vis, écrous, colles, abrasifs, outillage divers…) a beau s’être taillé la réputation de belle success story, le groupe n’a de cesse de devoir motiver ses salariés. Basée à Erstein, en Alsace, la branche française, plus importante filiale étrangère du groupe, décline le modèle insufflé par le fondateur, Reinhold Würth, qui a repris en 1 954 la petite entreprise créée par son père pour en faire un groupe mondial de 400 sociétés, employant 60 000 personnes et réalisant 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Würth France passe aussi pour être un exemple social, malgré une présence syndicale faible. Il accueille jusqu’à 450 contrats de professionnalisation par an et a multiplié les accords sur les seniors ou sur l’intégration des handicapés. Surtout, la filiale, qui emploie 3 800 personnes, dont 2 700 commerciaux répartis dans l’Hexagone, a décidé de se pencher sur cette population spécifique et très mobile. « Notre objectif est de réduire de manière significative le turnover en l’abaissant de 15-17 %, selon les secteurs et les régions, à 10-13 % maximum, explique Luc Greth-Merenda, le DRH de Würth France. Nous sommes persuadés que cela contribuera à 80 % de notre réussite. »

Depuis l’année dernière, l’entreprise a mis en place un système de scoring pour détecter les signes de démotivation chez les commerciaux. Du nombre de visites effectuées au chiffre d’affaires réalisé en passant par l’évolution du portefeuille de clients de chaque commercial, ces critères, très opérationnels, sont complétés par des éléments moins faciles à quantifier mais tout aussi importants du point de vue de la direction. « Le cycle de vie du vendeur traverse plusieurs périodes, rappelle Luc Greth-Merenda. De l’intégration des débuts à l’apogée d’une carrière, en connaissant des phases de développement et de maturité, il est normal que le niveau de motivation et de performance oscille selon les étapes, et il faut en tenir compte. » D’ici à la fin mars, 40 à 50 managers devraient ainsi suivre ce que le DRH appelle des formations « coups de poing » d’une journée pour apprendre à identifier les facteurs de démotivation et y répondre.

Des petits plus qui s’additionnent. Le management de proximité – on compte un chef de vente pour dix personnes – est aussi associé à la démarche, et il n’est pas rare que « ceux du siège » se déplacent sur le terrain pour les réunions avec les commerciaux, plutôt que d’obliger ces derniers à rallier Erstein. Chez Würth, tous ces petits plus doivent donner aux gens l’envie de se lever le matin. De sa propre initiative, la direction a renégocié courant 2010 le contrat avec la mutuelle pour élargir la couverture des frais de santé à partir de 2011.« La reconnaissance passe autant par la qualité de la mutuelle, le fait de dire bonjour ou de féliciter une personne, que par le type de véhicule de fonction que l’on propose à nos collaborateurs, insiste le DRH. Les gens doivent pouvoir être fiers de montrer leur nouvelle voiture à leur famille et voisins, ce sont des signes qui comptent. » L’entreprise a institué sa propre médaille du travail, qui récompense ses salariés pour cinq, dix, puis quinze années de fidélité et ainsi de suite. En interne, on appelle ça les collectors… Ils sont remis au salarié méritant au cours d’une petite manifestation et signifient que, dans cette entreprise-là, collectionner les années de boîte n’est pas forcément une marque d’immobilisme mais plutôt un élément de fierté.

L.D.

Pochet joue sur la com

Le groupe familial cherche à rassurer ses salariés en privilégiant la transparence
Là où les ouvriers n’ont pas accès au Net, la communication passe par des flashs info placardés et des réunions d’équipes

La crise n’a pas épargné le groupe Pochet, qui fabrique depuis près de quatre cents ans les flacons de parfumeurs prestigieux.En 2009, il a connu un net recul de son chiffre d’affaires : 300 millions d’euros contre 380 millions un an plus tôt. « Malgré cela, les dirigeants sont restés sereins et n’ont pas cherché à réduire les coûts », souligne Alain Mauriès, le DRH du groupe dirigé par la famille Colonna de Giovellina (5 000 salariés dans le monde). Aucun PSE n’a été mis en œuvre. La direction a privilégié le chômage partiel et le non-renouvellement d’intérimaires. « Le turnover est quasi nul et la fidélité des salariés à toute épreuve. Récemment, l’un d’eux a pris sa retraite après quarante-huit ans de maison », ajoute le DRH. Restaurer la confiance n’est donc par forcément la priorité du verrier. Mais, bien que tous les signaux soient repassés au vert, Alain Mauriès sait que la crainte peut surgir de l’extérieur. La mobilisation sur les retraites a poussé les salariés à des arrêts de travail. « Même si cette mobilisation n’avait rien à voir avec la politique de l’entreprise, c’est un signal, et il faut garder à l’esprit que la confiance ne se gagne pas. Elle se transmet par des actes qui doivent être sincères. » Le DRH compte se doter d’un d’outil pour mesurer l’engagement des salariés d’ici à 2012.

À Guimerville, dans la Seine-Maritime (1 700 salariés), la CGT confirme les craintes dans les ateliers. « Ce qui inquiète les ouvriers, c’est de voir arriver toujours plus d’ingénieurs sur le site. Ils se disent que c’est mauvais signe. Ils se méfient aussi des règles de calcul de la prime d’intéressement qui ont changé. On se dit qu’on aura moins en mai prochain. »

Cultivant la cohésion sociale au sein d’un groupe qui s’est beaucoup transformé, la direction de Pochet a profité de la crise pour réaffirmer ses valeurs, dont la pérennité de l’entreprise, l’excellence… En créant un poste de DRH groupe en 2009, l’idée était aussi de façonner une culture de groupe entre les Verreries Pochet et Qualipac (issu du rachat de petites PME de la plasturgie). « J’ai recruté une responsable de communication interne. Je compte sur la mise en place d’un intranet groupe pour favoriser cette culture commune mais aussi sur l’organisation de séminaires pour les managers », note Alain Mauriès.

La famille Colonna de Giovellina s’est résolue à sortir de la culture du secret qui caractérise souvent les sociétés patrimoniales. À Guimerville, où les ouvriers n’ont pas accès à Internet, la communication passe par des flashs info placardés et des réunions d’équipes. « Nous étions encore il y a quelques années dans un style de management dur, propre à ces industries, note le DRH. Les choses évoluent. Le management doit être plus participatif et faire preuve de plus de transparence, à l’égard des salariés et de leurs représentants. » « Ils communiquent beaucoup plus qu’avant, convient un représentant CGT. Ce qui est rassurant, c’est que nous savons que nous avons du travail jusqu’en juin… »

A.-C.G.

Auteur

  • Laure Dumont, Anne-Cécile Geoffroy, Emmanuelle Souffi

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