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Vie des entreprises

Rossignol et Salomon remontent la pente

Vie des entreprises | match | publié le : 01.01.2011 | Domitille Arrivet

Réduction d’effectifs, gel des salaires, réorganisation : en trois ans, les deux fabricants français n’ont pas ménagé leurs troupes. Non sans résultats. Et au prix d’un sérieux changement de méthodes.

L’année 2007, les salariés de Salomonne sont pas près de l’oublier. Ceux de Rossignol non plus. Cette année-là, pour le deuxième hiver consécutif, il n’a pas neigé. En France, les stations de ski ont cruellement manqué de la poudre blanche qui fait leurs affaires – ironie du sort, il en a été de même dans tous les massifs montagneux du monde entier. Et même si les canons à neige ont tourné à plein, cela n’a pas suffi à convaincre les distributeurs de matériel de ski (qui assurent 70 % des ventes en France) de renouveler leur parc de skis et de surfs. Du coup, chez Salomon, Rossignol, mais aussi chez les autres fabricants de matériel de sports d’hiver, les commandes ont chuté de 20 %. Il n’en fallait pas davantage pour mettre en difficulté une industrie qui souffrait déjà d’une lente érosion de ses ventes en raison de la préférence de plus en plus marquée des adeptes de la glisse pour la location de matériel – au détriment de l’achat.

Alors, pour éviter de dévisser complètement, les deux marques ont réduit la voilure. Propriété l’une et l’autre de nouveaux actionnaires, elles ont subi une cure d’austérité que leurs fondateurs n’auraient jamais osé imposer à leurs salariés. Mais, en 2005, Laurent Boix-Vives, propriétaire de Rossignol depuis cinquante ans, avait vendu son entreprise au spécialiste américain du surf Quiksilver pour 360 millions d’euros. De son côté, en 1991, Georges Salomon, l’inventeur des fixations à câbles dans les années 50, avait cédé sa société éponyme à Adidas… Qui, en 2005, l’a revendue au groupe finlandais Amer Sports. Tandis qu’à son tour Quiksilver, empêtré dans 300 millions d’euros de dettes,a cédé en 2008 Rossignol pour… 40 millions d’euros à un fonds australien et à Bruno Cercley, qui avait dirigé l’entreprise avant la cession. À nouvel actionnaire, nouvelles méthodes et nouveau management. Les salariés, habitués chez Salomon, à Annecy, comme chez Rossignol, près de Grenoble, à un demi-siècle de management patriarcal et à la pérennité des structures, n’étaient pas au bout de leurs surprises.

Licenciements. En 2008, dès son arrivée à la tête de la société Rossignol exsangue, Bruno Cercley, le patron actionnaire, n’y est pas allé par quatre chemins. « Nous devions diminuer nos coûts de 35 %. Donc réduire l’effectif de 35 % », résume-t-il. Tous les services y sont passés : la logistique, le marketing, l’administration… « Paradoxalement, les usines ont été les plus protégées, car nous avons toujours pensé qu’une stratégie industrielle en Europe avait du sens », ajoute le patron. Aucune fermeture de site, mais, début mars 2009, il met en place un plan de départ de450 personnes dans le monde, dont la moitié en France. « Au siège, 54 salariés ont été licenciés. Quatorze d’entre eux sont encore en recherche d’emploi. À l’usine de Sallanches, 45 personnes ont été reclassées sur les 57 licenciées. Ce qui n’est pas si mal, car notre plan a coïncidé avec la crise du décolletage qui a frappé le secteur automobile dans notre bassin d’emploi. Enfin, à l’usine de Nevers, où 20 personnes ont dû partir, 15 ont trouvé une solution, que ce soit une formation longue, la création de leur entreprise, le départ à la retraite ou un poste en CDD ou CDI », se satisfait Christine Kechichi, la DRH France. « Mais les quelques personnes qui n’ont pas encore retrouvé d’emploi sont les cas les plus compliqués », reconnaît-elle.

En dépit des relatives bonnes conditions de départ que les partenaires sociaux ont réussi à négocier, les salariés écartés ont dû se résoudre à renoncer à une partie de leurs acquis. « Certains ont accepté des salaires inférieurs, en particulier les plus âgés, qui ont perdu leur ancienneté. D’autres font maintenant de très longs trajets pour se rendre à leur travail », témoigne Roger Bonnat, délégué CGT au centre logistique de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs (Isère).

En 2009, les contrats de l’équipe de ski de Rossignol ont été renégociés à la baisse

Usine fermée. En 2008 aussi, année fatidique pour l’industrie française de l’équipement deski, Amer Sports, le propriétaire finlandais de Salomon, a pris la décision radicale de fermer l’usine de Rumilly, la dernière unité de production française située en Haute-Savoie.

« Le site, qui, dans les années 90, employait 1 500 personnes et pouvait produire 600 000 paires de skis par an, avait vu sa production baisser à 150 000. Cette production a été répartie entre les deux sites que le groupe a choisi de maintenir, en Autriche et en Bulgarie. Deux cent cinquante salariés ont été touchés par cette fermeture », détaille Jean-Marc Pambet, le président de Salomon en France. Et, compte tenu des écarts de salaire, pas la peine de songer à envoyer cette main-d’œuvre déployer son expertise en Bulgarie ! « Aujourd’hui, une dizaine des salariés licenciés, qui n’ont pas encore retrouvé de poste, sont suivis par BPI, notre cabinet de reclassement », assure le patron.

Pour les délégués syndicaux, cependant, pas sûr que les réductions d’effectifs soient vraiment terminées. « Les décisions stratégiques d’Amer, ça vous tombe dessus sans prévenir ! » déplore Corinne Doucet, déléguée CGT au siège. « On passe les gens à la journée alors qu’ils étaient en deux-huit, et voilà cinq postes supprimés. On réorganise la logistique et la qualité : même chose. Et maintenant, ils veulent une organisation en pôles. Cela veut dire à chaque fois des suppressions de personnel », craint la déléguée. Avec, toujours, la question des salariés âgés, dont le reclassement est plus difficile. « On a beau travailler sur la GPEC, on a toujours bien du mal à mettre les personnes en adéquation avec les postes », souligne-t-elle.

Chez Rossignol, devant l’ampleur du déficit, les réductions d’effectifs n’auraient pas suffi. Alors, les nouveaux propriétaires ont mis les salariés au régime. En 2009, les salaires de l’ensemble des 1 150 employés de l’entreprise sont gelés. « Une trentaine de cadres ont même dû accepter une réduction de 10 % de leur salaire fixe. Cette année-là, aucun bonus n’a été distribué. Il représentait pourtant, pour les cadres qui en bénéficiaient, entre 8 et 40 % du salaire », explique Christine Kechichi, la DRH. Même traitement pour les coureurs de l’équipe Rossignol. Tous leurs contrats ont été âprement renégociés à la baisse, et de 400 skieurs, l’équipe a été réduite à 200. La cure d’amaigrissement touche aussi les avantages en nature : Rossignol réduit sa flotte de voitures de fonction de 35 % et mutualise le parc automobile entre tous les services. « Les gens ont compris », assure Bruno Cercley.

Salomon s’est diversifié dans le sportswear, histoire de désaisonnaliser sa production

Retour aux bonus. Après un tel régime minceur, le patron s’est avéré plus généreux en 2010. Les cadres ont retrouvé leur bonus, et l’ensemble des salariés bénéficie d’un plan d’intéressement. Un avantage que, de leur côté, les salariés de Salomon connaissent depuis déjà trente ans : il représente entre 5 et 12 % du salaire annuel. Quant à la partie variable des salaires, mise en place sous l’ère Adidas et qui ne concerne que quelques dizaines de managers, elle représente entre 10 et 25 % du salaire.

Pour remotiver les troupes, le patron de Rossignol choisit ensuite de rassembler ses équipes dans un siège social flambant neuf. Même si l’idée lui était tout d’abord apparue impossible alors qu’il imposait à tous une baisse drastique du train de vie, Bruno Cercley a tout de même poursuivi la construction du superbe bâ­timent conçu par Hérault et Arnod, deux talentueux architectes grenoblois, pour satisfaire aux envies de grandeur de l’actionnaire Quiksilver. En septembre 2009, un mois à peine après la fin du plan social, les 300 salariés du siège, jusqu’alors disséminés sur plusieurs sites, s’installaient dans ce Taj Mahal du ski. Austérité oblige, le jour de l’inauguration, la maison n’a pas offert de champagne mais… une raclette-vin blanc ! Qu’importe. « Cette installation a permis de recréer de la confiance à l’égard des sa­lariés, des clients et des fournisseurs. Certains nous ont même passé commande pour nous signifier leur soutien », s’émeut encore le dirigeant de l’entreprise. Et puis, pour Rossignol, rassembler tout le monde sous le même toit, c’est aussi gagner en efficacité. « Un problème ? Une heure de réunion entre des salariés des services concernés, et la question est réglée. Avant, il fallait parfois une semaine », se félicite-t-il.

Le regroupement, c’est aussi l’option qu’a choisie Salomon, à Annecy. Au siège sont réunis tous les métiers, le marketing, la conception, la logistique et même un atelier de production de l’ensemble des prototypes. Ainsi, les deux géants de l’équipement de ski ont théoriquement adopté l’organisation optimale pour conduire leur entreprise vers des lendemains plus chantants. Et, quel que soit l’endroit du monde qu’ils ont retenu pour leur production (voir encadré page 91), le véritable défi est de faire tourner les usines à plein.

Pour ce faire, Salomon a judicieusement choisi depuis dix ans de se diversifier dans le sportswear, histoire de désaisonnaliser et d’optimiser sa production industrielle. Un tournant auquel il doit la moitié de son chiffre d’affaires aujourd’hui. À l’inverse, Rossignol, en se recentrant sur l’équipement de ski, son core business, affronte la difficulté de gérer des usines qui tournent à plein six mois de l’année, et au ralenti de novembre à mars. Jusqu’à présent, les salariés en CDI de l’usine recevaient les renforts d’intérimaires aux périodes les plus tendues. Bruno Cercley n’en veut plus. « D’une année à l’autre, il faut les former à nouveau. C’est coûteux et leurs performances n’égalent pas celles des permanents », regrette-t-il. Aussi, la DRH voudrait les remplacer par des « CDI intermittents ». Voici son idée : en concentrant un temps partiel sur quelques mois, ces salariés pourraient se voir assurer un job récurrent chaque année et continuer leur métier de pisteurs ou de moniteurs de ski le reste de l’année.

Au-delà des flux de production, chez Rossignol comme chez Salomon, on est conscient que la production en Europe occidentale, au plus près des consommateurs, requiert aussi un travail important pour l’amélioration de la compétitivité. Aussi les usines françaises de Rossignol sont-elles en pleine mutation. « À Nevers, nous avons beaucoup travaillé sur les formations au lean manufacturing et au management. À Sallanches, que nous voulons transformer en pôle d’excellence, nous avons fait un effort particulier sur la qualité et la technicité. Les ouvriers sont formés à la gestion des stocks et des approvisionnements et à l’organisation des entreprises. Enfin, au siège, nous avons tablé sur la créativité et la meilleure utilisation des outils informatiques », explique Christine Kechichi.

Course au résultat. Chez Salomon, on mise plutôt sur l’effet taille. « Depuis que nous appartenons au groupe Amer, nous bénéficions d’un outil industriel beaucoup plus puissant. Lorsqu’on produit presque 1 million de paires de chaussures par an, on achète mieux, on est plus compétitif et on a une plus grande capacité de développement », argumente Jean Gatellet, le directeur de l’activité ski alpin, qui se rappelle cependant avec émotion l’époque où l’entreprise était dirigée par Georges Salomon, connu pour ses coups de gueule, son courage d’entrepreneur et son affection pour chacun. Les temps ont changé. Pour sauver sa peau, Salomon est entré dans l’ère moderne du reporting, de la prudence et de la course au résultat. Et l’arrivée récente à la tête du groupe finlandais d’un patron formé chez Procter & Gamble indique que cette ère n’est pas près de s’achever.

Aujourd’hui, grâce à ces mutations et à un hiver 2010 rigoureux, les deux fleurons français de l’équipement de ski se préparent à annoncer des résultats financiers positifs. De quoi rassurer les salariés, qui, ces dernières années, en voyant les méthodes changer et les patrons défiler, se rappelaient avec philosophie ce vieux dicton montagnard : « Dans notre métier, on est plus intelligent quand il neige. »

Groupe Rossignol

Chiffre d’affaires : 200 millions d’euros (25 % en France)

Effectif : 691 salariés en France)

Actionnaires : l’australien Macquarie (77 %), l’américain Jarden (17 %), Bruno Cercley (6 %)

Groupe Salomon

Chiffre d’affaires : 600 millions d’euros (15 % en France)

Effectif : 700 salariés en France

Actionnaires : Amer Sports, groupe finlandais coté à la Bourse d’Helsinki

Relocaliser ou pas ?

Quand, en octobre, Rossignol a annoncé qu’il relocalisait une partie de sa production en France, l’événement a fait grand bruit. C’était l’exemple que recherchaient les politiques pour encourager le made in France. En réalité, cela relève davantage du coup de pub. La production de 60 000 paires de skis juniors fabriqués à Taïwan reviendra à Sallanches. Mais Bruno Cercley, le patron, reconnaît que la production n’a pas démarré. Aucun emploi n’a encore été créé. « Cette production correspond à 20 emplois en équivalent temps plein. Nous aurons peut-être recours à notre personnel permanent », reconnaît-il. Rossignol refuse que la question de la sous-traitance dans les pays à bas coût de main-d’œuvre soit traitée de façon dogmatique. « Dans chaque cas, on mesure les coûts et on prend des décisions en conséquence », estime Bruno Cercley. Rossignol sous-traite sa production de skis nordiques en Ukraine et en Russie. Certains skis alpins seront sous-traités à Taïwan, en complément des productions française et espagnole. Une partie des chaussures est produite à Montebelluna, en Italie, mais 80 % en Roumanie. Enfin, les fixations sont produites pour partie à Nevers, ou sous-traitées en Pologne pour 40 %.

« Il est très facile de sous-traiter au bout du monde. Mais quand il faut organiser la production, c’est bien moins facile », prévient Bruno Cercley. Entre les commandes à lancer bien avant la saison, les problèmes de qualité et les coûts que la distance génère, le compte n’y est pas. « Pour ces skis, que nous fabriquions à Taïwan, 70 % des coûts proviennent de la matière première. Or ces matières – fibre de verre, résine époxy, Inox… –, nous les acheminions d’Europe. La main-d’œuvre ne représentant que 20 % du coût, les gains ne valaient pas de supporter les inconvénients de la distance. Et puis, en Chine, il n’y a pas encore de marché pour le ski », ajoute Bruno Cercley. Chez Salomon, on estime que l’acte « patriotique » de Rossignol relève plutôt de l’opération survie pour « maintenir l’usine de Sallanches en activité ». Et Salomon n’est pas près d’y revenir : « Nous avons déjà deux usines à remplir », avertit le patron. Le choix des pays de l’Est est tentant. « Le salaire d’un ouvrier est d’environ 1 100 euros en Europe occidentale, contre 300 euros en Roumanie et 200 euros en Bulgarie. La demi-journée de camion supplémentaire pour acheminer les marchandises n’a pas beaucoup d’impact sur les coûts », calcule Jean Gatellet, directeur de l’activité ski alpin.

Auteur

  • Domitille Arrivet