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Politique sociale

Les vrais-faux stages, ça continue

Politique sociale | publié le : 01.01.2011 | Stéphanie Cachinero

Malgré quelques avancées sur leur « statut », les étudiants stagiaires constituent toujours une main-d’œuvre très bon marché.

Inespéré ! Après quatorze mois de stage, le Crédit lyonnais propose à David un CDI. Mais, quarante-huit heures avant la fin de sa période d’essai de six mois, sa hiérarchie remercie le jeune homme. Le 29 octobre dernier, les prud’hommes de Paris déboutent David de sa demande de requalification du stage en CDI. Les juges ne retiennent que le renouvellement abusif de la période d’essai. Pour le 1,2 million de stagiaires, les abus sont légion. En septembre 2007, Xavier Bertrand, déjà ministre du Travail, déclarait : « Nous ne voulons plus qu’un jeune fasse le boulot d’un salarié. » Des paroles qui gardent tout leur sens trois ans plus tard, même si la situation s’est améliorée. Pas de stage sans convention entre l’étudiant, son établissement et l’entreprise d’accueil. Et une gratification mensuelle minimale de 417,09 euros, environ 30 % du smic brut, pour une période supérieure à deux mois.

Qu’il s’agisse des syndicats étudiants et salariés, des organisations patronales, des établissements d’enseignement supérieur, des entreprises et même de Génération précaire, tous reconnaissent l’utilité des stages, mais pour des raisons bien différentes. Selon Gérard Debout, DRH de Darty Ile-de-France, « celui qui n’a pas fait de stage se condamne sur le marché du travail ». Membre de la direction de l’Unef, Emmanuel Zemmour rappelle que « le stage est un élément de la formation. Il permet de mettre en pratique dans le monde du travail les connaissances théoriques des étudiants ». Mais un certain nombre d’entreprises ne l’entendent pas ainsi. « Ces jeunes fournissent une main-d’œuvre qualifiée, surtout en fin de cursus. Ils travaillent comme leurs collègues, mais sont bien moins payés », confie un inspecteur du travail. La communication, la presse, le commerce, le marketing, le luxe raffolent des stagiaires. « Nous représentions la moitié des effectifs chez Publicis Events », note Pauline, qui a passé sept mois dans le groupe en tant qu’assistante chef de projet stagiaire. « Mes prestations étaient facturées 450 euros par jour », précise-t-elle. Soit le montant de sa rétribution mensuelle. Maigre, pour des journées qui se terminaient souvent vers 23 heures. Pour Gérard Debout, de Darty, ce sentiment d’injustice n’a pas lieu d’être : « Celui qui croit être aussi performant qu’un salarié avec dix ans d’expérience, même s’il obtient de meilleurs chiffres, et qui se plaint de sa gratification est dans l’erreur. »

Qualifié et sous-payé. Chez Darty, les stagiaires vendeurs doivent, en outre, composer avec l’animosité, à peine dissimulée, des salariés, et, parmi eux, ceux qui font office de tuteurs. La cause du litige ? Les primes, décrochées par les « bleus », leur passent sous le nez. « Celles-ci participent à la rétribution des jeunes en stage. Seul l’excédent est distribué entre les salariés », explique Gérard Debout. Ce contre quoi s’insurgent les syndicats. En tout cas, cela permet à l’enseigne de ne pas débourser grand-chose pour ses stagiaires : 75 euros par semaine pour les stages inférieurs à deux mois et le minimum légal pour les périodes plus longues. Malgré cela, seule une demande de stage sur cinq aboutit en Ile-de-France. Et la situation risque de s’aggraver, car « les formations professionnalisantes ne cessent de se multiplier », remarque Bruno Vernet, président du Medef Lyon-Rhône. C’est ce qui l’a poussé à créer, en 2001, VIP Stages, une plate-forme Internet mettant en relation entreprises et aspirants stagiaires qui « n’ont pas la chance d’avoir un père chef d’entreprise ». Cette inflation ne réjouit ni l’Unef ni Génération précaire, qui reprochent aux universités et aux grandes écoles de faire le jeu des entreprises par l’« octroi à tout-va » de conventions de stage. « Les bureaux de stages se contentent de donner des coups de tampon sans vérifier l’adéquation entre les missions dévolues aux étudiants stagiaires et leur cursus », explique-t-on à Génération précaire. Dans l’enseignement supérieur, on voit même fleurir des diplômes « spécial convention de stage ». Nice Sophia-Antipolis a créé un diplôme universitaire (DU) « insertion professionnelle ». « Il permet chaque année à une centaine de nos diplômés n’ayant pas les moyens de recourir à un ? organisme de formation privé de se perfectionner et de s’adapter aux demandes des employeurs. On vend un produit fini, pas un stagiaire », explique Daniela Zone-Soubiran, responsable du DU. Ce type de diplôme, où les cours ne sont en général pas obligatoires, contourne le décret du 25 août 2010 (voir encadré) qui, reprenant une préconisation de Martin Hirsch, ex-haut commissaire à la Jeunesse, ­interdit les stages hors cursus.

Le stage doit s’inscrire dans le cursus. Il fait partie intégrante de la formation et ne doit pas être considéré comme une phase de prérecrutement », estime Emmanuel Sédille, responsable des parcours professionnels du CEA, qui accueille près de 2 000 stagiaires chaque année, dont 1 400 ont au minimum un bac + 4. A contrario, EADS milite ouvertement pour le stage de prérecrutement. « Nous considérons nos stagiaires – dont 80 % ont au moins un bac + 4 – comme nos futurs collaborateurs », affirme Éric Delpont, responsable de l’emploi chez Airbus. Pour attirer les talents, le groupe multiplie des rencontres avec les étudiants, les Internship days, et accueille chaque année 1 800 recrues potentielles.

Pour sortir de l’impasse, l’Unef propose de donner un vrai statut juridique aux stagiaires, qui « ne relèvent ni du Code du travail ni du Code de l’éducation ». Génération précaire suggère de remplacer les stages de longue durée par des contrats de professionnalisation avec une rémunération plus avantageuse et la possibilité de cotiser pour la retraite. « Génération précaire bénéficie d’un réel pouvoir de lobbying. Mais, n’étant pas un syndicat, elle ne peut pas, par exemple, contester le classement sans suite d’un procès-verbal de l’Inspection du travail qui constate un comportement répréhensible d’une société ­envers un stagiaire. Ce qui n’est pas si rare », remarque un fonctionnaire du ministère du Travail. En tout cas, les requalifications de stages en contrats de travail restent exceptionnelles. Et la jurisprudence évolue avec lenteur, car les étudiants n’ont pas les reins assez solides pour livrer bataille jusqu’en cassation.

Un principe mis à mal

Avec le décret entré en vigueur le 1er septembre 2010, fini les stages hors cursus. Désormais, une convention tripartite signée par l’étudiant, sa fac ou école et l’entreprise d’accueil est obligatoire. Mais qui dit principe dit exception. La première concerne les stages relevant d’une formation suivie dans le cadre d’une réorientation. La deuxième s’inscrit dans le ? cadre de la formation professionnelle. Enfin, sont admis les stages demandés par un étudiant qui décide de ne plus se rendre en cours pour acquérir « des compétences en cohérence avec sa formation ». « Par le biais de ce décret, le gouvernement rend inopérante i’interdiction des stages hors cursus », se désole Emmanuel Zemmour, de l’Unef.

Auteur

  • Stéphanie Cachinero