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Politique sociale

Le retour des retraités fait l’affaire des DRH

Politique sociale | publié le : 01.01.2011 | Éric Béal

L’assouplissement des règles du cumul emploi-retraite favorise les vocations de retraités actifs. Les employeurs apprécient. Ils s’offrent ainsi les services d’experts, avec ou sans contrat de travail classique.

Nouredine est en pleine forme. À 69 ans, il est toujours au volant de son semi-remorque de 40 tonnes, cinq jours par semaine. Et la PME du Rhône qui l’emploie n’est pas dans l’illégalité. Pour combler le vide de ses journées, Nouredine a proposé à son ancien employeur de reprendre du « service actif ». Son nouveau CDI lui permet de toucher non seulement une rémunération, mais également l’intégralité de sa retraite. Cerise sur le gâteau, il maintient la validité de son permis poids lourd. Comme lui, d’autres chauffeurs retraités reprennent le volant pour des périodes plus ou moins longues. Pour le plaisir ou le revenu complémentaire. Comme Lucette, devenue enquêtrice vacataire à la retraite. Depuis cinq ans, elle cumule les CDD d’un jour à une semaine, rarement plus. « Je suis sur les listes d’une dizaine d’instituts de sondage. Ils m’appellent quand ils ont besoin de moi et je suis libre d’accepter ou de refuser », précise cette Auvergnate qui a travaillé chez UAP. En moyenne, son activité lui procure 200 euros mensuels, qui s’ajoutent à sa pension de 999 euros.

Ces retraités actifs pourraient redevenir des figures familières dans le monde du travail. Avant 2004, le cumul emploi-retraite était permis, sous réserve de cesser tout lien avec son ancien employeur. De 2004 à 2009, la reprise d’activité chez le même employeur a été soumise à six mois de délai et le cumul de revenus devait être inférieur au dernier salaire. Depuis le 1er janvier 2009, son encadrement a été nettement assoupli (voir encadré page 26). Le cumul ne concerne pas que le transport, les instituts de sondage ou les PME. « Je connais des grandes entreprises de haute technologie qui proposent à leurs experts partant à la retraite de revenir comme consultants. Dans certains cas, c’est plus ou moins institutionnalisé dans le cadre d’un accord seniors ou de GPEC », indique Martine Le Boulaire, directrice du développement d’Entreprise & Personnel.

Des économies pour l’entreprise. Parmi les poids lourds, EDF fait revenir des techniciens pour des missions ponctuelles. À chaque pic de froid, des spécialistes de centrale thermique à la retraite participent à la remise en route de certaines installations. D’anciens ingénieurs peuvent également être envoyés en mission à l’étranger. Chez Louis Vuitton, des ouvriers retraités interviennent comme coachs à chaque ouverture d’un nouvel atelier, en France ou à l’étranger. Alstom utilise les compétences d’ex-ingénieurs commerciaux pour de gros contrats à l’étranger. Le groupe commence à diversifier les profils des retraités à qui il demande de faire du rab, car de « simples techniciens » maîtrisant un savoir-faire rare ou un coup de main particulier sont capables de faire économiser beaucoup d’argent. Dans de nombreux cas, il s’agit cependant de managers ou d’ingénieurs de haut niveau. Veolia Propreté a ainsi rappelé le patron d’une filiale réunionnaise après quelques années de retraite. Début 2011, un cadre parisien chargé du support technique des opérations en Chine va reprendre son poste après la liquidation de sa retraite.

Areva identifie en amont les futurs retraités aux compétences stratégiques afin de les sonder sur leurs intentions et d’organiser leurs interventions sous forme de missions ponctuelles

Si le cumul s’étend, il ne s’agit pas encore d’un raz de marée. La Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) estime que 3 % des anciens ont touché en 2009 au moins un salaire depuis leur départ de la vie active. Soit 360 000 personnes sur 12 millions de retraités. Mais cette proportion est en croissance. Le nombre de retraités ayant perçu un salaire dans la période 2005-2009 avoisine 23 3000, ce qui représente 6,7 % des départs à la retraite dans la même période. « Deux types de populations cumulent. Les cadres qui optimisent leurs ressources grâce à leur savoir-faire. Et les anciens salariés avec de petites retraites qui ont besoin d’un complément de revenu », explique Isabelle Bridenne, responsable du pôle évaluation à la direction statistiques et prospective de la Cnav.

Du côté du régime des indépendants, il est encore trop tôt pour savoir si le nombre d’anciens salariés qui cotisent est en augmentation. Mais Isabelle Bridenne n’en serait pas étonnée. « Les montants ne vont pas doubler du jour au lendemain. Mais il est probable que le nombre d’indépendants, qui cotisent sous un régime libéral après avoir pris leur retraite de salariés, va augmenter lentement. Pour les cadres de haut niveau, le statut de salarié a plus de contraintes que le régime libéral. » La statisticienne voit juste. Depuis que le marché du nucléaire a redémarré, Areva propose à certains anciens de retravailler en tant que consultants ­indépendants. « Après quinze ans sans grands contrats, nous avons eu besoin de mobiliser toutes les compétences internes », souligne Philippe Thurat, directeur de la diversité et de l’égalité des chances. Cette situation a conduit le groupe à imaginer un dispositif pour identifier en amont les futurs retraités aux compétences stratégiques afin de les sonder sur leurs intentions et d’organiser leurs interventions sous forme de missions ponctuelles.

Mais il n’est pas question pour Areva de gérer directement ce personnel au statut particulier, ni de proposer des contrats de travail en bonne et due forme. Un marché qu’a flairé Experconnect. Ce cabinet de conseil se charge de tout, y compris de la formation à la gestion des retraités volontaires. Les 120 ingénieurs ou techniciens de haut niveau déjà entrés dans le dispositif sont devenus chefs d’entreprise ou autoentrepreneurs, mais pas salariés. Ils perçoivent des honoraires d’un montant équivalant à leur ancien salaire « chargé » par jour travaillé. En 2009, 90 missions d’une durée moyenne de soixante jours ont été réalisées sous cette forme. Et 70 en 2010. « Nombre de sous-traitants d’Areva sont aussi intéressés. Ainsi que les grands groupes industriels touchés par le papy-boom, qui doivent assurer la transmission des savoirs », témoigne Caroline Young, directrice générale d’Experconnect, qui juge le potentiel énorme pour les experts. À condition qu’ils acceptent une relation très souple à l’entreprise. « Les retraités actifs ne souhaitent plus avoir d’horaires imposés, ajoute-t-elle. Nous les valorisons en leur confiant des missions dans les domaines qu’ils apprécient et maîtrisent. » Un point de vue inacceptable pour certains syndicats qui soulignent que les accords de GPEC signés à grand renfort de communication devraient avoir réglé le problème de la transmission des savoirs. « Ou alors la DRH ne fait pas son boulot », note l’un d’entre eux, chez Areva.

Fiscalité optimisée. André Léger, 64 ans et trente-neuf années passées à la Société générale, est loin de cette polémique. Pour lui, la solution d’Experconnect est idéale. « Je voulais continuer une activité, mais j’avais pris des habitudes d’indépendance à mon dernier poste, en tant que directeur d’une filiale en République tchèque. Je ne voulais pas retomber dans le statut de salarié. » Non seulement il ne paie pas de cotisation retraite supplémentaire pour son activité, mais il optimise sa fiscalité. Les entreprises y trouvent aussi leur compte. « Il y a deux ans, j’ai cherché une solution pour réemployer un expert en embrayages et en matières pour haute friction parti à la retraite, explique l’ancien DRH d’un équipementier automobile international. À l’époque, il était interdit de dépasser un plafond de rémunération, équivalant au dernier salaire perçu. Entre un CDD très contraignant et un CDI mal adapté à la durée d’une mission, je n’étais pas arrivé à bricoler une solution. »

Côté syndicats, pas de tir de barrage, pour le moment, contre cet effet d’aubaine. « Quand le groupe annonce 1 500 suppressions d’emplois, il est scandaleux de savoir qu’il y a un bénéficiaire du cumul emploi-retraite au siège », estime néanmoins Didier Gladieu, délégué syndical CFDT de Thales. Thierry Pierret, son homologue de la Société générale, évacue le sujet. « Ça reste très exceptionnel. Bien souvent, il s’agit de faciliter le “tuilage” entre le partant et le remplaçant », note-t-il. Reste que la question de la cohabitation entre salariés en place et ex-retraités risque de se poser si les entreprises se mettent à pratiquer le cumul emploi­retraite à plus grande échelle. Difficile de revendiquer cette solution lorsque le chômage est au plus haut. Et les recrutements au plus bas.

Un cumul emploi-retraite sans fin…

La législation relative au cumul emploi-retraite a été assouplie à partir du 1er janvier 2009 pour les salariés (en 2004 pour les indépendants). Seule condition restante, avoir liquidé toutes leurs retraites et avoir cotisé pendant toute la durée légale d’assurance vieillesse, donc bénéficier du taux plein, précise la Cnav. Les salariés peuvent donc désormais reprendre une activité sans délai de carence ni plafond de cumul de ressources.

Mais la législation ne permet pas de se faire une idée des conditions de départ de ces salariés un peu particuliers. Lors des Ires Assises de la protection sociale des transports et de la logistique, en septembre dernier, une participante a pointé un aspect pratique embarrassant.

« Nous avons la chance de reprendre des conducteurs à la retraite […]. Ce cumul emploi-retraite ne pose pas de problème tant que tout va bien. Nous employons nos salariés en CDI à temps partiel. Ils tombent donc dans le giron du droit commun. En revanche, nous n’avons pas de solution de sortie pour ces personnes. » En réponse, il a été rappelé qu’un employeur peut mettre fin à un contrat de travail à 70 ans. Mais, entre 60 et 70 ans, « il est possible qu’il existe un vide juridique ». « Il y a un problème, confirme Me Virginie Devos, du cabinet August & Debouzy. La mise à la retraite est clairement impossible avec un salarié déjà retraité. Avant 70 ans, une fin de contrat doit être négociée pour aboutir à une rupture conventionnelle. À moins d’avoir une raison valable justifiant un licenciement. » D’un autre côté, l’emploi d’un retraité en tant qu’autoentrepreneur peut également comporter un risque d’ordre pénal. Un autoentrepreneur en état de subordination ou partageant des locaux communs avec des salariés mettra son « client » en infraction avec la loi. De quoi réfléchir à deux fois avant de recruter un retraité.

Auteur

  • Éric Béal