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Politique sociale

L’austère Cameron désespère Manchester

Politique sociale | publié le : 01.01.2011 | Tristan de Bourbon

Avec les coupes annoncées par le gouvernement, l’emploi public et les associations britanniques vont voir leur budget fondre. Reportage à Manchester, qui s’attend à souffrir… un peu plus.

Sur le bureau de votre ordinateur, il y a deux logos dont vous devez vous souvenir : le E d’Internet Explorer, qui vous permettra d’aller sur le Web pour rechercher des offres d’emploi et en regarder les modalités ; avec le W de Microsoft Word, vous pouvez rédiger le CV que vous enverrez. » Professeur d’anglais pendant deux ans à la prison de Liverpool, Mark Soady a été embauché à Manchester courant mai par la société à but non lucratif Work Solutions pour animer des stages de mise à niveau destinés aux chômeurs. Ses trois interlocuteurs de ce lundi matin – un quatrième vient de sortir, effrayé par l’écran d’ordinateur – découvrent l’usage d’un clavier, d’une souris, des clics droit et gauche, le surf sur le Net. « Je vois surtout des jeunes qui sortent de l’école sans qualification et des ouvriers ou des manutentionnaires de plus de 50 ans dont les qualifications ne sont pas transférables. Ne pas savoir utiliser un ordinateur, Internet ou faire des fautes d’orthographe dans un CV est souvent rédhibitoire. Nous les aidons donc à acquérir ces premières bases. »

Des familles entières sur le carreau. Manchester et tout le nord de l’Angleterre comptent des dizaines de milliers d’hommes et de femmes dans cette situation. La désagrégation progressive de l’industrie a mis sur le carreau des familles entières. Du coup, dans certaines villes, 40 % de la population active travaille aujourd’hui pour l’État. Cette spécificité rend les 81 milliards de livres (95 milliards d’euros) de coupes budgétaires sur quatre ans annoncées en octobre par le chancelier de l’Échiquier, George Osborne, particulièrement préoccupants. « Même si nous nous attendions à vivre la curée pendant la crise, l’emploi ne s’est pas effondré grâce à la poursuite des recrutements dans les services publics, car le secteur privé a totalement disparu de la circulation », confirme Jerry Stokes, le directeur de Work Solutions, où travaille Mark Soady. Prestataire de l’Etat, cette société a aidé plus de 30 000 embauches au cours des dix dernières années, en particulier à des postes faiblement qualifiés dans des supermarchés, des hôtels ou des centres d’appels.

Le Premier ministre, David Cameron, et son ministre des Finances veulent néanmoins rééquilibrer l’économie britannique en s’appuyant sur le secteur privé, prié de créer des emplois, et le secteur associatif, qui est chargé de pallier la baisse des contributions de l’État. Mais ce tiers secteur, à la base de la « Grande Société » (Big Society) dessinée par le leader conservateur, souffre déjà des coupes budgétaires. « Selon un sondage réalisé récemment, 36 % des associations reçoivent de l’argent de l’État et, pour 14 % d’entre elles, c’est leur principale source de re­venus », explique Sam Younger, directeur de la commission gouvernementale nationale chargée des associations caritatives. George Osborne a également annoncé une baisse de 51 % des subventions aux collectivités locales, « ce qui affectera en premier lieu le budget des as­sociations, car les autorités locales voudront préserver leurs opérations propres », estime Sam Younger.

Baisse de budget préventive. Sur le terrain, les effets ont été immédiats. Depuis la première semaine de septembre, Phil Korbel ne travaille plus que trois jours par semaine, le budget de sa radio communautaire ayant été réduit de manière préventive. « S’il y a bien une chose qui incarne la Grande Société de David Cameron, ce sont nos radios communautaires. Et ­jamais le marché ne pourra les remplacer ! » Lorsqu’il monte, en 1999, Radio Regen, une association visant à donner des cours de radio à des sans-emploi, il n’imagine pas que son projet va prendre un essor considérable et devenir un modèle pour les futures radios communautaires britanniques après la création, sous le parapluie de Radio Regen, de radios dans deux banlieues pauvres du sud de Manchester. « Nous n’avons pas fait de nos centaines de stagiaires des professionnels de la radio, tel n’était pas le but », précise l’ancien producteur de la BBC. « Nous leur apprenons surtout à utiliser un ordinateur, à agir au sein d’un groupe, à prendre des responsabilités, c’est-à-dire certaines des qualités nécessaires à tout travail. Et, le plus important, à améliorer leur perception d’eux-mêmes. »

Des centaines de jeunes sont passés par son école. Le gérant de Wythenshawe FM, Jason Kenyon, a atterri à Radio Regen en 2002, envoyé par une agence de placement après son licenciement d’une usine de ­fabrication de verre. Il suit des cours de radio, y ? fait le ménage pour gagner un peu d’argent et finit par rester. Phil Korbel lui propose de s’occuper de la création de Wythenshawe FM. « J’ai appris beaucoup de choses applicables à n’importe quel autre environnement professionnel. Et, pour moi qui ai fait de la prison quand j’étais jeune, cette stabilité m’a sauvé. »

Wythenshawe est perçue comme l’une des villes les plus dangereuses de la région. Pendant la campagne électorale, un des habitants, la tête cagoulée, a fait mine de tirer avec un revolver sur David Came­ron. La photo, largement diffusée dans la presse, n’a fait qu’aggraver la mauvaise ­réputation de la ville. Avec leur radio, Jason Kenyon et Phil Korbel veulent donner une autre image. « En disant aux habitants qu’il se passe des choses bien ici, les gens vont finir par le croire, assure son fondateur. Nous sommes un ciment social. Si nous disparaissons, toute la société en pâtira. Ce que l’on gagne aujourd’hui en coupant dans les aides publiques coûtera bien plus cher demain à la collectivité. » Pas sûr que le sort des quelque 200 radios communautaires du pays émeuve le Premier ministre, qui veut réaliser près de 100 milliards d’économies en moins de cinq ans.

Auteur

  • Tristan de Bourbon