Dans son introduction, Patrick Eveno note que « l’histoire du capitalisme de la fin du XIXe siècle à nos jours est depuis longtemps un objet de recherche mais, paradoxalement, elle conserve, aujourd’hui encore, une face mal connue : les patrons eux-mêmes ».
Réalisé par des spécialistes de l’histoire économique et sociale française, ce dictionnaire comble enfin cette étrange lacune. Comme le rappelle Patrick Eveno, il y a plusieurs « types sociaux » dans la figure patronale. Le chef d’entreprise, terme qui renvoie à l’image militaire du commandant chargé de mener ses troupes à la conquête des marchés. Le dirigeant, mot qui englobe toutes les fonctions de la direction générale. L’employeur est souvent celui que veulent connaître les syndicats. Le capitaliste, renvoyant aux belles années des analyses marxistes, alors que le rôle des actionnaires n’a jamais été aussi important. Patrick Eveno mentionne également le manager, dénomination centrée sur ceux qui ont en charge la direction opérationnelle d’une société ; l’entrepreneur, sa version dynamique et consensuelle ; et le P-DG, les fameuses initiales à vocation plus statutaire. À coup sûr, ainsi que le souligne Eveno, « cette incertitude sémantique est révélatrice de la difficulté qu’il y a à cerner le patronat ».
Impossible d’évoquer toute la richesse de cet ouvrage, grâce auquel on peut redécouvrir de grands industriels, voyager dans l’influente banque protestante, revisiter la saga des Leclerc père et fils, remonter les arbres généalogiques des familles Michelin, Peugeot, Schlumberger, Schneider, décrypter l’ascension spectaculaire d’un Arnault ou d’un Pinault. Les concepteurs du dictionnaire ont aussi adopté des approches plus thématiques. Un chapitre est ainsi consacré au « monde des patrons ». Un autre interroge les pratiques et les enjeux du patronat. On trouve des analyses fouillées sur les positions patronales face au travail des femmes, l’immigration, la question de la santé dans le cadre professionnel, mais aussi le sport ou l’environnement.
Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, connus pour avoir la dent dure à l’égard du syndicalisme français, tentent d’offrir une synthèse des rapports entretenus par le patronat avec les syndicats ouvriers. Les organisations patronales font l’objet d’une série d’analyses tout aussi riches. Sans conteste, il s’agit du plus beau « legs » éditorial de la défunte année 2010.
Dictionnaire historique des patrons français, sous la direction de Jean-Claude Daumas. Éditions Flammarion. 1 620 pages, 65 euros.
