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Enquête | publié le : 01.01.2011 | Anne-Cécile Geoffroy

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Les principaux outils de formation à disposition

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Produit de 68 et des Trente Glorieuses, la loi Delors sur la formation continue a constitué une petite révolution. Au fil du temps, le système est devenu très complexe et n’a pas atteint son objectif de promotion sociale.

Sur le coup, ils n’en sont pas revenus. Au lendemain du remaniement ministériel de novembre, les partenaires sociaux se réveillaient avec une ministre déléguée à l’Apprentissage et à la Formation professionnelle, Nadine Morano. Une première. Jusqu’ici, la formation tombait dans le portefeuille de secrétaires d’État, plus ou moins convaincus par le sujet. « Un symbole politique fort », se sont félicités responsables syndicaux et patronaux, sous-entendant que la formation professionnelle avait enfin acquis ses lettres de noblesse.

Il aura fallu attendre quarante ans pour y arriver. Les deux textes fondateurs du système de la formation professionnelle (l’accord national interprofessionnel de juillet 1970 et la loi Delors de juillet 1971) sont pensés et négociés au lendemain de Mai 1968. La France vit les dernières heures des Trente Glorieuses : on ne compte alors que 300 000 chômeurs, contre près de 4 millions aujourd’hui. Et le principal souci des entreprises est de trouver une main-d’œuvre qualifiée : les bacheliers représentent 5 % de la population active, et moins d’un tiers des ouvriers ont un CAP. L’accord des partenaires sociaux puis la loi cherchent à première vue à concilier cet objectif avec l’aspiration des salariés à la promotion sociale. L’une des révolutions de la loi portée par Jacques Delors, alors conseiller social de Jacques Chaban-Delmas, est de reconnaître un droit à la formation sur le temps de travail sans perte de salaire. C’est aussi l’injonction faite aux entreprises de former leurs salariés. Pour financer ce droit, les entreprises doivent à l’époque consacrer 0,8 % de leur masse salariale à la formation. Le législateur avait même chiffré la montée en charge du système : les entreprises devaient affecter 2 % de leur masse salariale à la formation dès… 1976.

Quarante ans après, la moitié des salariés sont formés chaque année. En comparaison, moins de 15 % d’entre eux avaient accès à la formation au début des années 70. 1,5 % du PIB (soit près de 30 milliards d’euros) est consacré à la formation. À elles seules, les entreprises y accordent près de 12 milliards d’euros. L’obligation légale des entreprises de plus de 20 salariés portée à 1,6 % de la masse salariale est allégrement dépassée pour atteindre 2,9 %. Et les partenaires sociaux ne cessent de se gargariser d’avoir conçu la boîte à outils formation la plus fournie de la planète.

Une exception française qui ne masque pas un système trop cher, trop inégalitaire, trop complexe. « Un salarié sur deux se forme chaque année… mais c’est toujours le même », résume un haut fonctionnaire du ministère du Travail. Conçu par des élites politiques et syndicales (au début des années 70, ce sont les cadres de l’Ugict qui s’emparent de la question pour la CGT), le système s’adresse à la crème des grandes entreprises. Résultat : les cadres partent plus souvent en formation et les ouvriers restent les parents pauvres du système. La durée moyenne des formations ne dépasse pas trente heures par an et les actions engagées visent surtout à assurer l’adaptation du salarié à son poste de travail. Il faut dire qu’entre-temps la France est entrée dans l’ère du chômage de masse et que les évolutions technologiques, la mondialisation, latertiarisation de l’économie ont rendu obsolètes, dès le début des années 80, les qualifications professionnelles.

Immanquablement, l’ambition de corriger les inégalités sociales n’a jamais été atteinte, sinon à la marge et principalement grâce au congé individuel de formation (CIF), créé par la loi Delors, mais dont lefinancement n’était pas prévu avant 1983. À l’échelon national, un peu plus de 40 000 personnes bénéficient actuellement chaque année d’un CIF. En Ile-de-France, 80 % des bénéficiaires sont des ouvriers et des employés. « Mais le CIF n’est pas pour autant un droit opposable et l’on ne peut pas accepter toutes les demandes. La première inégalité est l’accès à l’information et à l’orientation. C’est à ce niveau que nous devons placer nos efforts », souligne Jean-Pierre Douillet, vice-président du Fongecif Ile-de-France. Lucie Tanguy, sociologue, spécialiste de la formation au CNRS, a montré que si la France se crispe autant sur son système de formation professionnelle, c’est parce qu’il s’est construit sur un mythe de promotion sociale et de deuxième chance : « L’ANI a été signé au lendemain des grandes grèves de 68, dont l’administration et les entreprises voulaient à tout prix éviter qu’elles se reproduisent. Pour Jacques Delors, la formation est apparue comme un outil de réforme économique, mais aussi comme un outil de pacification des relations sociales. La deuxième chance et la promotion sociale n’ont jamais été les objectifs des auteurs mais ont nourri les espoirs des salariés. »

Deux idéaux dont les partenaires sociaux ont du mal à faire le deuil. Dès son préambule, l’ANI du 7 janvier 2009, le dernier en date, affiche la volonté de permettre à tout salarié « de progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle ». « La loi n’a pas repris ce droit à la deuxième chance, constate Stéphane Lardy, vice-président FO de Pôle emploi. Tout simplement parce qu’il faut pouvoir le financer. » Le discours des partenaires sociaux commence donc à évoluer. « Nous devons passer de la formation promotion sociale à la sécurisation des parcours professionnels », avançait la cédétiste Anousheh Karvar, secrétaire nationale, lors de la célébration des 40 ans du paritarisme dans la formation professionnelle, début décembre à Paris. « Notre nouvelle frontière n’est plus la formation promotion sociale, mais la formation professionnelle “continuée” », note Joël Ruiz, directeur général d’Agefos PME.

« D’un droit collectif, nous sommes passés à un droit individuel encadré par la négociation collective », décrypte Anousheh Karvar. De l’injonction « entreprises, formezvossalariés ! »,nouspassonsà l’injonction « salariés, formez-vous ! ». La palette d’outils à la disposition des actifss’est ainsi élargie : le bilan de compétences pour faire un point sur son évolution professionnelle, la validation des acquis de l’expérience (VAE) pour faire reconnaître les compétences acquises au travail et les transformer en certification, le droit individuel à la formation (DIF) pour prendre en main son employabilité. Sans oublier le passeport formation, un outil fantôme dans beaucoup d’entreprises, imaginé dès 2003 pour permettre de garder une trace des formations suivies par les salariés. L’autre grande évolution du système issu de la loi Delors est la consécration de la formation comme instrument incontournable des politiques de l’emploi. Conçue à l’origine pour les salariés, la formation professionnelle a été déviée ces trente dernières années pour être dirigée vers les demandeurs d’emploi. Et, en toute logique, les trois dernières années n’ont fait que renforcer cette tendance. Au plus fort de la crise économique, le mot d’ordre était de « former plutôt que de chômer ». Une excellente prescription, malheureusement non suivie d’une réfor­me structurelle. Selon les derniers chiffres du Fonds d’investissement social de 2009, seuls 21 000 salariés en chômage partiel ont suivi une formation. Et même si, depuis, leur nombre a dû évoluer à la hausse et qu’il faut également y ajouter les bénéficiaires du Fonds national pour l’emploi, le compte n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Certes, le sujet de la formation auservice de l’emploi n’est plus tabou au sein desorganismesparitairescollecteurs agréés (Opca), note un spécialiste : « Depuis la loi de modernisation du marché du travail, les Opca, notamment Agefos PME et Opcalia, interviennent dans les contrats de transition professionnelle (CTP) et les conventions de reclassement personnalisé (CRP) aux côtés de Pôle emploi et de l’Afpa. » Mais là encore, les chiffres manquent d’ambition. Alors que la moitié des bénéficiaires d’un CTP suivent réellement une formation, seuls 20 % des licenciés économiques en CRP choisissent cette voie. Opcalia et Agefos PME ont ainsi accompagné 30 000 salariés en CTP. Une goutte d’eau.

Comme les salariés, les demandeurs d’emploi doivent se prendre en main : la VAE, le bilan de compétences, le CIF leur ont été ouverts au fur et à mesure

Pour le chômage des jeunes aussi la formation est devenue un remède. Dès les années 80, l’alternance, alors en perte de vitesse avec le contrat d’apprentissage, est reboosté par les partenaires sociaux. Ils inventent les contrats en alternance, dont le plus utilisé est le contrat de qualification, remplacé depuis par le contrat de professionnalisation. Le gouvernement a l’ambition de dépasser la barre du million de jeunes en alternance (ils étaient 527 000 en septembre 2010). Reste à savoir comment inciter les entreprises à les recruter.

Comme les salariés, les demandeurs d’emploi doivent se prendre en main. La VAE, le bilan de compétences, le CIF leur ont été ouverts au fur et à mesure. « La formation professionnelle est devenue une sorte de bien universel comme l’éducation scolaire. Elle est considérée comme un instrument permettant de résoudre les problèmes de compétitivité économique, l’adaptation des salariés, et de remédier aux effets du chômage. C’est une sorte de bonne à tout faire », constate, perplexe, Lucie Tanguy. Le dernier accord est empreint de cette nouvelle croyance. Le nouveau Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) a notamment pour mission de financer la formation des demandeurs d’emploi et des salariés les moins qualifiés. Le DIF portable autorise les salariés licenciés à activer leur droit à la formation, même inscrits à Pôle emploi. Et, avec la préparation opérationnelle à l’emploi (POE), qui permet aux entreprises de former leurs futures recrues avant de les embaucher, la CGPME assure que les demandeurs d’emploi répondront désormais aux besoins des employeurs.

La formation étant devenue un outil des politiques de l’emploi, l’État n’a plus hésité à reprendre la main sur le système. Et à ponctionner 300 millions d’euros sur les réserves du FPSPP. Le gouvernement actuel s’est senti d’autant plus légitime à se servir que l’obligation sociale des entreprises concernant la formation est de nature fiscale. En 1970, les partenaires sociaux n’ont pas voulu d’une nouvelle cotisation sociale pour financer la formation sur le principe de l’assurance chômage. Ils en paient aujourd’hui les conséquences. « C’est un sujet qui est à l’étude », explique-t-on dans le milieu patronal. « En 2003, FO était demandeuse. Nous n’avons pas été suivis », rappelle Stéphane Lardy. Pour les partenaires sociaux, cette volonté d’étatisation met en danger le paritarisme né de la loi de 1970. D’autant qu’un troisième acteur est entré dans la danse. Les régions, qui, depuis les lois de décentralisation du début des années 80, interviennent dans le champ de la formation : de l’apprentissage à la formation des personnes à la recherche d’un emploi ou d’une reconversion.

Le jeu politique s’embrouille et alimente la complexité du système pour les salariés, les demandeurs d’emploi et les jeunes. Chaque acteur se sentant légitime pour intervenir dans le domaine. « On veut cantonner les régions au rôle d’acheteuses de lots de formation, souligne Emmanuel Maurel, responsable de la formation professionnelle pour la région Ile-de-France. De notre côté, nous considérons que notre rôle est d’accompagner les citoyens pour accéder à ce droit fondamental. » Jusqu’ici, aucune des réformes n’a osé toucher à la gouvernance pour redéfinir le rôle de chacun dans le système. Et ce n’est pas l’approche de la présidentielle de 2012 qui favorisera cette réflexion.

Pascal Jousse, 43 ans.

Responsable du site de production d’un fabricant de parquet de 280 salariés en région Centre, Pascal en avait marre de mettre en œuvre des plans sociaux. « Deux en trois ans, indique le quadra. J’ai profité du second PSE pour me porter volontaire et me lancer dans la création d’entreprise. » Il opte pour un contrat de transition professionnelle (CTP). Ce dispositif propose un accompagnement resserré des demandeurs d’emploi issus d’entreprises de moins de 1 000 salariés et un accès facilité à la formation tout en garantissant près de 100 % du salaire pendant un an. « Il était primordial de me faire financer les formations pour assurer ma reconversion. Sans le CTP j’aurais déboursé plus de 3 700 euros. » Opcalia, Opca interprofessionnel, a pris en charge les frais. Pascal a racheté une entreprise de charpente-couverture. Il ne se verse pas encore de salaire et pointe toujours à Pôle emploi, le temps de stabiliser sa réorientation.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy