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Enquête

Chacun pour soi dans le maquis des dispositifs

Enquête | publié le : 01.01.2011 | Laure Dumont

Dans la droite ligne de la loi de 2004, qui a entériné le DIF, les salariés doivent s’emparer de leur parcours de formation et le gérer eux-mêmes. Au point de devenir aussi compétents que leurs responsables RH, si ce n’est plus…

Avec dix ans d’expérience dans le tourisme et quelques fourmis dans les jambes, Fadila a fait un bilan de compétences, puis une VAE, pour valider un BTS jamais décroché. Après plusieurs années au sein d’un service marketing d’une grande entreprise, Louise a intégré sur concours le corps des Télécoms et, à 33 ans, elle est retournée pour un an sur les bancs de l’école, à Télécom ParisTech. Thibaut était, lui, un peu fâché avec l’école, mais ses deux années d’apprentissage accomplies en alternance dans une entreprise de bâtiment l’ont réconcilié avec son avenir. Éric, parti dans la vie avec un maigre bagage, a, grâce au Cnam, grimpé un à un les barreaux de l’échelle sociale. Vingt ans après son BEP, il ne rêve que d’une chose : décrocher un doctorat. Directrice financière d’une PME, Sophie sait d’expérience que les budgets formation ne demandent qu’à être dépensés, et a pioché régulièrement dans le catalogue de formations en libre accès à la DRH pour se tailler un profil au gré de ses envies et besoins d’évolution…

Ces cinq parcours n’ont rien à voir les uns avec les autres, ils racontent des histoires singulières et nous donnent un petit aperçu de la vaste palette qu’offre le dispositif français de formation professionnelle. Un lien les unit pourtant et tient en un seul mot : motivation. « Si vous êtes motivé, assure Éric Lesieur, cadre de la Caisse nationale du régime social des indépendants, passé à plusieurs reprises par le Cnam, vous avez, par le système de formation continue, la possibilité d’aller chercher des connaissances. Cela demande du temps, le soir et le week-end, et du travail mais, de mon point de vue, il s’agit d’un bon compromis entre la validation universitaire des connaissances et l’évolution professionnelle. Le jeu en vaut la chandelle. » On trouve la même satisfaction chez Louise. Grâce à son diplôme de Télécom ParisTech, elle est passée du marketing à l’accompagnement des entreprises innovantes : « C’est un plaisir, mais aussi un gros effort de reprendre des études, de connaître à nouveau le stress des examens. Je me suis retrouvée avec des gens de dix ans plus jeunes, avec lesquels je n’avais pas grand-chose à partager. Quand j’arrivais trop tôt en cours, on me prenait pour la prof ! » se souvient-elle en riant, car elle ne regrette rien de cette expérience.

Très motivés, donc, Fadila, Éric, Louise, Sophie et Thibaut sont surtout des défricheurs qui ont pris en main leur carrière pour donner à leurs vies professionnelles respectives la direction qu’ils souhaitaient. « La société reporte sur l’individu laresponsabilité de sa trajectoire, constate Mathilde Bourdat, manager à Cegos. Or ce sont toujours les individus les mieux outillés, les plus formés, qui utilisent au mieux le système pour en tirer personnellement parti. Dans la majorité des cas, les gens se débrouillent seuls face à des responsables RH ou formation qui ne jouent pas vraiment leur rôle de conseil et d’orientation. » Dépassées, les directions d’entreprise ? « Former nos managers à informer convenablement leurs équipes reste compliqué. Le dispositif de formation est un mille-feuille d’une grande complexité. Entre la VAE, le CIF, le DIF…, il est très difficile de savoir exactement quelle formule convient à telle situation », reconnaît Dominique Mircher, le directeur des affaires sociales de l’Hôtellerie France chez Accor (16 000 salariés).

Une complexité que de nombreux responsables de formation ont néanmoins su domestiquer, se transformant même en chasseurs de primes (voir page 20), comprenant bien tout l’intérêt d’accepter une formation en DIF pour ensuite la faire financer par un Opca et non pas sur leur budget formation. Mais, face à ce maquis, les acteurs de la formation sont devenus d’incontournables partenaires, plus seulement des prestataires de services : « Notre métier a complètement changé en dix ans, raconte Françoise Martin-Saintève, chez IGS. Avant, nous avions une convention deformation et trois factures dans l’année pour un stagiaire. Aujourd’hui, l’individualisation des parcours fait qu’une personne peut cumuler jusqu’à cinq conventions (DIF, plan de formation d’entreprise, autofinancement…), ce qui représente in fine 12 à 15 factures dans l’année pour un seul acte de formation. » Parallèlement à ces contraintes de gestion, les grands organismes de formation doivent aussi désormais jouer les conseillers pour guider les entreprises dans les méandres de la formation professionnelle. « Dans la plupart des cas, les stagiaires reçoivent un énorme catalogue et doivent y dénicher seuls leur formation », raconte Christiane Brouta-Crocker, formatrice et coach.

Si autonomes soient-ils devenus, les salariés adoptent parfois un comportement consumériste. « Nous avons toutes les peines du monde à leur faire suivre l’ensemble d’un stage, déplore Paul-Dominique Pomart, responsable formation chez Bayard. Du coup, nous devons monter des microformations de trois jours qui ne permettent pas de promotion sociale. » S’ils ont pris au mot la loi de 2004, ils perçoivent aussi les incohérences et les décalages entre le discours officiel et sa mise en pratique. « Mon compteur DIF est plein, explique Fadila, qui travaille dans un réseau d’agences de voyages. J’ai fait une demande pour passer le brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique afin d’avoir un autre diplôme que mon BTS de tourisme. Mais cela a été refusé sous prétexte que ça n’entre pas dans la stratégie de l’entreprise. » Une formation entre-t-elle dans le plan de formation ou relève-t-elle du DIF ? Le salarié ne comprend pas toujours la subtilité. Qui découle pourtant d’un vrai choix politique.

Le plan de formation reste un droit unilatéral de l’employeur, maître chez lui : il forme qui il veut à ce qu’il veut. Le DIF est un droit d’initiative. Le salarié peut en discuter avec son employeur dans une amorce de négociation mais ce dernier est toujours libre de refuser. Dès le départ, comme le souligne Jean-Pierre Willems, consultant en droit de la formation chez Demos, les partenaires sociaux ont commis l’erreur de ne pas concevoir le DIF à l’intérieur du plan de formation, ce qui aurait amené un espace de négociation. La frontière reste bien nette entre les deux dispositifs, et le DIF n’est pas le droit « automatique » que l’on avait vendu aux salariés. D’où l’amertume de Sophie : « Le DIF, on vous l’accorde à la rigueur pour des cours d’anglais, que l’on prend par téléphone depuis notre bureau. Pour l’employeur, c’est imperceptible et facile à lisser. » C’est comme si les salariés, devenus plus libres et autonomes, d’un côté, étaient bridés de l’autre. Encore une fois, seuls les plus malins parviennent à tirer leur épingle du jeu.

Éric Lesieur, 42 ans.

Grâce aux formations financées par les entreprises pour lesquelles il a travaillé, Éric Lesieur a eu l’opportunité de suivre tout au long de sa carrière un parcours diplômant qui lui a permis de progresser professionnellement et de ne jamais connaître un seul jour de chômage. « Je suis un enfant du Cnam, souligne-t-il. Après un BTS, ma première chance a été de passer au Cnam un diplôme d’études supérieures de technicien en informatique, en contrat de qualification. Ensuite, j’ai suivi une formation en management à l’EM Lyon puis j’ai obtenu le diplôme préparatoire au cycle économique et passé le MBA Manager d’entreprise, à nouveau au Cnam-IIM. Aujourd’hui, je donne des cours au Cnam-IIM parallèlement à mes fonctions professionnelles et je compte démarrer prochainement un doctorat en science de gestion, hors de mon temps de travail. Si l’on est motivé, le Cnam donne un accès peu onéreux aux connaissances pour une ascension professionnelle. »

Auteur

  • Laure Dumont