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Politique sociale

Sacrifices salariaux de rigueur

Politique sociale | publié le : 01.12.2010 | Anne Fairise

Baisse des salaires, coupes dans les RTT, réduction de l’intéressement… Les entreprises continuent à serrer les boulons. Des mesures de crise qui frisent parfois le chantage à l’emploi et divisent les salariés.

L’espoir d’une reprise rapide qui s’effondre, des perspectives de croissance insuffisantes pour résoudre les problèmes d’emploi (+ 1,5 % en 2011 d’après le « consensus » des économistes), un climat social pesant et instable « mêlant une part de résignation, de bouffées d’exaspération et de radicalités ponctuelles » qui risque d’amplifier, dans les entreprises, les tensions internes… La Note de conjoncture sociale d’Entreprise & Personnel, publiée en octobre, est un véritable appel à la vigilance, deux ans après le déclenchement de la crise financière.

« Nous sommes dans le temps des désillusions, commente Jean-Pierre Basilien, directeur d’études d’E & P. Les Français perçoivent bien qu’ils entrent de manière durable dans une période de remise en cause de leur modèle social et que celle-ci sera douloureuse. » Avec son lot de sacrifices et d’incompréhensions. Car bon nombre d’entreprises ont déjà réagi face au « découplage des économies », entre les zones à très forte croissance et les autres, dont la vieille Europe. « Si l’horizon des grandes entreprises est dorénavant celui des zones en croissance, les salariés français restent ancrés dans leur réalité nationale. Ils risquent de ne pas comprendre que les entreprises annoncent de bons résultats, des croissances d’activité ou des investissements dans d’autres zones économiques en développement, tout en ayant une politique extrêmement prudente, basée sur la maîtrise des coûts, sur le territoire français », poursuit Jean-Pierre Basilien. Quelques grands groupes anticipent déjà les difficultés, comme Airbus. « Nous prévoyons des négociations annuelles obligatoires ardues pour 2011, car il est difficile d’expliquer à la fois que nos carnets de commandes débordent et que nous connaissons un très faible niveau de profitabilité, notamment en raison du cours du dollar », justifie Frédéric Agenet, DRH France du groupe EADS. Quant aux entreprises qui ne tournent pas à plein régime, ou craignent de ne plus le faire, elles ont tôt fait d’adopter une ligne encore plus dure en matière de gestion des ressources humaines.

Régime sec contre emploi. Les sacrifices salariaux, à accepter ou non pour maintenir la compétitivité de l’entreprise, sont un sujet d’actualité immédiate pour les 2 500 ? cols bleus et blancs de Continental à Toulouse, Boussens et Foix. Depuis que la filiale française de l’équipementier automobile allemand a proposé, en mai, une réduction de 8 % de la masse salariale pour anticiper une baisse des commandes en 2012-2013, garantissant en contrepartie le maintien des emplois jusqu’en 2015, la question fait controverse entre collègues, syndicats et dans les familles.

En septembre, 52 % des 87 % de salariés votants ont dit oui aux sacrifices. Les sections FO, CFE-CGC et CFTC ont avalisé l’abandon de deux jours de RTT, le quasi-gel des salaires et la réduction de 50 % de la prime d’intéressement. Jusqu’à ce que, fin octobre, la CFDT et la CGT, majoritaires, fassent valoir leur droit d’opposition, frappant l’accord de nullité, au motif qu’il s’agit de chantage à l’emploi dans une entreprise faisant de gros profits. Mi-novembre, la tentative de médiation, sous l’égide de l’État, n’avait toujours pas abouti, tandis que le climat se tendait de plus en plus entre partisans et opposants au projet de la direction. Dernier rebondissement : un groupe de salariés « indépendants » interpellaient François Chérèque et Bernard Thibault pour leur demander d’intervenir auprès de leurs sections d’entreprise…

À Strasbourg, en septembre, salariés et syndicats ont, eux aussi, été confrontés à la question des sacrifices salariaux. « Contrairement à Continental, nous sommes en situation de faillite et sans repreneur : il y a 1 150 emplois en jeu », martèle en boucle Jean-Marc Ruhland, délégué CFDT. Avec FO et la CFTC, il a entériné une baisse de 10 % des coûts de main-d’œuvre pour que le site réintègre la maison mère General Motors qui l’avait cédé, en 2009, lors de sa mise en faillite. Avec l’aval de 71 % des salariés et l’engagement de la CGT de ne pas s’y opposer, arraché de haute lutte par un médiateur. Ticket d’entrée : plus d’un tiers des 16 jours de RTT, des salaires gelés pendant deux ans, zéro intéressement jusqu’en 2013…

Baisse des salaires proposée chez Hertz, Hewlett-Packard ou Osram, réorganisation consentie chez Caterpillar pour réduire le nombre de licenciements… Bien d’autres salariés, et sections syndicales, ont été confrontés, à la faveur de la crise, à des choix cornéliens. La liste des entreprises exigeant des sacrifices s’est étoffée depuis qu’en juillet 2004 l’équipementier Bosch a ouvert la brèche. La CFDT, majoritaire, et la CFE-CGC avaient accepté une réduction du coût salarial de 12 % par heure travaillée, en remettant notamment les horaires à 36 heures, pour, en contrepartie, récupérer un investissement de 12 millions d’euros partis en République tchèque et sauver l’usine. Avec le soutien de 98 % des 820 salariés. La controverse suscitée dans l’Hexagone avait alors été nationale. Même le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, était intervenu, favorable à « des changements » pour permettre aux salariés souhaitant travailler plus de le faire mais opposé au « chantage » exercé par certaines entreprises.

Pas de débat national similaire dans l’affaire Continental Automotive France, qui marque pourtant un dramatique tournant pour la réformiste CFDT. Elle craint un effet boule de neige chez les sous-traitants automobiles, particulièrement fragilisés par la crise. Au point que sa Fédération de la métallurgie a diffusé, en novembre, un vade-mecum pour aider les équipes à « distinguer, syndicalement, chantage à l’emploi et sauvegarde de l’emploi » face aux menaces de licenciement ou de fermeture de site. Faillite, problème industriel, volonté de moins-disant social : le document explicite les raisons ayant motivé des demandes de concessions salariales et donne des repères pour s’engager dans des discussions sur d’éventuels reculs sociaux. Pas de quoi graver la position de la CFDT dans le marbre : « Chaque équipe doit chercher sa solution pragmatique », martèle Philippe Portier, secrétaire national chargé de l’industrie. Chose certaine, il y a des préalables : une connaissance approfondie de la situation économique, un dialogue social de qualité, le soutien des salariés.

La CFDT Métallurgie diffuse un vade-mecum pour mieux “distinguer, syndicalement, chantage à l’emploi et sauvegarde de l’emploi” face aux menaces de licenciement ou de fermeture de site

Diagnostic non partagé. « Lorsque le dialogue social ne concerne que l’adaptation de l’emploi, comme chez Continental, sans s’être porté sur le terrain économique, il ne peut que se bloquer. Les mesures rognant le statut social ne seront jamais une hypothèse de départ, elles ne peuvent être que la conséquence d’un diagnostic partagé », reprend Philippe Portier. Celui-ci fait cruellement défaut à Toulouse, Boussens et Foix. « Il y a un tel décalage entre les annonces de la direction et le quotidien des salariés : des carnets de commandes remplis, des usines reconnues performantes… », souligne Sami Hamida, le délégué CFDT à la certitude bétonnée par l’expertise du cabinet Syndex. Demandée par le CCE, elle dévoile la santé de l’équipementier (38 millions d’euros de bénéfices en 2009) et de bonnes perspectives.

La logique d’austérité s’est imposée bien au-delà des situations aiguës de sauvegarde de l’emploi, comme le montrent les budgets d’augmentation salariale dans le privé. Avec de fréquents gels de salaire (un tiers puis un quart des entreprises, selon une étude Mercer), 2009 et 2010 ont été drastiques. 2011 s’annonce aussi parcimonieuse. « Le taux de progression des budgets reste historiquement faible », constate le cabinet de conseil RH Hewitt. Selon les données recueillies auprès de 150 sociétés, les augmentations salariales globales 2011 s’élèveront, en moyenne, à 2,7 %. Un chouia mieux qu’en 2010 (2,6 %), moins bien qu’en 2009 (2,9 %). En tout cas, elles s’annoncent « inférieures aux taux de 3,3 à 3,5 % observés en moyenne ces trente dernières années ». Autant parler de troisième année noire !

Rien d’étonnant à ce que les formations des managers, chargés de porter la parole d’austérité, tournent à plein. Chez Hewitt, leur nombre a été multiplié par dix depuis la crise. « Pour la plupart issus des rangs des opérationnels, les managers n’ont pas forcément appris à gérer les tensions autour des salaires ni à oser différencier les augmentations », commente Pierre Le Gunéhec, responsable de la rémunération globale d’Hewitt. Pour « créer un contexte favorable », il conseille notamment la mise en place d’un bilan social individuel, dévoilant à chaque salarié tous les éléments de rémunération et avantages perçus dans l’année. De quoi « faire acte de pédagogie »… et de transparence. C’est bien le moins face à des salariés qui se serrent la ceinture depuis longtemps.

Embauche en mode précaire

Non seulement les salariés insiders sont à la diète, mais les outsiders ont peu de raisons d’espérer. Car, pour l’heure, l’amorce de reprise n’annonce pas de créations d’emplois durables, mais des embauches sur le mode précaire. La proportion de salariés en CDD est en hausse, portée à 7,6 % en juin 2010 contre 7,2 % un an auparavant, selon le ministère du Travail. Et si l’intérim repart depuis février, l’accès au CDI au terme des missions reste parmi les plus bas depuis 2002. Il était tombé à 12 % en mars dernier (contre 22 % en 2008), indique une étude du Prisme, syndicat patronal du travail temporaire. Et peine à se redresser. « Les employeurs disent qu’ils n’ont aucune visibilité sur les volumes d’activité à venir », explique Mireille Thuet, directrice de Crit Intérim, en Alsace-Lorraine et en Franche-Comté, régions placées dans le trio de tête du rebond intérimaire. Autre signal négatif : le raccourcissement des missions, tombées ici « de douze à neuf jours en moyenne »…

Même les entreprises de services qui ont passé la crise sans heurt font assaut de prudence. Chez Ikea France, qui a annoncé 12 ouvertures d’ici à 2020, les embauches se font plus souvent à temps partiel. « Les effectifs des magasins de Reims et d’Avignon, ouverts cette année, comptent 38 % de CDI à temps partiel, contre 30 % en moyenne dans les autres Ikea. Et la durée des contrats diminue, jusqu’à quinze heures par mois. La direction ne cesse de nous répéter : « Il faut mettre le bon nombre de salariés au bon endroit, au bon moment », commente Salvatore Rinoldo, délégué syndical central CFDT. Résultat, un seul employé surveille les îlots de quatre caisses rapides « quand la maison mère en Suède préconise qu’ils soient deux ». Un ou deux employés ferment, le soir venu, le rayon libre-service qui occupe tout le rez-de-chaussée.

La récession n’a pas ralenti, bien au contraire, la recherche de gains de productivité. Sur les cinq sites d’assemblage de PSA, les équipes de nuit peuvent désormais adopter le « régime espagnol », en vigueur sur le site de Vigo (Galice): des horaires nocturnes flexibles. En contrepartie de 900 embauches en CDI d’ici à fin 2010, les syndicats – hormis la CGT – ont accepté en septembre que les équipes de nuit soient constituées de salariés en contrat de travail à temps partiel, et non plus à 35 heures. Avant même d’être décliné localement, l’accord-cadre passe mal sur le terrain. À l’usine de Sochaux, notamment, qui a débrayé, la CGT y jugeant « déraisonnable » la perspective de nuits de travail incomplètes, d’une durée de quatre ou cinq heures.

Fiat, nouveau porte-drapeau de la flexibilité à l’italienne

Relocalisation contre hausse des cadences. Le patron de Fiat Sergio Marchionne a récemment fait les gros titres des journaux italiens, six ans après son arrivée aux commandes. Aux prises avec une conjoncture difficile, il est en train de transformer de fond en comble l’entreprise contrôlée par la famille Agnelli.

Alors que s’opère un rapprochement progressif avec l’américain Chrysler, Fiat a décidé de séparer ses activités industrielles (camions, tracteurs et moteurs) de son métier historique (l’automobile). Ce qui passe par une réorganisation complète des usines transalpines et d’âpres négociations avec les syndicats. En quelques mois, Sergio Marchionne a réussi à imposer la fermeture de l’usine de Termini Imerese, en Sicile, et la reconversion de celle de Pomigliano d’Arco, près de Naples, où un référendum soutenu par deux syndicats minoritaires – la CISL et l’UIL – a approuvé le rapatriement d’un site de production situé en Pologne moyennant l’augmentation des cadences de travail. En outre, l’homme au pull-over noir a licencié trois grévistes de l’usine de Melfi qu’il accuse de sabotage. De quoi apparaître, finalement, comme le parangon de la flexibilité du marché du travail, là où le gouvernement Berlusconi s’est cassé les dents, devant le veto du président de la République, d’obédience communiste, Giorgio Napolitano. D’ailleurs, Sergio Marchionne n’hésite plus à fustiger l’« immobilisme » de l’Italie, un pays qui a « perdu le sens de la responsabilité institutionnelle ». Au risque d’agacer les grands capitaines d’industrie, qui lui en veulent de jouer trop « perso ». Philippe Guérard, à Rome

Auteur

  • Anne Fairise