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Réforme des retraites, acte II

Dossier | publié le : 01.12.2010 | Valérie Devillechabrolle

Après la réforme du régime général, la négociation sur les retraites complémentaires. En jeu : l’équilibre des régimes Agirc-Arrco, leur rendement pour les retraités et leur harmonisation. Pas sûr que l’annonce d’un débat sur une réforme systémique soit stimulante.

À peine le premier acte de la réforme des retraites achevé avec la promulgation de la loi, le rideau du deuxième acte s’est levé, le 25 novembre. Le décor ? La table de négociations consacrée aux régimes de retraite complémentaire, gérés par les partenaires sociaux. Leur objectif ? Étudier les effets ricochets de la réforme du régime général pour définir les nouveaux paramètres de pilotage des caisses Agirc-Arrco et garantir ainsi leur équilibre à terme. Une étape cruciale, sachant que les retraites complémentaires financent 55 % de la retraite des cadres et 35 % de celle des non-cadres. Dans l’immédiat, l’urgence des partenaires sociaux est de « donner un peu d’espace à la discussion », pour reprendre l’expression de Jean-Louis Malys, le négociateur de la CFDT, en prorogeant de trois à six mois le précédent accord de mars 2009, censé arriver à échéance le 31 décembre. « Cette prorogation est nécessaire, confirme Bernard Devy, vice-président (FO) de l’Arrco, pour éviter aux salariés qui décideraient de liquider leur retraite dès 60 ans à partir du 1er janvier 2011 de subir un abattement de 22 % sur leur pension Agirc-Arrco », du fait de la non-reconduction de l’AGFF, la structure qui, jusqu’à présent, finance le différentiel.

Mais le principal enjeu de cette négociation est bien de restaurer l’équilibre à moyen terme des régimes, mis à mal par la crise économique. Car si, en 2007, l’Agirc-Arrco pouvait compter sur un solde positif jusqu’en 2015, « la récession a rapproché cet horizon de sept ans en faisant perdre aux régimes 7,5 milliards d’euros en trois ans », observe Bernard Devy. Résultat, dès 2009, les comptes de l’Arrco ont, pour la première fois depuis la crise de 1993, viré au rouge, accusant un déficit technique (avant produits financiers mais après transferts) de 66 millions d’euros. La situation de l’Agirc est encore plus préoccupante : confrontée à une contraction de ses ressources (– 1,6 %) plus importante que l’Arrco (– 0,4 %), la caisse des cadres a affiché l’an dernier un déficit technique de plus de 1 milliard d’euros. Et 2010 et 2011 ne s’annoncent guère sous de meilleurs auspices, avec des prévisions de déficit atteignant, tous régimes confondus, 2,3 milliards d’euros cette année, 3,7 milliards en 2011. Si bien que les gestionnaires sont contraints de puiser dans leurs 80 milliards d’euros de réserves pour payer les pensions.

« Un peu d’oxygène ». Dans ce contexte dégradé, le report de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite devrait certes « donner un peu d’oxygène », estime Danièle Karniewicz (CFE-CGC). Mais de là à partager l’optimisme du gouvernement qui tablait sur un retour de 1 milliard d’euros d’excédent dès 2018 pour l’Arrco grâce à sa réforme, il y a un pas… Mettant tour à tour en avant un scénario macroéconomique plus prudent que ceux retenus par le Conseil d’orientation des retraites, un niveau de pension mécaniquement plus élevé du fait de la réforme – du moins pour les seniors maintenus en emploi – et des concessions gouvernementales (sur les mères de famille de trois enfants, les handicapés ou encore les carrières longues) supportées « plein pot » par les complémentaires, patronat et syndicats préfèrent rester prudents. « Nous avons besoin d’y voir plus clair », résume Patrick Poizat (CFTC).

Une chose est sûre en revanche : le report de l’âge légal devrait soulager la charge de l’AGFF. Avec une inconnue toutefois : l’âge officiel de départ à la retraite dans les complémentaires sera-t-il porté de 65 à 67 ans, comme cela devrait découler d’une application stricte du report de la borne d’âge pour atteindre le taux plein dans le régime général ? « Il n’en est pas question », tonne Bernard Devy, qui aimerait surtout en profiter pour « régler une bonne fois pour toutes » cette question de l’AGFF. « Les salariés ayant le taux plein dans le régime général devraient pouvoir en bénéficier automatiquement aussi dans les complémentaires », précise le responsable FO. « Il faut mettre un terme au chantage à la dénonciation qu’agite le patronat à chaque début de négociation », abonde Éric Aubin (CGT). Un chiffon rouge que les représentants des employeurs se sont toutefois bien gardés d’agiter cette fois-ci…

Mais le point dur de la négociation, cette fois encore, concernera la question des rendements des régimes, en baisse constante depuis les derniers accords de 2003… « Tant que les régimes demeureront en déficit, il ne sera pas raisonnable de revenir à des rendements croissants », plaide-t-on côté patronal. A contrario, pour les organisations syndicales, cette stabilisation est devenue indispensable, sauf à « organiser la paupérisation d’une partie non négligeable de la population et notamment des classes moyennes », prévient Bernard Devy. Les cadres ne seront pas épargnés : « D’ores et déjà, le taux de remplacement de plus de 80 % des assurés Agirc qui ne gagnent pas plus de deux plafonds de la Sécu par mois (5770 euros en 2010) ne dépassera pas 50 % de leur dernier salaire », rappelle Danièle Karniewicz, qui redoute, malgré tout, une nouvelle dégradation de ces taux, « vu la situation financière de l’Agirc ». D’autant que cette stabilisation des rendements nécessiterait un coup de pouce sur les cotisations, un levier que le patronat refuse toujours catégoriquement d’utiliser : « Nous sommes au taquet des prélèvements », répète-t-on inlassablement côté patronal.

Convergence des régimes Agirc et Arrco. Côté dépenses, la question des avantages familiaux et conjugaux, et notamment celle, récurrente, de leur harmonisation entre les deux régimes, risque, elle aussi, de revenir sur le tapis. Historiquement plus favorables côté Agirc, ils représentent 24 % des prestations versées par le régime des cadres, contre 5 % de celles de l’Arrco. « Nous ne sommes pas à l’abri d’une remise en cause de ces droits, ce qui sera source de tensions avec le patronat », prévient Éric Aubin. Même si l’impact financier d’éventuelles mesures d’économies serait forcément mineur puisqu’elles ne porteraient que sur les droits futurs.

D’une façon plus générale, les partenaires sociaux devront aussi se pencher sur la convergence des régimes Arrco et Agirc, en marche depuis 1996. La CFDT y est ouvertement favorable « à terme », précise Jean-Louis Malys. « À la condition que cela ne se résume pas à des régressions sociales », nuance Bernard Devy. Mais de là à envisager une fusion des deux régimes, l’immense majorité des organisations syndicales y est hostile. « Si nous sommes d’accord pour continuer à travailler sur des mises en commun de moyens pour améliorer la qualité de service rendu aux adhérents, la fusion des caisses n’est pas sereinement envisageable en ces temps difficiles », justifie Patrick Poizat. « La perspective du lancement d’un débat en 2013 sur une éventuelle réforme systémique des retraites plaiderait pour que l’on ne perturbe pas trop les choses au niveau des complémentaires », ajoute Danièle Karniewicz.

De fait, l’initiative prise par les sénateurs au terme de l’examen de la réforme générale des retraites risque d’alourdir encore un peu plus le climat de cette négociation Agirc-Arrco. « Certaines organisations pourraient être tentées d’adopter une position a minima dans la négociation Agirc-Arrco dans l’attente de ce Grand Soir, au risque de nous empêcher d’avoir une vision à long terme de nos régimes », redoute ainsi Bernard Devy, par ailleurs soucieux « de ne pas apporter les régimes complémentaires sur un plateau à l’État ». « On pourrait nous le reprocher en cas d’échec de la négociation », prévient-il. Car, même si les sénateurs se sont bien gardés, à ce stade, de préciser les contours de cette réforme systémique, certains craignent déjà qu’elle ne se réduise à une fusion Cnav-Agirc-Arrco. « Ce qui consacrerait la fin de notre autonomie de gestion et la reprise en main par l’État des retraites complémentaires », déplore Bernard Devy. « La question n’est pas de tuer l’Agirc ou l’Arrco mais de dépasser les logiques institutionnelles pour regarder le cœur des solidarités du système de retraite », rétorque Jean-Louis Malys, favorable, pour sa part, à cette remise à plat. Reste que si le décor de la négociation est planté, son dénouement est encore bien incertain…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle