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Vie des entreprises

Les salariés d’Ibis mieux lotis que ceux de Campanile

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.11.2010 | Sarah Delattre

Dans ce secteur aux conditions de travail ingrates, la promotion interne reste une réalité pour les deux enseignes. Mais Ibis devance Campanile d’une courte tête sur les avantages salariaux.

Gilles Lamy est une victimecollatérale de la nouvelle stratégie du groupe Accor. Directeur d’un Ibis à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne), il a été licencié après dix-sept années de service par la société d’exploitation Sabec qui a racheté les murs en 2008. Tout comme les deux responsables de restauration et de réservation, elles aussi syndiquées. Décidé à ne pas se laisser faire, cet adhérent de la CGT a décidé d’attaquer sa nouvelle direction pour discrimination syndicale – arguant d’un niveau de rémunération (3 850 euros brut) inférieur aux salaires (de 4 400 à 5 200 euros brut) de directeurs affichant un parcours comparable – et pour licenciement abusif. « Les avantages liés au groupe comme l’intéressement, la prévoyance ont été supprimés. Les nouveaux dirigeants s’étaient engagés sur le maintien des salariés mais, sur une trentaine, il doit en rester une dizaine. » Cette politique de cession d’actifs est à mettre sur le compte du directeur général, Gilles Pélisson, qui annonçait en juillet la scission entre l’hôtellerie et les services, sous la pression des fonds d’investissement Colony Capital et Eurazeo. Pour améliorer la rentabilité et réduire l’endettement, Accor, qui vise la place de premier franchiseur en Europe d’ici à 2015, va céder une part de son patrimoine immobilier et se concentrer sur son métier d’opérateur hôtelier. Une mise sous franchise qui concerne notamment la gamme économique : l’enseigne Ibis, les hôtels de Roissy, Agen, Alès… À l’inverse, Campanile, du groupe Louvre Hôtels, propriété du fonds d’investissement Starwood Capital, cherche à préserver un équilibre entre ses hôtels filialisés (46 %) et franchisés.

Directeurs en solo

Respectivement première et quatrième chaîne en France avec 379 hôtels, dont 38 % en filiales, et 328 établissements, Ibis et Campanile ont bien résisté à la crise, qui a durement touché l’hôtellerie en 2009. Une réussite qui s’explique par un modèle économique fondé sur une masse salariale comprimée et un organigramme resserré. « Il y a nettement moins de personnel par chambre que dans un hôtel de luxe, note Antoine Roméo, délégué syndical central (CGT) chez Ibis. Par ailleurs, dans un quatre-étoiles, une gouvernante est au moins agent de maîtrise. Dans un Ibis, elle exerce le même métier, mais avec un statut de simple employé. » Volontairement de plus petite taille pour préserver son image familiale, un Campanile compte en moyenne 60 chambres (80 pour Ibis) et une dizaine d’employés, dont un directeur et deux adjoints. « Traditionnellement, les Campanile sont dirigés par un couple ; monsieur est en cuisine, madame est à l’accueil, indique Vincent Coubard, vice-président de Louvre Hôtels, chargé des RH. Mais aujourd’hui, ce modèle est en mutation. Les couples se séparent, les femmes sont plus indépendantes et nous essayons de recruter des directeurs en solo. »

Une ère plus financière
Chez Campanile seuls les hôtels employant plus de 50 salariés offrent mutuelle et intéressement

Les deux chaînes appliquent la même convention collective (celle des hôtels-cafés-restaurants), mais les pratiques diffèrent entre filiales et franchises, où l’organisation du travail et les avantages salariaux sont à la discrétion de l’employeur. Chez Accor, depuis avril 2009, un accord sur les modalités d’accompagnement du transfert des salariés prévoit notamment un maintien des garanties individuelles et la possibilité pour un salarié transféré de postuler à un emploi disponible au sein d’une filiale. « Cela dit, très peu de salariés souhaitent quitter leur hôtel », nuance Dominique Mircher, directeur des affaires sociales chez Accor. « Dans le cadre d’une nouvelle négociation, nous souhaiterions que les salariés cédés à des franchises conserventau moins l’intéressement et la mutuelle du groupe », noteAntoine Roméo.Sans grande illusion. Car l’arrivée de GillesPélisson aux manettes du groupe, en 2006, a ouvert une ère plus financière que du temps de son prédécesseur, Jean-Marc Espalioux.

Côté filiales, les hôtels Ibis, réunis en groupement d’intérêt économique, possèdent un léger avantage sur Campanile, les salariés bénéficiant du treizième mois, de la participation et de l’intéressement. En 2008, les employés d’Ibis se sont partagé une cagnotte de 4,2 millions d’euros en intéressement, soit en moyenne 845 euros. À l’inverse, chez Campanile, seuls les hôtels de plus de 50 salariés, parmi lesquels ceux de la porte de Bagnolet et du pont de Suresnes, à Paris, regroupés au sein d’une unité économique et sociale avec les établissements de luxe du groupe, offrent des avantages comparables à ceux d’Ibis tels la participation et l’intéressement.

Côté rémunérations, « la baisse de la TVA a profité aux salariés, ce qui s’est traduit par une augmentation de la masse salariale de 5 à 6 % sur les catégories d’employés et d’agents de maîtrise, pour l’ensemble du pôle économique », évalue Vincent Coubard. Exemple : un salaire d’adjoint à la direction avoisine 1 800 euros brut, sans les avantages en nature et le logement de service ; un réceptionniste est rémunéré 1 560 euros brut. Salaire auquel s’ajoutent une prime d’habillage et une autre liée à la satisfaction du client mystère. Chez Ibis, les employés à temps complet ont bénéficié d’une augmentation de 1,5 % en 2010 et les agents de maîtrise de 1,7 %.

Au Campanile de la porte de Bagnolet, où le temps de travail est annualisé, trois employés ont décidé de saisir les prud’hommes au motif que les heures supplémentaires au-delà de la 35e sont rarement majorées, ni récupérées. Dans les deux chaînes hôtelières, l’organisation du travail est très cadencée. À l’Ibis Lyon Gare la Part-Dieu, un complexe de 216 chambres, les employés de la réception accueillent les clients par équipes de deux, le matin de 7 heures à 15 heures, l’après-midi de 15 heures à 23 heures. Même tempo au Campanile de la porte de Bagnolet, les équipes alternant chaque semaine.

Profils atypiques

En soirée, ce sont plutôt des hommes qui protègent le sommeil des clients. Des veilleurs aux profils souvent atypiques. « J’apprécie le luxe du silence, de ne pas avoir une hiérarchie sur le dos qui vous oblige à sourire, y compris au téléphone », témoigne Guy, réceptionniste de nuit à l’Ibis de la Part-Dieu. Depuis vingt-deux ans, il travaille la nuit, de 23 heures à 7 heures, cinq nuits par semaine. « Je suis seul pour apaiser les tensions liées à la politique d’overbooking, accueillir les clients et refouler calmement les noctambules avinés », ajoute-t-il. Un rythme de vie pas toujours facile à concilier avec une famille. Pour pallier les horaires décalés, les réceptionnistes à Ibis comme à Campanile touchent une prime. « Chez nous, 20 euros par nuit complète », précise Yaya Sanon, délégué syndical CGT, employé au Campanile de la porte de Bagnolet.

Aux premières heures du jour arrivent les femmes de chambre, soumises à des cadences effrénées. En particulier chez Campanile, où la sous-traitance est plus répandue que chez Ibis. À Torcy, les employées de BPS Nettoyage industriel doivent nettoyer 4 chambres par heure, soit 12 chambres par jour au minimum. Au rythme de soixante-quinze heures mensuelles, les samedis, dimanches et jours fériés, ces travailleuses de l’ombre touchent 681 euros brut et ne se reposent qu’un jour par semaine. « Certaines n’ont pas pris de congés depuis trois ans, et leurs heures supplémentaires ne sont jamais payées, ce qui n’est pas surprenant vu les prix négociés par les entreprises », note un employé.

Au Campanile de la porte de Bagnolet, Yaya Sanon observe que « les femmes de chambre en sous-traitance doivent normalement finir à 17 heures. À raison de 20 chambres par jour, le rythme est intenable, elles sont encore souvent dans les étages à 20 heures ». En 2002, après une grève qui a duré presque un an, des employées du sous-traitant Arcade, en majorité africaines, ont conduit Accor à revoir sa politique. Voyant sa réputation écornée, le groupe a décidé d’internaliser une partie de l’entretien de ses hôtels et d’embaucher des anciennes employées des sociétés sous-traitantes. Depuis, le quotidien est devenu plus confortable.

Temps partiels choisis
Accor a internalisé une partie du ménage et embauché des employées de ses sous-traitants

À l’Ibis de la Part-Dieu, les femmes de chambre font en moyenne trois chambres par heure et bénéficient d’un CDI de cent trente heures. L’accord sur la GPEC conclu en 2008 au sein du groupe prévoit aussi, pour les seniors exerçant les métiers de femme ou de valet de chambre, des mesures spécifiques, sur l’organisation des étages, notamment avec des temps partiels choisis. « Nous avons créé un groupe de travail avec des femmes de chambre et les responsables d’étage pour réfléchir à l’amélioration des conditions de travail, explique Catherine Lettrée, responsable RH chez Ibis. En plus des cours d’alphabétisation, nous avons renforcé les formations obligatoires sur les gestes et postures, l’utilisation des produits d’entretien. »

Tant chez Ibis que chez Campanile, on vante l’ascenseur social maison et on se félicite de compter moins d’emplois précaires que dans la grande distribution. « Sur les 4 500 salariés de Campanile, 92 % sont en CDI, 76 % à temps complet, précise Vincent Coubard. Par ailleurs, 90 % des directeurs sont issus de la promotion interne. Un quart seulement ont au moins un bac + 2, les autres, moins qualifiés, ont souvent commencé en cuisine. » En réception, un employé peut facilement devenir premier de réception, puis responsable et sous-directeur d’hébergement.

Chez Ibis, cette progression s’accompagne d’une mobilité plus ou moins bien vécue. Un directeur reste en moyenne trois ans au même poste. Et ne compte pas ses heures. « L’hôtellerie est une très bonne école car il faut savoir tout faire : la gestion, le recrutement, le bouche-trou… Mais les journées de quatorze heures ne sont pas rares, au détriment de la santé », note Gilles Lamy. « A présent, un directeur devient manager d’un centre de profit, précise Vincent Coubard. Il fait plus de gestion, de management d’équipes, de développement commercial. C’est la raison pour laquelle, à présent, nous sommes plus ouverts aux profils de la grande distribution,par exemple. »

Afin de renforcer la polyvalence de ses employés, Ibis a mis au point un programme de formation baptisé « Acteur » qui « s’articule autour de trois étapes de qualification (qualifié, expert, leader) » et concerne 2 000 employés. Chaque niveau s’accompagnant normalement d’une revalorisation salariale (le smic + 5 % pour les qualifiés, + 10 % pour les experts, + 15 % pour les leaders). « L’objectif est de donner l’opportunité d’exercer trois métiers au maximum dont un au contact du client, détaille Karine Lettrée. Par exemple, être compétents sur les métiers de réception et de salle, ou de salle et de cuisine, etc. Nous avons œuvré pour que les femmes de chambre puissent par exemple exercer les métiers des petits-déjeuners, ou bien de la cuisine. » « Au nom de la rentabilité, Ibis invente la multicompétence, critique Guy, à Lyon. Lorsque le barman est parti, son poste a été partagé entre la réception et le restaurant. En plus de mon job de réceptionniste, je dois servir au bar. L’occasion de donner de nouvelles responsabilités aux employés, mais sans les salaires qui vont avec. » « Sur le papier, ce dispositif est un bon moyen de reconnaître la polyvalence, note Pascal Toubhans, délégué syndical régional CFDT chez Ibis. Ceux qui atteignent le niveau leader peuvent prétendre à un poste d’adjoint de direction. Mais comme ces postes sont en diminution, les perspectives de carrière sont plus limitées. » Pas de quoi lutter contre le turnover et rendre les métiers de l’hôtellerie plus attractifs.

Campanile

Hôtels : 328 dont 150 filiales

Effectif : 4 500 salariés dont 92 % en CDI

Ibis

Hôtels : 379 dont 145 filiales

Effectif : 3 500 salariés dont 93 % en CDI

Best Western à la troisième place

Si la crise a accéléré le processus de restructuration de l’hôtellerie, marqué par le rapprochement de Louvre Hôtels et de Golden Tulip en juillet 2009, ou encore la scission des activités hôtelières et services chez Accor avec la création d’Edenred, Accor caracole toujours en tête du secteur, suivi du groupe Louvre et de Best Western. Regroupant des hôtels indépendants, la marque Best Western, créée aux États-Unis en 1946, est organisée en structure coopérative : ses adhérents sont aussi ses actionnaires. Malgré un chiffre d’affaires centralisé en baisse de 11 %, l’enseigne affiche un taux de rentabilité record dans un contexte plutôt morose puisque le nombre de nuitées a baissé de 4,9 % en 2009, selon l’Insee. Elle a ouvert 28 ? nouveaux hôtels en 2009 et possède désormais un parc de 290 hôtels en France. Le réseau entend poursuivre sa croissance en s’installant au pied des pistes de stations de sports d’hiver, à Val-d’Isère, Megève, Courchevel, etc.

En parallèle, il souhaite conforter ses positions dans l’hôtellerie de luxe, avec son enseigne Best Western Premier, en priorité dans des villes comme Lyon, Ajaccio, Marseille, Toulouse et Saint-Tropez.

Auteur

  • Sarah Delattre