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Vie des entreprises

Comment Louis Gallois pilote l’intégration d’EADS

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.11.2010 | Stéphane Béchaux

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Effectifs salariés d’EADS par pays, en 2009

Crédit photo Stéphane Béchaux

L’ex-patron de la SNCF a hérité voilà trois ans d’une constellation d’entités, traumatisées par les déboires de l’A380. Après une réorganisation d’ampleur, il s’emploie à faire d’EADS un groupe européen homogène et plus à l’écoute des salariés.

Recruteurattractif pour les candidats à l’embauche, le groupe EADS renferme de belles pépites : Airbus, Eurocopter, Astrium, Cassidian… Mais, dix ans après sa création, le mastodonte reste un sigle, qui n’a pas trouvé sa place dans le cœur des troupes. Révélé l’an dernier par une enquête de climat social, ce désamour transcende les pays, les niveaux hiérarchiques et les filiales.

Fiers de leur métier et de leurs produits, les salariés ne se retrouvent pas dans le fonctionnement de l’entreprise, assimilée à une technostructure distante et complexe. Non sans raisons. Appelé en pompier, en 2006, pour éteindre l’incendie A380, Louis Gallois et son état-major ont chamboulé l’entreprise. D’un agrégat de filiales autonomes, ils ont fait, en quatre ans, un groupe industriel intégré. En délaissant les troupes, qu’il faut maintenant chouchouter.

1-Dégraisser le mastodonte

Décollage réussi pour EADS. En dix ans, le groupe a augmenté son chiffre d’affaires de 77 %, triplé son carnet de commandes et créé 15 000 emplois nets. Une incontestable réussite. Mais pas question pour l’état-major de s’endormir sur ses lauriers : la crise, la faiblesse du dollar et la concurrence exacerbée obligent à serrer les coûts. Première entité touchée, Airbus, soumis à un programme d’économies drastique depuis 2006. Initié par Christian Streiff mais endossé par Louis Gallois, le plan Power 8 a conduit l’avionneur à revoir son organisation de fond en comble. « On a dû mener un énorme chantier d’externalisation. On a divisé par deux le nombre de fournisseurs et filialisé les activités d’aérostructures », rappelle Françoise Vallin, déléguée syndicale centrale CFE-CGC chez Airbus. À la clé, 10 000 suppressions de postes, dont la moitié chez les sous-traitants. Des départs étalés dans le temps, qui s’achèvent le mois prochain. Inédite dans la maison, cette grande opération « serrage de boulons » a, depuis, fait des petits. Avec Power 8 Plus et Future EADS, l’ensemble des filiales ont été mises à contribution pour économiser des milliards supplémentaires.

Pas de quoi rassurer les syndicats qui, à Marignane (Bouches-du-Rhône) comme à Toulouse (Haute-Garonne), gardent les yeux rivés sur la charge de travail et sa répartition entre Français et Allemands. « À Eurocopter, 62 % des emplois sont en France et 38 % en Allemagne. La direction peut bien annoncer la politique industrielle qu’elle veut, il est hors de question de toucher à ce ratio », martèle Joseph Crespo, coordinateur CFTC d’EADS.

Chez Airbus, les troupes s’inquiètent également des projets de délocalisation – la chaîne d’assemblage de Tianjin, à 150 kilomètres de Pékin, pourra produire quatre A320 par mois l’an prochain. Sans parler des craintes d’externalisation, très vives depuis que l’avionneur a filialisé, à défaut de pouvoir la vendre, son usine de Méaulte (Somme), spécialisée dans la fabrication de la partie avant des monocouloirs. « On nous dit que cette activité ne fait pas partie du cœur de métier. Mais avez-vous déjà vu un avion voler sans pointe avant ? » questionne Philippe Fraysse, coordinateur FO.

2-Casser les silos nationaux

La révolution industrielle amorcée chez EADS s’est accompagnée d’une refonte des structures juridiques et managériales. Sus aux doublons et aux silos ! Place aux synergies et à la transversalité ! Les retards de l’A380 ont en effet mis au jour les dysfonctionnements du groupe. Une maison très peu intégrée, abritant des entités nationales sous l’autorité de lignes hiérarchiques distinctes et utilisant leurs propres outils et méthodes.

Désormais regroupées dans des « centres d’excellence » transnationaux, les équipes relèvent d’une hiérarchie unique. Et doivent suivre des procédures très normées. Les gains en efficacité sont certains, mais le moral s’en ressent : les managers passent leur vie en avion quand leurs troupes souffrent à la fois d’un manque d’autonomie – vive le reporting et les process tatillons ! – et d’une absence de management de proximité.

« Les organisations sont devenues hypercomplexes. Les outils et procédures ont pris le pouvoir. Il faut réintroduire de la relation humaine ! » insiste Ludovic Andrevon, coordinateur CFE-CGC. Un cri entendu au sommet. « La crise de l’A380 nous a conduits à diluer, voire à effacer, les frontières des organisations nationales pour gagner en efficacité. Mais la rapidité et l’importance du virage ont été telles que les salariés y ont perdu leurs repères », note Frédéric Agenet, DRH France d’EADS.

Sous l’impulsion de Louis Gallois, le groupe s’est aussi doté de centres de services partagés. Hier gérés par entités, la paie, le décompte du temps de travail, les formations et le prérecrutement ont été progressivement mutualisés depuis trois ans. Idem pour les achats généraux – ça coince ! – et une partie de l’informatique. Des changements douloureux pour les titulaires des postes, qui ont dû accepter un transfert de leur contrat de travail vers EADS France. Pour leurs collègues, la convivialité en a aussi pris un coup : hormis les cols bleus, tous ont perdu le contact physique avec leur gestionnaire RH.

3-Recréerdulien social

Ce chambardement des méthodes de travail a créé un vrai malaise au sein des équipes. Qui devrait, encore, se matérialiser dans la deuxième enquête de climat social, en cours de réalisation. Du côté de la direction, on s’attelle à corriger les erreurs. À coups de plans d’action, de formation des managers, de révision des lignes hiérarchiques…

« Les systèmes de double reporting ont beau être classiques dans les groupes internationaux, ils restent souvent difficiles à mettre en place. Certains salariés se sentent isolés quand leur supérieur hiérarchique ne se trouve pas dans leur pays. Pour ceux-là, nous avons nommé des managers de proximité qui font office de référents, de facilitateurs, mais sans remplacer le véritable responsable », explique Thierry Baril, DRH groupe d’Airbus. Autre mesure, la limitation aux plus hauts niveaux hiérarchiques des responsabilités managériales transnationales. « L’encadrement d’équipes transnationales descendait trop loin dans la pyramide. Ce qui aboutissait à un management distant, au détriment du contact légitimement réclamé par les salariés », justifie Philippe Pezet, le DRH France d’Eurocopter.

Ce retour en grâce du management de proximité touche aussi la fonction RH. Principaux concernés, les quelque 600 human resources business partners. Des HRBP, dans le jargon interne, qui se consacraient jusqu’alors à soutenir l’activité des patrons opérationnels. Dans les hautes sphères, loin du terrain. « On leur demande désormais de faire de la GRH de proximité, de rencontrer systématiquement leurs équipes et les partenaires sociaux. C’est une petite révolution culturelle », souligne Frédéric Agenet. Des redéploiements sont en cours, de sorte que chaque HRBP gère, demain, 200 salariés, contre 250 à 300 aujourd’hui. Une redistribution des tâches qui passe par le déploiement d’un nouvel outil informatique, à même de fournir des renseignements pratiques. Au risque de recréer de la déshumanisation…

4-Européaniser le dialogue social

En matière de relations sociales, EADS n’a pas encore aboli les frontières. Non pas que les instances transnationales n’existent pas : outre un comité de groupe européen, l’entreprise dispose d’un comité d’entreprise européen (CEE) dans chacune de ses filiales. Mais les organisations syndicales peinent à dépasser les logiques nationales. Face au puissant IG Metall, les syndicats français, en manque de légitimité, aiment à cultiver le patriotisme, électoralement payant. En particulier Force ouvrière, majoritaire chez les cols bleus. D’où des crispations. Comme l’an dernier, quand IG Metall a mis son veto à la nomination de Jean-François Knepper, DSC FO, à la coprésidence du CCE d’Airbus, pour cause de positions jugées antigermaniques.

Hormis un accord d’intéressement à l’échelle européenne, les négociations restent, pour l’heure, très nationales. Ce qui sied parfaitement aux syndicalistes français, qui ont porte ouverte chez Louis Gallois, dont ils saluent la fibre sociale. En découle une floraison d’accords de groupe siglés EADS France – sur l’égalité professionnelle, les seniors, le stress, le droit syndical… – à décliner par filiale. « On négocie beaucoup. Mais quand on gratte le vernis, le contenu reste limité », tempère Jean-Jacques Desvignes, coordinateur CGT.

Mais la donne pourrait changer. Cet automne, direction et syndicats ont conclu un accord novateur portant constitution d’un groupe européen de négociation. Une structure à même de signer des textes à visée normative. « Tout accord signé par au moins deux tiers des négociateurs devra s’appliquer tel quel dans l’ensemble des entités nationales », souligne Frédéric Agenet, directeur des relations sociales du groupe.

5-Renforcer la culture EADS

Dans les sites, le sentiment d’appartenance au groupe augmente avec les échelons hiérarchiques. Côté cols bleus, l’adhésion s’avère faible. Et pour cause : à part la novlangue maison, les compagnons ne voient guère trace d’EADS dans leur quotidien. « L’anglais est partout, dans les sigles, les notes de service, les communiqués. Ça déstabilise les équipes et génère des incompréhensions », relève Pierre-Henri Coat, DSC CFDT d’Airbus. L’organisation du travail diffère d’une entité à l’autre. De même que la politique salariale. « Toutes les divisions font partie intégrante d’EADS mais doivent être gérées au plus près du business », justife Thierry Baril, DRH groupe d’Airbus.

Côté cols blancs, le sentiment d’appartenance s’avère plus élevé, mais reste hétérogène. « On travaille tous sur des technologies rares, des métiers qui font rêver. Chez Astrium, certains se sentent 100 % dans le satellite, d’autres s’intéressent au reste du groupe, c’est tout à fait variable », observe Hervé Schindler, DSC CFTC d’Astrium. L’harmonisation programmée – à l’échelle européenne – des politiques de classification et de rémunération variable des personnels d’encadrement devrait progressivement changer la donne. De même que le développement d’outils RH transversaux, à l’image du nouveau système, très décrié, d’évaluation des performances.

Pour l’instant, le sigle EADS ne colle vraiment qu’au revers de veston des 1 200 cadres dirigeants. Les seuls à bénéficier d’une vraie politique RH intégrée, avec des déroulements de carrière conçus à l’échelle du groupe. En juin, EADS a d’ailleurs annoncé la couleur : à l’avenir, les cadres de haut vol devront tous avoir vécu dans deux pays et travaillé dans deux divisions ou deux fonctions distinctes. Un principe déjà plus ou moins appliqué à Marignane. « Eurocopter est incontestablement le mieux outillé, car on emploie 4 000 personnes hors d’Europe. Depuis trois ans déjà, on fait tourner les talents sur des postes clés dans les différentes filiales », souligne Michel Sesques, DRH groupe.

À terme, les élites du groupe ont vocation à relever de contrats de travail EADS. Un regroupement qui contribuera peut-être à diluer les patriotismes. Car, dans les états-majors comme dans les ateliers, la nationalité des dirigeants reste un marqueur puissant. Le successeur de Louis Gallois, qui devrait être nommé au printemps 2012, n’y échappera pas.

Repères

Le groupe EADS, spécialisé dans les activités aéronautiques et spatiales (civiles comme militaires), a généré 42,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009. Deux tiers proviennent d’Airbus, premier avionneur mondial depuis 2003.

2000

Fusion de l’allemand Dasa, du français Aerospatiale Matra et de l’espagnol Casa, qui donne naissance au groupe EADS.

2001

Airbus passe du statut de GIE à celui de société intégrée, détenue à 80 % par EADS et 20 % par le britannique BAE Systems.

2006

Annonce des retards de l’A380. L’action s’effondre. Départs de Noël Forgeard et Gustav Humbert, remplacés par Christian Streiff et Louis Gallois.

2007

Première livraison de l’A380 à Singapore Airlines.

Effectifs salariés d’EADS par pays, en 2009
ENTRETIEN AVEC LOUIS GALLOIS, PRESIDENT EXÉCUTIF D’EADS
“L’intégration du groupe EADS a distendu les relations humaines”

La transformation trèsrapidedu groupe a profondément déstabilisé les salariés. Quelles leçons avez-vous tiré de l’enquête de climat social menée l’an dernier ?

Les personnels ont à la fois exprimé une très grande fierté vis-à-vis des produits qu’ils conçoivent et une vraie frustration quant au fonctionnement d’EADS. Ils ne se sentent pas assez reconnus, écoutés, associés. Ces dernières années, le management a été mis sous une pression économique et technologique très forte. Nous ne nous sommes pas assez focalisés sur les femmes et les hommes de l’entreprise.

Vous voulez rétablir des relations de proximité. La taille d’EADS le permet-elle ?

Oui, même si ce n’est pas simple dans une entreprise de 120 000 personnes. L’intégration du groupe a pu distendre les relations humaines. Pour y remédier, on a enclenché un énorme chantier. Nous avons envoyé 4 000 cadres en formation, lancé des plans d’action, décidé de redéployer des gestionnaires RH au contact des salariés, réduit le nombre d’équipes transnationales. Il faudra du temps pour que les effets bénéfiques se diffusent. Mais je suis confiant : notre culture d’entreprise est d’une force extraordinaire.

Du sommet, comment prenez-vous le pouls du corps social d’EADS ?

Je vais sur les sites, je déjeune avec les équipes, j’entretiens des contacts informels avec des cadres intermédiaires. J’apprends aussi en dialoguant avec les organisations syndicales, qui sont des médiateurs indispensables. Et puis je fais un peu confiance à mon flair. Je ne suis pas précisément un perdreau de l’année !

La réforme de la représentativité syndicale vous pose-t-elle problème ?

À moi, non. À certains de nos partenaires sociaux, sans doute, car ils sont dans une position délicate. Les relations sociales chez EADS sont constructives : le conflit salarial du printemps chez Airbus ne doit pas occulter une pratique contractuelle très active. Plus globalement, le syndicalisme français souffre d’un trop grand émiettement.

La perspective de devoir garder vos salariés jusqu’à 62 ans vous effraie-t-elle ?

À EADS, l’expérience est une richesse car on travaille sur des programmes dont la durée de vie peut dépasser cinquante ans. On a donc besoin d’ingénieurs seniors pour assurer le maintien et la transmission des savoir-faire. Mais on n’a pas trouvé la pierre philosophale pour autant. Lors des people reviews, j’observe que les très bons managers de 45 ans suscitent plus d’intérêt que les très bons managers de 55 ans. On doit donc encore travailler sur les secondes parties de carrière. Notre accord seniors va nous y aider.

Faut-il tenir compte de la pénibilité dans l’âge de départ à la retraite ?

On ne peut pas faire l’économie d’un allongement de la durée de vie active. Mais la réforme des retraites, pour être acceptée, doit être juste. Un compagnon ne peut pas rester jusqu’à 62 ans sur une chaîne en trois-huit. Il faut proposer des alternatives. À l’inverse, un cadre de 62 ans peut parfaitement prolonger son activité. Je regrette qu’on n’ait pas abordé, « à froid », la question complexe de la pénibilité. Le départ anticipé à la retraite est une solution pour certains cas, mais d’autres options méritent examen.

En matière de parité, EADS ne donne guère l’exemple…

Notre niveau de performance est extrêmement faible. C’est un chantier majeur pour l’entreprise, qui se prive des compétences des femmes, de leur culture, de leur manière d’appréhender les choses. Dorénavant, pour tout poste à pourvoir, nous voulons présenter au moins une candidate. Et, à égalité de compétences entre deux postulants, nous privilégierons une femme plutôt qu’un homme.

Le coût du travail est-il un obstacle à la compétitivité de l’industrie hexagonale ?

Les charges sociales posent un vrai problème de compétitivité. Les allégements concernent rarement les entreprises industrielles exportatrices exposées à la concurrence internationale parce que les salaires y dépassent très souvent les seuils. Ça n’a pas empêché EADS de créer, en dix ans, 15 000 emplois en Europe dont 6 000 en France. Mais, à terme, le poids des charges sociales est une menace.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux et Jean-Paul Coulange

LOUIS GALLOIS

66 ans.

1982

Directeur général de l’Industrie.

1988

Dircab de J.-P. Chevènement à la Défense.

1989

P-DG de la Snecma.

1992

P-DG d’Aerospatiale.

1996

Président de la SNCF.

2006

Coprésident d’EADS et P-DG d’Airbus.

2007

Président exécutif d’EADS.

Auteur

  • Stéphane Béchaux