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Politique sociale

Qui pilote l’hôpital public ?

Politique sociale | publié le : 01.10.2010 | Anne-Cécile Geoffroy

La loi Bachelot fait bouger la gouvernance de l’hôpital public. Sur le terrain, difficile encore de dire qui est le vrai patron. L’État, en revanche, garde la main sur le système de santé.

Dans la torpeur de l’été, les hôpitaux publics ont fini d’installer leurs nouvelles instances de direction. Le cœur du réacteur, c’est désormais le directoire. Une instance de pilotage présidée par le directeur général de l’hôpital, le nouvel homme fort voulu par Nicolas Sarkozy. Ce dernier n’avait pas hésité, lors de la préparation de la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST), à jeter de l’huile sur le feu, souhaitant un vrai patron pour l’hôpital, réputé ingouvernable, dominé par des mandarins plus soucieux de leur indépendance professionnelle que des performances de l’établissement. Autant dire que le discours présidentiel n’est pas passé du tout auprès de la communauté médicale et de ses représentants, les présidents des commissions médicales d’établissement (CME). « Depuis la réforme Mattei de 2003, nous avions fait la preuve que nous étions capables de prendre nos responsabilités et de travailler en cogestion avec la direction », s’insurge Alain Destée, président de la Conférence des présidents de CME des CHU.

Défiance entre médecins et administratifs. Dans sa première mouture, le projet de loi mettait sous « tutelle » du directeur général professeurs, médecins et praticiens hospitaliers. Le Sénat a calmé le jeu en faisant du président de la CME le deuxième homme de l’hôpital. « Il est chargé du projet médical qui est à la base du projet d’établissement. L’accueil des patients, la qualité des soins, la sécurité, c’est lui », décrypte le professeur Francis Fellinger, président de la CME du centre hospitalier d’Haguenau et président de la Conférence des présidents de CME des CH. Reste que la défiance entre les équipes administratives et médicales des hôpitaux a pris racine. « Nous sommes devenus des bonshommes tampons, constate le professeur Dominique Mouliès, président de la CME du CHU de Limoges. Les membres de la CME se sentent exclus des décisions. Il faut faire beaucoup de pédagogie, expliquer plus longuement les décisions de la direction. » Auparavant, ceux-ci donnaient en effet leur avis sur toutes les nominations médicales et notamment celles des chefs de service. Aujourd’hui, ils sont tenus informés par le directoire.

Le rôle de la CME a de fait changé. Elle doit construire, avec son président, le projet médical. « Ce n’est pas encore entré dans les mœurs. Nous devons redynamiser les CME », reconnaît Francis Fellinger. « Affirmer que les médecins ont perdu le pouvoir à l’hôpital n’est pas sérieux, souligne le professeur Gilles Potel, président de la CME du CHU de Nantes. Il ne faut pas oublier qu’un directeur d’hôpital est en CDD. Tous les mercredis en Conseil des ministres, il peut être révoqué. Pour que tout se passe bien, nous sommes condamnés à nous entendre. »

La loi HPST aura finalement accouché d’un pilote et d’un copilote. Mais un troisième pouvoir est en train de montrer son nez : celui des chefs de pôle. La loi consolide en effet l’existence des pôles médicaux imaginés dès 2003 mais pas toujours mis en œuvre. Un découpage qui a pour but de faciliter la mutualisation des équipements, des lits, du personnel et de donner plus de lisibilité à l’offre de soins. Nommés par le directeur général, les chefs de pôle disposeront d’une délégation de gestion dans le cadre de contrats signés avec la direction. Recrutement, achat de matériel, ce sont de petits chefs d’entreprise qui devront démontrer leur rentabilité. « Auparavant, nous devions faire des bons pour avoir ne serait-ce qu’une chaise. Nous avons désormais des budgets de pôle. On sait combien on dépense et combien on rapporte », explique Gilles Potel, président de la CME du CHU de Nantes et responsable du pôle urgence. Reste que les directeurs généraux et les présidents de CME auront parfois bien du mal à mettre au pas des médecins très soucieux de leur indépendance professionnelle.

Dans certains hôpitaux, des responsables de pôle ont déjà fait savoir qu’ils n’accepteraient pas de délégation, craignant de se placer sous le pouvoir hiérarchique du DG. « Beaucoup de médecins ne sont pas prêts à investir ce rôle totalement, constate de son côté le professeur Mouliès, à Limoges. C’est difficile pour un chirurgien de faire le deuil d’une partie de son activité professionnelle afin de préparer son projet de pôle, d’établir le bilan d’activité. Depuis septembre, des consultants de Sanofi-Aventis viennent les aider à prendre leurs nouvelles missions en main. » L’Agence nationale d’appui à la performance a également mis en place un programme de formation pour faire de ces médecins de véritables managers.

Un troisième pouvoir est en train de montrer son nez : celui des chefs de pôle. Recrutement, achat de matériel, ce sont de petits chefs d’entreprise qui devront démontrer leur rentabilité

Efficience économique. Si les praticiens hospitaliers montrent autant de réticences à l’égard de cette réforme, c’est que, derrière les enjeux de pouvoir, se cachent des questions d’efficience économique. Depuis la réforme du financement des hôpitaux (voir encadré), les tensions se sont exacerbées. La mise en place de la tarification à l’activité a plongé leurs budgets dans le rouge. Et la volonté présidentielle d’un retour opportun à l’équilibre de leurs finances pour 2012 les oblige à se restructurer au pas de charge. À Paris, le déficit estimé de l’AP-HP était, en 2009, de 95 millions d’euros.

Pour retrouver l’équilibre, la direction est en train de regrouper ses 37 sites parisiens et franciliens en 12 groupes médicaux avec, au passage, 3 000 à 4 000 non-renouvellement de postes d’ici à 2012. À Lyon, le déficit des Hospices civils est de 40 millions d’euros ; 18 000 personnes y travaillent. « Il y a deux ans, nous étions à 80 millions d’euros de déficit, souligne Paul Castel, le directeur général des Hospices civils et président de la Conférence des directeurs généraux de CHU. Pour faire des économies, nous avons divisé par trois le montant des investissements et regroupé des activités. Entre 2008 et 2013, nous aurons supprimé 800 à 900 postes sans licenciement. Essentiellement chez le personnel administratif et logistique. Nous touchons le moins possible au personnel soignant et surtout pas aux infirmières. » Au CHU de Nantes, la cure a été tout aussi drastique. « La mise en place de la tarification à l’activité a révélé un déficit de 33 millions d’euros. Tous les pôles médicaux ont dû réduire de 4 % leurs dépenses, détaille Christiane Coudrier, la directrice générale. Certains éléments étaient non négociables. Nous avons ainsi dénoncé l’accord 35 heures en vigueur pour revenir au dispositif réglementaire. » Le CHU a aussi récupéré 200 équivalents temps plein en supprimant les quatre jours de congé supplémentaires qui compensaient le temps d’habillage et de déshabillage des personnels.

Mais le pilotage de l’hôpital risque en fait de se jouer de l’extérieur. Les nouvelles agences régionales de santé, mises en place en avril, commencent à être opérationnelles. En Ile-de-France, les préconisations d’une note interne à l’ARS pilotée par Claude Evin sur la réduction des services hospitaliers de nuit ont fait hurler les urgentistes. Révélée par le Parisien, elle propose en effet de ne laisser ouvert qu’un service d’urgence de nuit par département. Objectif : faire des économies et gagner en performance. En Picardie, le directeur général de l’ARS, Christophe Jacquinet, a créé un département de l’efficience. « Nous avons non seulement une mission de régulation et d’allocation de ressources auprès des hôpitaux, mais aussi une mission d’appui au pilotage de ces établissements qui passe par des indicateurs de performance », explique-t-il.

Reste que cette course à la rentabilité bouscule l’esprit de service public des agents hospitaliers. « La durée moyenne de séjour ne doit pas dépasser trois semaines, explique Jean-Pierre Le Coultre, représentant CGT au centre hospitalier Le Vinatier, un hôpital psychiatrique dans le Rhône. On renvoie les patients chez eux sans les avoir véritablement soignés. Auparavant, quatre soignants encadraient 25 patients. Désormais nous ne sommes plus que deux. Résultat, nous faisons de la régulation de dosage de médicaments, nous ne pouvons plus soigner les malades. » Cet été, 54 établissements étaient menacés de voir leur bloc opératoire fermé pour cause d’activité insuffisante, selon les critères du ministère de la Santé. Le coup de gueule de l’Association des petites villes de France aura permis de donner un sursis à ces hôpitaux. Les décrets ne sortiront qu’en fin d’année pour une application en 2012. Difficile encore de dire qui est le vrai patron, si ce n’est le souci économique.

Établissements : des effectifs à la baisse

On compte en France 981 établissements publics de santé. Plus de 50 % sont des centres hospitaliers, un gros tiers des établissements locaux, une trentaine des CHU et des CHR.

Ils employaient, en 2008, 893 558 agents hospitaliers, un effectif pour la première fois en baisse depuis 2001.

Source : Statistique annuelle des établissements de santé.

Budget : les dotations menacées

L’hôpital est financé à 84 % par la T2A. Le reste vient de dotations nationales pour financer les missions d’intérêt général comme l’aide médicale d’urgence, les soins aux femmes enceintes, aux détenus, l’enseignement… Des activités difficilement facturables. Aujourd’hui, ces dotations sont sur la sellette. En 2010, plus de 500 millions d’euros n’ont pas encore été distribués aux hôpitaux.

Masse salariale : le poids lourd du budget

Elle représente 70 % du budget d’un hôpital. La récente reconnaissance du diplôme d’infirmière au niveau licence va peser sur les budgets (500 millions d’euros). D’ici à 2015, les infirmières qui accepteront de partir à la retraite à 60 ans verront leur salaire revalorisé de 2 100 euros par an. Elles sont plus de 200 000 à l’hôpital public.

Immobilier : patrimoine à vendre

L’AP-HP espère récupérer 200 à 400 millions d’euros en quatre ans pour moderniser son parc. La Ville de Paris négocie le rachat du site de 3,2 hectares de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le 14e arrondissement (photo).

Une « préfectoralisation » de l’hôpital

La loi HPST est une loi soviétique imaginée par un gouvernement de droite », constatait, ironique, Jean de Kervasdoué, professeur au Cnam, face à un parterre de médecins et d’agents de l’hôpital Georges-Pompidou, début juillet. Une analyse partagée par bon nombre de spécialistes qui pointent une préfectoralisation de l’hôpital. Côté rue, difficile d’imaginer cette reprise en main. Avant la loi HPST, la tarification à l’activité avait déjà nourri le vent de libéralisme qui souffle sur l’hôpital. Instaurée en 2005, celle-ci est devenue, depuis, le mode de financement des hôpitaux. Désormais, ce sont les recettes issues de l’activité hospitalière qui vont déterminer les dépenses. Cinq ans après, la nouvelle loi donne encore des signes delibéralisation en renforçant le pouvoir des directeurs d’hôpital, tout en leur imposant un retour à l’équilibre des comptes pour 2012. En autorisant le recrutement de médecins contractuels, le législateur rogne aussi le statut des hospitaliers. Pour Didier Tabuteau, directeur de la chaire Santé de Sciences po, la loi HPST ne parle plus de service public hospitalier mais de missions de service public. Concrètement, la formation des médecins pourra être confiée à des établissements publics ou privés, du secteur lucratif ou non. En coulisse, la libéralisation est moins évidente. La loi renforce la politique de contractualisation, imaginée par la loi de 1991. Désormais celle-ci se fait en cascade. L’État assigne des objectifs à chaque agence régionale de santé, qui elles-mêmes fixent des objectifs aux hôpitaux, les directeurs généraux des établissements se chargeant de contractualiser avec chaque directeur de pôle médical au sein de leur structure. « À travers les ARS, l’État reprend la main en région. Au passage, on affaiblit également le pouvoir politique local, explique un ancien DRH d’hôpital. Alors que le maire présidait les anciens conseils d’administration, ça n’est plus forcément le cas pour les nouveaux conseils de surveillance. » Une éviction qui ne choque pas Fabrice Marchiol, maire de La Mure (Isère) et membre de la commission Larcher. Il a restructuré l’hôpital de la commune en coopération avec le CHU de Grenoble. « Dans l’ancienne configuration, ceux qui votaient le budget n’étaient pas ceux qui mettaient la main à la poche. » À Paris, l’éviction de Jean-Marie Le Guen, élu PS de la ville de Paris, a néanmoins été très remarquée. C’est Raoul Briet, conseiller maître à la Cour des comptes, auteur d’un rapport sur « le respect des objectifs de dépenses de santé », qui a pris la présidence du nouveau conseil de surveillance, avec l’appui de Claude Evin, le DG de l’ARS d’Ile-de-France. Une nomination efficace : le plan stratégique a été adopté sans souci le 15 septembre.

L’accélération des réformes hospitalières

1970

Naissance de l’hôpital moderne. L’État a l’ambition de créer un vaste service public hospitalier.

1991

La loi Evin instaure le principe de contractualisation entre les hôpitaux et les représentants de l’État en région.

1996

Ordonnances Juppé. Création des agences régionales de l’hospitalisation (ARH), ancêtres des ARS.

2003

Réforme de la gouvernance à l’hôpital. Mise en place des pôles d’activité clinique.

2005

Instauration de la tarification à l’activité (T2A) et d’une cogestion médecin-administration.

2007

Plan Hôpital 2012. Poursuite de la modernisation de l’hôpital et nouveau plan d’investissement (10 milliards d’euros, dont 5 apportés par l’État).

2009

La loi HPST veut réformer l’ensemble du système de santé, de l’hôpital à la médecine de ville. Elle définit une nouvelle gouvernance à l’hôpital.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy