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Idées

Va-t-on vers une privatisation de l’assurance maladie ?

Idées | Débat | publié le : 01.10.2010 |

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011 se caractérise par une poursuite des déremboursements – notamment pour les médicaments à faible service médical rendu –, des transferts de coûts vers les patients et des ponctions sur les assureurs complémentaires.

La question est moins de savoir si l’on s’oriente vers une privatisation de l’assurance maladie que de savoir où, quand et comment celle-ci s’arrêtera. Le système français de prise en charge des dépenses de santé a toujours été mixte. La part couverte par la Sécurité sociale représente environ lestrois quarts de la dépense, celle des assurances complémentaires facultatives près de 14 %, 9,4 % restant à la charge des ménages. Le « marché » de l’assurance maladie privée est toutefois limité aux soins courants. Le remboursement à 100 % des dépenses liées aux pathologies les plus graves en réduit en effet le champ tout en égalisant les risques financiers entre les assurés. Cela limite la sélection des risques par les assureurs privés qui se comportent dès lors en payeurs aveugles intervenant subsidiairement dans un système contrôlé presque exclusivement par l’assureur public. Il faudrait un ren­versement complet du système et l’ouverture du marché des « gros risques » pour que l’on passe du stade de l’assurance privée complémentaire à une organisation dans laquelle les assureurs privés pourraient imposer leurs modalités de gestion : différentiation des tarifs en fonction du risque et contrôle du recours au système de soins (professionnels agréés, centres de soins intégrés…). Cette évolution est peu vraisemblable, d’autant moins que les exemples étrangers montrent que lorsque l’assurance privée devient dominante, elle est strictement ­régulée et encadrée. En revanche, le grignotage de l’assurance publique continue et devrait encore progresser avec la crise et la lutte contre les déficits.

L’interdit, quasi religieux, qui pèse sur la hausse des prélèvements obligatoires conduit au recul de l’assurance publique pour les petits risques et à l’extension mécanique du champ de la couverture privée. Il devrait en résulter la poursuite de la croissance des inégalités du fait de la couverture disparate des complémentaires, nettement plus présentes dans les grandes que dans les petites entreprises, et de la mauvaise couverture de la CMU dans le bas de la distribution des revenus. 20 % des plus démunis ne disposent pas d’une assurance complémentaire, contre 3 % des plus riches : les risques deviennent de plus en plus marqués d’un accroissement du rationnement des soins pour les plus pauvres. La boucle sera bouclée le jour où l’assurance complémentaire sera déclarée obligatoire et gratuite pour les plus pauvres.

En réponse à la dérive des dépenses de soins, les gouvernements successifs enchaînent les mêmes mesures : transfert de déficits vers les générations futures, mise en place de mécanismes « comptables » de régulation de certaines dépenses, notamment hospitalières, ­réduction, voire suppression de dépenses subitement qualifiées de confort… En l’absence de courage politique pour traiter sur le fond les vraies questions, nos élus réduisent progressivement la part des dépenses de soins couvertes par le régime général. Le taux de prise en charge de soins par les administrations publiques (régimes de base, État, fonds CMU, collectivités locales) est ainsi passé de 78,5 % en 2004 à 76,9 % en 2008. Peut-on pour autant parler de privatisation de l’assurance maladie ? La réponse de nos gouvernants à cette question traduit une forme de schizophrénie. D’un côté, on met en place en 2008 le mécanisme d’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé à destination des foyers modestes. De l’autre, le développement de l’activité des complémentaires santé apparaît « choquant » à nos gouvernants, qui s’empressent de ponctionner une prétendue manne avec des taxes multiples : taxe CMU (5,9 %) et nouvelle taxe santé annoncée au 1er janvier 2011 (3,5 %).

Supposer un transfert des dépenses de soins vers le privé repose sur une capacité des Français à financer une complémentaire santé d’un poids croissant dans leur budget et à accepter durablement un taux de retour de leurs cotisations de l’ordre de 50 % sur leurs dépenses courantes en raison de l’empilement de multiples couches de frais dans leurs contrats : 10 % de taxes, 20 % de commissions, 12 % de frais de gestion, coûts de mutualisation des contrats, financement des provisions à constituer…

Sans changement de ce paradigme, l’issue la plus probable est un transfert accru des dépenses de soins vers les citoyens eux-mêmes, c’est-à-dire une hausse de la part d’auto­assurance, parfois (rarement) choisie et le plus souvent subie. Les assureurs ne peuvent pas supporter des transferts accrus de charges sans les répercuter sur leurs cotisations. Les trois principales zones de travail sont, de notre point de vue, la mise en place d’un vrai système de régulation des dépenses de soins, la fonte des coûts d’intermédiation et une meilleure régulation de la politique de soins « à tout prix » de toutes les pathologies.

Le système de santé français et son financement sont caractérisés par des asymétries de plus en plus marquées. Asymétrie entre une médecine de ville indigente et un secteur hospitalier globalement excellent, contrairement aux idées reçues. Asymétrie dans la consommation de soins : 20 % des assurés consomment 80 % des soins alors qu’à l’autre bout un bon tiers ne consomme presque rien. Asymétrie encore dans le financement, essentiellement supporté par les classes actives, alors que les retraités, qui sont les principaux consommateurs (une personne de plus de 75 ans sur deux est en ALD), ne paient presque rien. Asymétrie toujours dans la prise en charge par la Sécu, supérieure à 90 % à l’hôpital ou en ALD alors qu’elle est d’à peine 50 % dans tous les autres cas, c’est-à-dire pour 80 % de la population. Compte tenu de ces asymétries, ce système est difficile à réformer. Les médecins libéraux sont arc-boutés sur un mode d’exercice anachronique. Toucher à l’hôpital implique de remettre en cause des emplois indispensables dans les bassins concernés. Remettre en cause la répartition du financement et/ou de la prise en charge passe nécessairement par la remise en question des avantages acquis des retraités, dont le poids électoral est déterminant.

Toutes ces raisons expliquent le caractère récurrent du déficit de l’assurance maladie, que la crise économique n’a fait qu’amplifier. Peut-on pour autant prétendre que le caractère solidaire de son financement est ébranlé et que la Sécu est en voie de privatisation ? Certainement pas. Le financement public des dépenses de santé est remarquablement stable autour de 77 %. La prise en charge presque intégrale des ALD et de l’hôpital n’est pas plus menacée que la CMU. Les fondamentaux tiennent bon et affirmer le contraire relève de la démagogie la plus grossière. Les tenants de la thèse de la privatisation rampante mettent en avant le niveau très faible de la prise en charge publique des dépenses de médecine de ville (à peine 50 %) et le désengagement de fait de la Sécu de certains postes, lunettes et prothèses dentaires notamment. Ils oublient de préciser que les déremboursements pointés du doigt sont anciens (ils datent pour la plupart des années 80 et 90) et qu’il n’y en a pratiquement plus eu depuis la réforme de Simone Veil de 1993. La voie de la privatisation partielle a clairement été abandonnée et le vrai problème est qu’aucune alternative de résorption des déficits publics n’a été trouvée.