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Idées

L’Entreprise, un risque à courir

Idées | Culture | publié le : 01.10.2010 | A. F.

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L’Entreprise, un risque à courir

Crédit photo A. F.

Les 58 suicides advenus chez France Télécom depuis 2008 alimentent en cette rentrée une veine littéraire particulièrement riche en (bons) romans sur le travail. « L’épidémie qu’a connue France Télécom a servi d’élément déclencheur », reconnaît Philippe Claudel, Prix Renaudot 2003 pour les Âmes grises. Dans l’Enquête (Stock, 278 p., 19 euros), roman le plus sombre de la rentrée, son personnage principal mène des investigations sur des suicides au travail, enfin tente de le faire. Car ça dérape sec : l’universdécrit semble en proie à un magistral court-circuit, inintelligible et centré autour d’une Entreprise tentaculaire. Qui absorbe la ville, couvre toutes les acti­vités et étend son emprise aux salariés, dont elle a annihilé la volonté. Sans prénom ni histoire, ils sont réduits à leur seule fonction : Garde, Vigile… L’Enquêteur est happé par ce cauchemar, à mesure que le dérèglement du monde devient celui des sens. Roman d’anticipation ou délire schizophrénique ? Philippe Claudel ne lèvera pas le voile. Et c’est l’une des réussites de son magistral opus.

Si le malaise en entreprise est aussi central dans Retour aux mots sauvages, de Thierry Beinstingel (Fayard, 295 p., 19 euros), les suicides n’en sont qu’un symptôme, en toile de fond. L’auteur – RRH chez France Télécom, ça ne s’invente pas – préfère interroger la source de l’angoisse, le travail tertiaire désincarné, en mettant en scène la reconversion d’un électricien quinqua en téléopérateur. Sur le plateau fait rage une guerre silencieuse : celle des mains contre la parole, du palpable contre l’abstrait d’un travail « réduit au déplacement d’une souris en plastique », de l’individu contre un système et un vocabulaire normés où tout le monde est interchangeable.

D’une précision extrême, la langue de Beinstingel, présélectionné pour le Goncourt, dit au contraire l’importance des détails particuliers. Nous étions des êtres vivants, de Nathalie Kuperman (Gallimard, 203 p., 16,90 euros), exprime encore ce besoin d’ancrage et d’humanité des salariés, l’envie de bien faire son travail, le refus du trop de normes et du management impersonnel. Racontée par des voix intérieures, sa chronique sensible du rachat d’une maison d’édition (inspirée de la cession de Fleurus Presse) montre la fragilité des collectifs de travail. D’autant que le rachat se couple d’un déménagement et de licenciements.

Ne cherchez pas la finesse, par contre, dans Plan social (Le Cherche Midi, 120 p., 13 euros) : François Marchand, ex-fonctionnaire, dégaine un humour noir, aussi léger qu’un tir de bazooka. Mais on rit de bon cœur aux aventures d’Émile Delcourt, patron de PME, qui passe un pacte diabolique avec la CGT pour conduire un plan social « indolore financièrement » : un quart des effectifs passera l’arme à gauche, dont le DRH, « fonction qui n’exige aucune compétence ». Après tout ça, on comprend pourquoi « Machin », bac + 5, préfère rester « Libre, seul et assoupi » (Au Diable Vauvert, 290 p., 18 euros) plutôt que d’intégrer l’entreprise et le monde des adultes. Un premier roman, drôle et bien troussé, sur la génération précaire des années 2000.

Auteur

  • A. F.