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“Les travailleurs immigrés chinois sont les plus endettés”

Actu | Entretien | publié le : 01.10.2010 | Sandrine Foulon

Les travailleurs chinois irréguliers en Europe sont prisonniers des trafiquants. Selon la juriste, il faut décourager l’émigration et responsabiliser les Occidentaux.

Pourquoi vous intéresser à l’émigration chinoise en Europe ?

Aujourd’hui, l’attention se porte surtout sur l’amélioration des droits sociaux des travailleurs en Chine. On parle des grèves pour des augmentions de salaire, bien moins des Chinois qui s’expatrient. Et alors que la diaspora chinoise est estimée à 35 millions dans le monde, les chiffres des migrants irréguliers restent peu fiables. Le nombre de clandestins qui ont tenté de franchir la frontière, ceux qui se sont fait arrêter et les demandes de régularisation sont les seuls indices qui permettent de faire une estimation. Le BIT a choisi de s’intéresser à la France, au Royaume-Uni et à l’Italie car ils figurent parmi les pays qui abritent la plus grande communauté de travailleurs chinois réguliers, mais aussi irréguliers, respectivement 30 000, 35 000 et 25 000 pour cette dernière catégorie, selon une estimation de 2005.

Quelles sont leurs caractéristiques ?

La communauté chinoise est la plus endettée. D’abord parce que le chemin à parcourir est très long, mais aussi parce que les passages sont aux mains d’organisations criminelles. La moitié des migrants de certaines régions passent par les « têtes de serpent », qui leur font payer jusqu’à 30 000 euros pour l’Europe, le double pour les États-Unis. Il existe aussi des agences de voyages qui sont des bureaux de recrutement déguisés. Mais ces Chinois ont toutes les peines du monde à rembourser. La peur des représailles envers leur famille et le manque de communication à cause de la langue les enferment dans un système. Autre particularité, tous les Chinois travaillent. Dans le textile, les restaurants, la construction, un peu dans la maroquinerie… Ils peuvent espérer gagner 1 000 euros par mois et rembourser leurs dettes au bout de huit ans.

Les syndicats peuvent-ils intervenir ?

C’est très compliqué, y compris pour les migrants réguliers. Car les travailleurs locaux voient dans la main-d’œuvre chinoise une sorte de concurrence. Néanmoins, on a pu observer dans des entreprises de textile délocalisées en Roumanie et en République tchèque des manifestations de travailleurs chinois contre leurs conditions de travail. Les irréguliers, eux, ne connaissent pas leurs droits. Autre problème, ils sont le plus souvent exploités par des Chinois. Au Royaume-Uni, un intermédiaire s’occupe de 30 à 40 personnes et traite avec les entreprises. En 2004, une vingtaine de Chinois sont morts noyés, piégés par la marée, sur une plage anglaise. Ils ramassaient des coquillages pour une entreprise locale. L’affaire a fait grand bruit, l’intermédiaire chinois a été condamné, l’entreprise sanctionnée pour avoir embauché des irréguliers, mais sa responsabilité n’a pas été reconnue. À la suite de cela, le Royaume-Uni a fait voter une loi, le Gangmasters Licencing Act, qui exige un agrément pour opérer comme intermédiaire dans les secteurs où la main-d’œuvre étrangère est surreprésentée.

Les vagues de régularisations vont-elles changer la donne ?

En France, lors des régularisations de 1992 et 1997, beaucoup de Chinois ont fait une demande, mais les plus endettés continuent d’avoir peur d’être chassés par la police. En Italie, un travailleur produisant un contrat de travail pouvait obtenir ses papiers lors des grandes régularisations de 1995, 1998 et 2002. Effet pervers du système, les employeurs ont « vendu » des contrats aux candidats à la régularisation, contraints de ce fait à contracter un nouvel emprunt.

Quelles sont vos préconisations ?

Agir en amont. Le gouvernement chinois a déjà pris des mesures pour faire condamner les agences qui ne parvenaient pas à faire revenir leurs « touristes », ou en renforçant les contrôles de papiers, mais cela ne suffit pas. Il est nécessaire de lancer des campagnes d’information pour dissuader les candidats, leur expliquer que le travail en Occident est loin d’être un rêve. En Europe, il s’agit de faire la lumière sur toute cette chaîne de production. En France, la plupart des grandes marques de couture sont des clientes directes et indirectes de ces ateliers clandestins. Les donneurs d’ordres doivent être responsabilisés.

La croissance chinoise peut-elle avoir un effet sur l’immigration ?

À long terme, il est possible que les Chinois choisissent de rester, mais aujourd’hui la demande d’expatriation demeure très forte. Les agences de recrutement sont très actives en Chine. Et il existe des accords bilatéraux, avec Israël par exemple, pour que des citoyens chinois partent travailler à l’étranger de manière régulière.

GAO YUN

Fonctionnaire de l’OIT.

PARCOURS

Juriste de formation, Gao Yun, 39 ans, a exercé cinq ans comme avocate en Chine avant d’intégrer le BIT en 2003. Elle travaille au sein du secteur des normes et des principes et droits fondamentaux au travail. Elle a publié en 2004 une première étude « Migrants chinois et travail forcé en Europe » (www.ilo.org), qu’elle vient d’étoffer avec les exemples du Royaume-Uni et de l’Italie.

Auteur

  • Sandrine Foulon