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Vie des entreprises

Les risques sociaux, nouveau filon des assureurs

Vie des entreprises | Décryptage | publié le : 01.09.2010 | Sabine Germain

En vogue aux États-Unis, l’assurance « risques sociaux » couvre les entreprises en cas de procédure pour licenciement, discrimination, harcèlement… Une garantie que les assureurs espèrent bien voir décoller en France.

Pour un assureur, un nouveau risque, c’est d’abord un nouveau marché. De ce point de vue, la montée en puissance des risques sociaux est une véritable aubaine : contestation de licenciements (individuels ou collectifs), risque juridique lié aux discriminations (diversité, parité, handicap), au stress ou au harcèlement peuvent être couverts par une ­assurance.

Exemple : en novembre 2009, un cadre est poursuivi au pénal pour avoir tenu des propos dénigrant les femmes, envoyé des mails à l’ensemble du service pour stigmatiser les erreurs d’un de ses collaborateurs… Ce harcèlement est sanctionné par une double amende : 3 000 euros pour le cadre et 15 000 euros pour son employeur. « Des amendes pénales qui ne sont pas couvertes par l’assurance », explique ­Séverine Bouckaert, responsable du département relations sociales de l’assureur Nassau. En revanche, les honoraires d’avocat (16 700 euros) et les 9 000 euros de dommages et intérêts versés à la plaignante ont été pris en charge par l’assureur.

Seuls les aléas sont couverts. En avril 2010, un organisme public est condamné par les prud’hommes à indemniser deux cadres ayant contesté leur licenciement abusif. L’addition est lourde : 30 000 euros de dommages et intérêts pour l’un, 35 000 euros pour l’autre, auxquels s’ajoutent 4 200 euros d’honoraires d’avocat. Elle est entièrement prise en charge par l’assurance.

Autre cas remontant à novembre 2009 : une salariée ayant participé à un mouvement social assigne son employeur qui l’aurait discriminée et harcelée par la suite. L’entreprise est condamnée à lui verser 18 000 euros de dommages et intérêts, remboursés par son assureur, de même que les 8 200 euros de frais d’avocat.

Apparues il y a plus de vingt ans sur le marché français, les assurances « risques sociaux » ont été calquées sur le modèle américain des contrats dits employment practices liability (EPL), nés dans le sillage des premières lois antidiscriminations. « Elles couvrent les frais de défense (avocat, expertise, procédure) et tous les dommages et intérêts auxquels l’entreprise est condamnée en cas de procédure pour licenciement abusif, harcèlement, environnement de travail hostile, discrimination, atteinte à la liberté d’expression… », détaille Bertrand Bouillon, directeur juridique assurances au sein du cabinet de courtage Verspieren.

Attention : seules les dépenses relevant d’un aléa (les dommages et intérêt, par exemple) sont prises en charge par l’assureur. Les indemnités contractuelles ou conventionnelles ne sont donc pas couvertes. Prenons le cas d’un cadre licencié pour « perte de confiance »: considérant ce licenciement « sans cause réelle et sérieuse », la Cour de cassation condamne l’employeur à verser ses indemnités conventionnelles assorties de dommages et intérêts au salarié, et à rembourser les Assedic des indemnités de chômage indûment versées. L’assurance EPL couvre les frais engagés par l’entreprise pour mener ce procès, les dommages et intérêts et les indemnités chômage. En revanche, elle ne prend pas les indemnités de licenciement en charge : étant automatiquement versées en cas de licenciement, elles ne relèvent pas d’un aléa.

Plans sociaux. Le cas des licenciements collectifs est plus complexe. Face à cette question, les assureurs sont très tranchés. La plupart refusent tout bonnement de les garantir. « Le métier d’un assureur est de couvrir des aléas. Les plans sociaux ne relèvent clairement pas de ce champ », explique Didier Seigneur, directeur des risques financiers de Chartis. « C’est pourtant là que les entreprises voient leur principal risque », répond Emmanuel Silvestre, directeur adjoint de la souscription des lignes spécialisées chez Liberty IU qui, avec Nassau, fait de la garantie PSE l’un de ses fers de lance. « Quand un plan social est annulé par un tribunal, nous prenons en charge tous les rappels de salaire (si les sala­riés sont réintégrés) ou nous finançons les indemnités des salariés qui ne souhaitent pas revenir », précise Séverine Bouckaert (Nassau).

L’offensivecommerciale est bel etbien engagée. Pour convaincre des employeurs français frileux, les assureurs surfentsurunejurispru­dence ? particulièrement dense. « Notre argumentation commerciale s’appuie clairement sur l’actualité », admet Emmanuel Silvestre (Liberty IU). « Malgré le travail de fond fait par la Halde, le risque juridique lié aux discriminations n’est pas encore vraiment intégré par les entreprises françaises, qui s’intéressent davantage au risque prud’homal », souligne Guillaume Déal, directeur des risques financiers chez Chubb. « Quand une PME souscrit uncontrat EPL, c’est d’abord afin de se protéger contre les procédures pour licenciement abusif, explique Didier Seigneur. Seules les grandes entreprises sont réellement sensibles au risque de discrimination. »

L’hétérogénéité des offres ne facilite pas les choses : il faut lire un contrat à la loupe pour comprendre ce que l’assureur prend ou ne prend pas en charge. « À nous d’aider nos clients à décrypter les exclusions, identifier les garanties un peu gadgets et, in fine, trouver le contrat qui leur convient le mieux », indique Valérie Leprovost, directrice du département des études au cabinet de courtage Verlingue.

De fait, les courtiers ont un rôle essentiel à jouer pour vendre ces produits complexes, qui requièrent une bonne maîtrise du droit social. Interlocuteurs habituels des courtiers, les risk managers sont en effet hors du coup : ils ont besoin de l’aide du DRH pour identifier les risques et souscrire. Problème : les DRH ne sont pas forcément emballés par ces nouveaux produits. « Le développement des assurances « risques sociaux » ne doit pas faire naître un sentiment d’impunité parmi les employeurs qui, au prétexte qu’ils sont assurés, seraient tentés de tout se permettre », estime l’un d’eux. Un danger que balaient d’un revers de main les acteurs du marché : « Nous n’avons pas l’intention d’encourager des conduites sociales déviantes, assure Guillaume Déal (Chubb). De toute façon, il ne serait pas rentable d’assurer des entreprises irresponsables. » Les critères de souscription et le niveau des franchises sont d’ailleurs dissuasifs.

Face à ces réticences, les courtiers ont trouvé une parade : « Les contrats EPL se vendent dans le sillage de la responsabilité civile des mandataires sociaux (RCMS), note Catherine Fourel, directrice technique adjointe des lignes responsabilité civile et risques financiers chez AON. Une entreprise ayant souscrit une RCMS est en effet plus sensible aux risques liés à la gestion sociale. » À ce jour, environ 20 % des entreprises ont souscrit une garantie RCMS, contre à peine 1 % pour les garanties EPL. Chartis, leader du marché, annonce 14 000 contrats RCMS pour seulement 1 000 EPL. « Les produits RCMS ont réellement décollé au début des années 2000, quand la concurrence s’est intensifiée, poussant les assureurs à améliorer leur offre et à optimiser leurs tarifs », souligne Valérie Leprovost. Si l’on considère que, sur le marché des EPL, la rédaction des contrats n’est pas encore totalement stabilisée et que la tarification se fait encore « au doigt mouillé » (le coût varie, pour chacun des deux produits, de 2 000 euros pour les PME à plusieurs dizaines de milliers d’euros pour les grands groupes), on peut s’attendre au même phénomène.

Auteur

  • Sabine Germain