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Politique sociale

Travailler plus pour gagner plus version cubaine

Politique sociale | publié le : 01.09.2010 | Hector Lemieux

Le président Raul Castro veut doper la productivité des Cubains. Pas simple avec des salaires faibles et une économie parallèle.

Depuis le début de l’année 2010, La Havane s’est lancée dans une vaste autocritique : « Le camarade Raul l’a dit : notre discipline au travail et notre productivité sont trop insuffisantes », a déploré au printemps le président du Parlement, Ricardo Alarcon, alors que le ministre de l’Économie et de la Planification, Marino Murillo Jorge, insistait sur la nécessité de « moderniser [le] modèle économique, tout en préservant les principes de justice socialistes ». L’économie cubaine, aux abois, ne s’est toujours pas remise des 10 milliards de dollars de dégâts causés par l’ouragan Ike en septembre 2008.

La crise économique mondiale a affecté les deux principales sources de revenus, le tourisme et les envois d’argent des Cubains de l’étranger. Symbole douloureux, Cuba a connu au printemps sa pire récolte de sucre en près de cent ans. Raul Castro veut donc doper la productivité, mais la faiblesse des salaires, de l’ordre de 10 euros mensuels en moyenne, décourage les plus motivés. « Mon salaire n’a plus aucun sens. Je reçois 300 pesos cubanos (9 euros) par mois de mon entreprise, Cubataxi. Certains jours, je gagne la moitié de mon salaire mensuel en pourboires », raconte Fidel, chauffeur de taxi. Les Cubains sont payés en pesos cubanos, une monnaie qui ne leur donne pas accès à grand-chose. La plupart des biens de consommation s’achètent en pesos convertibles, la monnaie des touristes et de la nomenklatura. Après avoir rompu avec le dogme de l’égalité salariale, la méthode du manager Castro consiste à donner des bonus aux Cubains qui travaillent plus. Mais cette volonté affichée de réformer le monde du travail arrive un peu tard. Et son ambition est limitée. « Ne croyez pas qu’en travaillant plus vous serez millionnaires. Le bonus est payé en pesos convertibles, mais ce ne sont que quelques pesos de plus par mois », explique Jorge, contremaître et membre du Parti communiste cubain, comme 800 000 personnes sur 11 millions d’habitants. Alors, pour survivre, l’île continue à être l’empire de la débrouille.

L’économie parallèle y a remplacé les circuits officiels. Les salaires sont insignifiants dans le revenu réel des habitants. « Travailler pour 10 dollars par mois dans une entreprise est hors de question. Je préfère faire du commerce en achetant et en revendant des vêtements que m’apportent des étrangers », indique Yolanda, 30 ans. Selon des experts étrangers en poste à La Havane, les revenus des Havanais s’élèveraient à plus de 200 dollars mensuels en intégrant les petits trafics. Le plus pratiqué est le pillage des biens des entreprises, revendus ensuite au marché noir.

Le spectre soviétique. Pour un investisseur étranger, la culture du travail cubaine est déroutante. En apparence, la gestion du personnel n’est guère différente de celle pratiquée en France. Les salaires sont payés chaque mois (parfois toutes les deux semaines). Les salariés ont droit à cinq semaines de congés payés et à des congés maladie. Il existe des comités d’entreprise, des syndicats. Mais, dans les faits, les entreprises cubaines n’ont jamais rompu avec le modèle soviétique. Si les journées de travail sont longues (fréquemment de dix à douze heures), les chiffres les plus fous circulent sur l’absentéisme. Et le taux de chômage, qui n’était officiellement que de 1,7 % au début 2010, n’inclut pas les milliers de travailleurs mis en disponibilité (renvoyés chez eux et payés à 70 % de leur salaire) et ceux qui ne font qu’acte de présence. Il y a toujours chez les travailleurs cubains, faute de motivation, une bonne dose de laisser-aller. Une machine en panne pourra le rester des années sans que personne ne cherche à la réparer. La notion de rentabilité n’a pas grand sens. Des secteurs comme le tourisme sont dynamiques parce qu’ils rapportent des devises à l’État. Les autres fonctionnent au ralenti.

Autre difficulté pour les groupes étrangers, employer du personnel à Cuba est coûteux. Les rémunérations sont fixées unilatéralement par les pouvoirs publics. Les autorités demanderont par exemple à une société étrangère de payer 1 000 euros par mois un serveur dans un complexe touristique. Le gouvernement cubain versera l’équivalent de 10 euros à l’employé et empochera la différence ! Bien évidemment, le serveur payé 10 pesos cubanos manquera de motivation. Pour qu’il travaille réellement, la société étrangère devra lui verser, parallèlement, 100 à 200 euros supplémentaires. Ces pratiques ont tendance à faire fuir les investisseurs. En 2009, on estimait que 220 entreprises étrangères, principalement espagnoles, vénézuéliennes, chinoises, canadiennes mais aussi françaises (Accor, Schneider Electric, Bouygues Bâtiment… présents via des bureaux de représentation ou des partenariats avec des entreprises locales), étaient enregistrées à Cuba, contre 400 à la fin des années 90. Une désaffection qui ne va pas faciliter l’application du mot d’ordre « travailler plus pour gagner plus » lancé par le demi-frère de Fidel.

Des activités privées en essor, et sous contrôle

Avec mon appareil photo et mon imprimante, je me rends dans les hôtels de La Havane. Je prends des photos sur le vif que je vends dans l’instant aux amoureux et aux familles pour 30 pesos cubanos pièce (0,90 euro) », raconte Orlando, la cinquantaine. Coiffeurs, chauffeurs de bicitaxis (vélopousses), remplisseurs de briquets (pour 0,1 euro), gérants de paladares (restaurants familiaux), ils sont désormais des centaines de milliers de travailleurs indépendants à faire comme Orlando. Si le secteur privé n’est pas nouveau à Cuba (les premiers paladares sont apparus en 1994), il est en hausse constante. Bien qu’encouragées par les autorités, les entreprises privées sont victimes de suspicion et de brimades. C’est le cas des casas particulares (B & B), dont le gouvernement hausse régulièrement les impôts ou qu’il ferme sans préavis.

Auteur

  • Hector Lemieux