logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Au Brésil, les syndicats sont rois

Politique sociale | publié le : 01.09.2010 | Emmanuelle Souffi

En octobre, le président Lula quittera le pouvoir avec une popularité inédite. Auprès des syndicats aussi. Il leur a reconnu une vraie place, mais n’a pas mis fin à l’archaïsme du système.

Face à un mur de graffitis, Didi a le sourire. D’ici à un an, il quittera sa cahute pour un trois-pièces, à la lisière de la favela de Sao Paulo. Son regard parcourt les immeubles circulaires en construction et, comme les 558 familles qui vont être relogées en 2011, il sait que sa vie ne sera plus la même. À Heliopolis, le plus grand quartier pauvre de Sao Paulo, le programme d’accélération de la croissance (PAC) est en train de changer la face de ce bidonville où vivent 125 000 Brésiliens : 2 881 nouveaux logements vont remplacer les maisons de tôle et 196 millions de réis – 86 millions d’euros – y seront investis. « La plupart vivaient dans une extrême pauvreté ; là, ils vont retrouver l’estime de soi », se réjouit Antonia Cleide Alves, coordinatrice d’Unas, l’union des associations de la favela d’Heliopolis. Depuis son arrivée au pouvoir, il y a huit ans, le président Luiz Inacio Lula da Silva a déclaré la guerre à la misère. Ses armes ? De vastes programmes de soutien au pouvoir d’achat et à l’amélioration du quotidien (« Faim zéro » avec son allocation bolsa familia, « Lumière pour tous ») conçus en étroite concertation avec les syndicats et les 21 coalitions que le créateur du Parti des travailleurs a dû nouer pour passer à l’attaque.

Au Brésil, le système politique, fondé sur la proportionnelle, crée un tel émiettement dans les urnes que les alliances sont inéluctables. Et les premiers alliés de Lula dans son combat, ce sont les représentants des salariés. Car l’ex-enfant des favelas est l’un des leurs. C’est lui qui a créé la Central unica dos trabalhadores (CUT) en 1983. Lui qui était en tête des cortèges lors des grèves des métallos dans les années 80. Et quand il a dû constituer ses gouvernements, il est allé piocher chez ses anciens compagnons d’armes. Près de 80 syndicalistes l’ont rejoint. Sa plus grosse « prise », Luiz Marinho, ancien président de la CUT bombardé ministre du Travail. Inimaginable en France.

Les syndicats légalisés. La proximité entre pouvoir politique et sphère syndicale est une des caractéristiques du dialogue social brésilien. Alors, pas question de rester neutre à l’approche de l’élection présidentielle du 3 octobre. Le leader de la CUT, Artur Henrique da Silva Santos, a, dès le mois de mai, annoncé son soutien à Dilma Rousseff, ancienne chef de cabinet de Lula et favorite dans les sondages (voir encadré page 34). Le retour de la droite au pouvoir compromettrait leur quête de légitimité. Bannies sous la dictature militaire, ignorées pendant l’ère libérale de Cardoso, les centrales syndicales doivent leur reconnaissance à Lula. Le premier président de gauche les a légalisées – elles sont six désormais – et leur a donné un véritable espace de négociation.

Partisan de la démocratie participative, il a multiplié les conférences. Plus d’une soixantaine ont été organisées sur les droits humains, la sécurité alimentaire, l’agriculture familiale… Elles mobilisent des millions de Brésiliens. Un Conseil du gouvernement économique et social, inspiré du modèle français, a été créé. « Aujourd’hui, il est presque impossible qu’une loi sociale ne soit pas discutée avant avec les syndicats de salariés et les employeurs. C’est un gain démocratique considérable », estime Cândido Grzybowski, directeur d’Ibase, une des organisations les plus influentes de la société civile, et pilier du Forum social mondial de Porto Alegre. Mais l’ancien métallo, adepte des joutes oratoires, est un dur à cuire. « Si tu veux 100, il faut demander 200 », résume Francisco Menezes, ex-président du Conselho nacional de segurança alimentar e nutritional (Consea), qui avait l’habitude de discuter avec lui.

Le salaire minimum revalorisé. Résultat, son premier mandat est marqué par de lourds conflits. Inédit dans un pays plus porté sur la guérilla juridique – 2,6 millions de procès en droit du travail par an – que sur le port de calicots. La population, écrasée par une inflation et une dette publique record, s’impatiente. En 2004 et 2005, après avoir assaini les comptes de la nation, Lula ouvre des négociations pour revaloriser le salaire minimum. Il flambe de 62,6 % pour atteindre 460 réis – 202 euros – sans que les entreprises voient rouge. « Lula a fait un gouvernement extraordinaire. Le système productif n’a jamais été aussi performant », s’enflamme Eliane Belfort, directrice du comité de responsabilité sociale à la Fiesp, la Fédération des industries de Sao Paulo, l’organisation patronale la plus puissante du Brésil. Et ce n’est pas tout à fait un hasard si son président, Paulo Skaf, se présente aux élections régionales sous l’étiquette… du Parti socialiste. Dans le même temps, les salaires sont revalorisés, dopant la consommation des ménages. Comme « jamais auparavant dans l’histoire de ce pays », une des expressions favorites de Lula, dans les usines et les bureaux, on négocie mutuelle, prévoyance, alimentation, gymnastique…

Faute de règles encadrant la démocratie syndicale, on peut être délégué de père en fils…

Un corpus de règles. Mais le système est très rigide. Sorte de Code du travail à la française, la Consolidation des lois du travail, en cours de rédaction, a pour finalité de réunir tous les programmes dans un corpus de règles, pour les pérenniser et les rendre plus accessibles. Le hic, c’est qu’elle fige aussi le champ de la négociation. Impossible, par exemple, de parler exonérations de charges patronales. « Les négociations doivent traduire un vrai avantage social », complète la représentante patronale.

Rigide, aussi, le système de représentativité. Si Lula a donné davantage de pouvoir aux centrales syndicales, il n’a pas touché à leur fonctionnement complètement archaïque. La liberté syndicale n’existe pas au Brésil. Chaque employeur et chaque salarié adhère à une organisation unique qui dépend du secteur d’activité et du lieu d’implantation de l’entreprise. Depuis 1943, date de la création de cet impôt syndical, les six centrales interprofessionnelles se sont réparties le gâteau. En mars, les travailleurs brésiliens leur reversent l’équivalent d’une journée de travail. Soit, pour 2010, une collecte de 140 millions de réis – 61 millions d’euros. De quoi entretenir des rentes de situation… Ceux qui le souhaitent peuvent en plus adhérer à un autre syndicat.

Chez Renault, les 5 000 salariés sont membres du Syndicat de la métallurgie de la région métropolitaine de Curitiba, qui appartient à Force syndicale, deuxième organisation du pays. Qui négocie aussi avec Volskwagen et Volvo, situés à quelques encablures… Un vrai monopole ! « Il n’y a qu’un joueur et on n’a pas le choix, regrette Ana Paula Camargo, DRH de Renault Brésil. Or la concurrence peut être saine, le système devrait être assoupli pour accroître leur légitimité. » Pour régler la vie de l’entreprise au quotidien (horaires aménagés lors de la Coupe du monde de foot, par exemple), elle rencontre ses cinq délégués. Et, pour les gros dossiers tels que les salaires, elle ouvre des « campagnes », rounds de négociation. Chez Renault, les représentants sont élus pour quatre ans. Ailleurs, ça peut être pour huit ans. Il n’y a aucune règle encadrant la démocratie syndicale. Les mandats n’étant pas limités, on peut être délégué de père en fils… Isolée sur ce sujet, la CUT propose que des élections aient lieu tous les trois ans, avec la possibilité de se présenter deux fois seulement.

Si l’élection de Lula a fait taire les mouvements sociaux, la croissance – 7 % en 2010 – les a rallumés. Les salariés de Carrefour, BASF, Sanofi…, réclament leur part du gâteau. À Curitiba, Renault a essuyé une grève de douze jours à Noël et a dû lâcher une augmentation générale de 9,38 % (avec 4,5 % d’inflation). Dans les favelas de Sao Paulo ou de Rio, on espère bien profiter du boom économique. Avec ou sans les syndicats.

Artur Henrique da Silva Santos Président de la Central unica dos trabalhadores (CUT), premier syndicat du Brésil avec 7 millions d’adhérents, 20 millions de salariés représentés et 3427 syndicats associés.
« L’impôt syndical est absurde »

Quel bilan tirez-vous de ? la politique sociale du président Lula ?

Son élection en 2002 a renforcé notre rôle. Après la manifestation ouvrière de décembre 2003, des négociations ont été ouvertes sur la revalorisation du salaire minimum, qui concerne 43 millions de personnes. L’accord garantit un réajustement par rapport à l’inflation et à la croissance du PIB jusqu’en 2023. Grâce aux programmes publics, 30 % de la population qui vivait dans la misère a atteint la classe moyenne. Plus de 12 millions d’emplois ont été créés en huit ans. Ce sont des créations nettes, mais aussi de la formalisation de travail informel. Pour nous, il était hors de question que la croissance ne soit pas synonyme de progrès social.

À qui la CUT apporte-t-elle son soutien pour la présidentielle ?

En mai, nous avons adopté une résolution dans laquelle nous refusons le retour à une politique libérale prônée par José Serra, ex-ministre de Cardoso. Nous avons rédigé une plate-forme de 200 propositions autour de la reconnaissance du travail décent (interdiction des licenciements sans cause, développement des négociations collectives…), du renforcement du marché du travail et de la distribution des richesses. Le candidat qui peut le mieux répondre à nos revendications, c’est Dilma Rousseff, la chef de cabinet de Lula.

Lula étant un ancien président de la CUT, la presse vous accuse d’être le syndicat du gouvernement…

Ceux qui ont organisé le plus de grèves durant les mandats de Lula, ce sont des syndicats affiliés à la CUT. Nous manifestons dans l’intérêt des salariés. Mais nous n’avons pas honte de défendre des politiques qui nous paraissent justes et favorables aux travailleurs.

En fait, vous êtes plutôt réformiste…

La CGT et la CFDT nous ont aidés à construire la CUT en 1983. Mais chez nous, il y a plutôt deux visions du syndicalisme. Ceux qui défendent la liberté syndicale et l’autonomie. Et ceux qui prônent le statu quo. L’impôt syndical qui finance les centrales est absurde. Les salariés doivent avoir le choix de décider à qui ils font confiance. Mais nous sommes les seuls à être contre.

Enviez-vous le dialogue social à la française ?

Nous aimerions avoir des négociations professionnelles par branche et déclinées par région. Ici, elles sont décentralisées au niveau de l’entreprise. Je suis aussi favorable à une obligation, inscrite dans la loi, de négocier avant l’adoption de toute loi sociale.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi