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Idées

Comment améliorer la prise en compte de la pénibilité dans la réforme des retraites ?

Idées | Débat | publié le : 01.09.2010 |

Le gouvernement s’est déclaré ouvert à une amélioration du projet de loi portant réforme des retraites. Celui-ci prévoit que tout salarié présentant un taux d’incapacité d’au moins 20 % résultant d’une usure physique avérée pourra prétendre à une retraite à taux plein à 60 ans.

Anne Jolivet Chercheuse à l’Ires

Tel qu’il se présente, le volet pénibilité de la réforme repose sur le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue issu de la réforme des retraites de 2003 et sur celui de la « pénibilité » dans le cadre de l’actuelle réforme des retraites. La retraite anticipée pour carrière longue n’apprécie la pénibilité que de façon très indirecte, comme le faisaient diverses mesures de cessation anticipée d’activité. Elle suppose que l’usure liée au travail soit corrélée à la durée d’activité et, en l’occurrence, à une longue durée d’activité. Elle ne prend pas en compte les conditions réelles de travail au cours de la vie professionnelle. Le dispositif « pénibilité » est, quant à lui, très limité : seuls en bénéficieront les salariés dont l’état de santé est très dégradé compte tenu du seuil d’incapacité retenu. Il s’agit en fait d’une extension de la retraite pour invalidité. C’est donc un dis­positif purement individuel, fondé sur des pathologies avérées et qui ne prévoit aucun mécanisme incitant à la prévention.

Les départs liés à l’usure doivent être pris en charge, mais ils existent bien avant 60 ans. Cependant, ils ne traitent pas la question des différences d’espérance de vie en bonne santé. Certaines contraintes et nuisances, rencontrées tout au long de la vie professionnelle, ont des effets potentiels sur la longévité et sur la santé au grand âge, donc sur la durée et la qualité de la retraite. C’est ce qui peut justifier des départs anticipés à titre de compensation. L’exemple de l’amiante est particulièrement éclairant : pour des pathologies qui n’apparaissent qu’avec retard, voire après la retraite, est-il justifié de traiter différemment les personnes exposées aux mêmes risques ?

Le caractère individuel du dispositif est un réel obstacle à une réflexion sur les conditions de travail. Des accords d’entreprise existent, preuve qu’il est possible de définir collectivement des expositions dommageables et des modes de compensation qui peuvent combiner départ anticipé, réduction du temps de travail et amélioration des conditions de travail. Il est au moins possible de se concentrer sur les conditions de travail dont les effets sur la santé sont indiscutables. C’est ce que faisait le dispositif de retraite en raison de l’exposition à certaines conditions de travail créé en 1975. Enfin, l’absence de réelle incitation à la prévention est particulièrement problématique dans un contexte d’allongement de la durée d’assurance.

Thierry Debrand Chercheur à l’Irdes

La première des questions auxquelles nous devrions répondre est : est-il normal de prendre en compte la pénibilité dans une réforme des retraites ? La France est l’un des pays où les inégalités sur le plan de la santé sont les plus importantes. L’une des conséquences est une différence de plusieurs années d’espérance de vie selon les professions et le genre. Mais il est possible de se demander si c’est au régime de retraite de considérer cet état de fait. Ne serait-il pas plus optimal d’améliorer les systèmes de sortie de l’emploi pour raisons de santé ? En effet, le financement d’un tel dispositif par la branche maladie, voire l’AT/MP, serait plus équitable que par la branche retraite. De plus, l’évaluation de la pénibilité dans le calcul de la date du départ à la retraite ne pourra être que déresponsabilisante pour les entreprises. Elles ne seront pas incitées à améliorer les conditions de travail si leurs salariés seniors partent beaucoup plus tôt à la retraite. Le gouvernement reconnaît que « la pénibilité doit être prise en compte au moment du départ à la retraite, mais elle doit également être réduite dans les années qui viennent ».

Pour une réforme à long terme, l’accent devrait être mis sur la prévention en survalorisant les trimestres en emploi pénible et en incitant financièrement les entreprises à avoir des politiques vertueuses en termes de conditions de travail. Au contraire, le système proposé est de lier certains avantages à la notion d’incapacité. Cela ne concernerait que les effets présents sur la santé. Un dispositif de bonification individuelle lié aux conditions de travail associé à un système incitatif pour les entreprises facilitant une meilleure gestion des ressources humaines pourrait être une réponse à mes premières critiques. Mais comment apprécier la pénibilité, qui est une suite de conséquences de la relation entre un individu et son emploi ? Il est possible de déterminer des conditions de travail nocives pour la santé : charges physiques, travail de nuit… Il est beaucoup plus difficile de prendre en considération les risques psychosociaux, qui peuvent être autant délétères que les risques physiques. Même si un contrôle médical peut toujours être sujet à des inégalités de traitement, le regard d’un médecin du travail indépendant pourrait être un élément important pour une prise en compte de la pénibilité dans une réforme des retraites plus équitable.

Anne-Françoise Molinié Chercheuse au Creapt

Pour répondre à cette question, il faut distinguer dif­férentes facettes de la pénibilité qui ne renvoient ni aux mêmes préoccupations ni aux mêmes liens avec les systèmes de retraite. Le premier type de pénibilité est lié à des expositions, rencontrées tout au long de la vie professionnelle, qui ont des effets potentiels sur la longévité ou la qualité de la vie à la retraite. Elles sont bien identifiées dans trois domaines : l’exposition aux produits toxiques cancérogènes ; le travail de nuit avec ses effets à long terme sur le système cardio-vasculaire ; les grands efforts physiques par leurs ­effets sur l’état des articulations au grand âge. On peut trouver légitime, dans une perspective d’équité, de « compenser » par une retraite plus précoce des inégalités d’espérance de vie partiellement attribuables au travail. Il faudrait alors combiner un cadre légal commun définissant les critères retenus, des déclinaisons spécifiques à des niveaux plus fins et des modalités pour apprécier la diversité des parcours professionnels.

Le second volet, qui correspond à l’acception courante du terme « pénibilité », c’est tout ce qui fait que l’on « éprouve » son travail comme difficile à vivre, alors même que l’horizon de la fin professionnelle s’éloigne : l’urgence dans le travail, le bouleversement des collectifs, les changements permanents n’accordant pas de place à l’expérience, etc. Pour ce second type de pénibilité, il serait dif­ficile de penser en termes de « compensation » par un départ anticipé. C’est avant tout une question de prévention, de transformation des conditions et de l’organisation du travail ; en essayant d’aboutir à ce que les préoccupations autour du travail des « seniors » ne se traduisent pas par un report des pénibilités sur les plus jeunes.

Enfin, il y a des problèmes de santé, liés ou non au travail, souvent plus fréquents avec l’âge, qui font que certains se retrouvent en grande difficulté. Le recul de l’âge de la retraite et les accès plus restreints à des sorties anticipées risquent d’augmenter le nombre de personnes concernées et d’accroître la précarité de leur situation. Ce dernier type de pénibilité relève des dispositifs d’inaptitude, d’invalidité, qui doivent sans doute être améliorés ; mais on peut aussi envisager des réaménagements de postes, des reconversions – ce qui sous-entend des politiques de formation tout au long de la vie. Dans tous les cas, on voit bien qu’il s’agit avant tout de remettre la question du travail au cœur de la réflexion sur les retraites.