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Les mal-aimés de l’emploi

Enquête | Jeunes | publié le : 01.09.2010 | Stéphane Béchaux

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Les mal-aimés de l’emploi

Crédit photo Stéphane Béchaux

Mauvaise pioche pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Chômage au zénith, salaires en berne, déqualification à l’embauche… Les perspectives sont très moroses. Mais la crise économique n’explique pas tout.

Vive l’école ! En cette rentrée, les jeunes encore en formation ne connaissent pas leur bonheur. Celui d’échapper – provisoirement au moins – aux affres de leurs congénères qui tentent d’intégrer le marché du travail. Une belle galère. Au cours des deux dernières années, le taux de chômage des jeunes a grimpé en flèche, en particulier chez les hommes, pour flirter avec la barre des 25 %. Un record historique. « La crise est un bon révélateur de la position très particulière des jeunes sur le marché du travail. Plus d’un tiers des moins de 29 ans sont en CDD ou en intérim. Résultat, leur taux d’emploi sur réagit aux cycles économiques », analyse Florence Lefresne, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales.

Des chiffres à manier avec prudence. Un taux de chômage de 25 % chez les jeunes ne signifie nullement que le quart d’entre eux cherche effectivement du travail. Et pas davantage que les autres en ont. Par définition, les 15-24 ans en études ne rentrent pas, exception faite des apprentis, dans la catégorie des actifs. Si l’on prend en compte toute la population des 15-24 ans, y compris ceux qui étudient, leur taux de chômage est trois fois moindre et s’affiche, dans l’Hexagone, à 8,6 %. Un résultat médiocre, mais assez similaire à ceux observés dans les autres pays de l’OCDE.

Pas de quoi plastronner, néanmoins. Car rien ne laisse présager une reprise de l’activité. « Cette récession très brutale menace d’être longue. Aucun indicateur ne permet d’entrevoir une baisse du chômage à court terme, au moins jusqu’à la mi-2011 », prévient Jacques Freyssinet, président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi. Pour les nouveaux venus, le chemin vers l’emploi stable s’annonce donc long et tortueux, parsemé de stages à rallonge pour les uns, de contrats aidés pour les autres. Avec des conséquences durables, si l’on en croit le Centre d’études et de recherches sur les qualifications, qui scrute depuis près de quinze ans les premières années de vie active des jeunes Français. Verdict : leurs capacités d’insertion dans l’emploi stable, à trois ou cinq ans, varient fortement selon leur date d’entrée sur le marché du travail. « Dans les périodes de creux, les jeunes se montrent moins exigeants sur la rémunération et la qualification du poste. Et quand la conjoncture s’améliore, ils subissent la concurrence des nouveaux arrivants, tout frais, qui n’ont pas tourné en rond en alternant chômage et CDD », décrypte Jean-Louis Dayan, du Centre d’analyse stratégique. Déprimant, à l’heure de l’allongement de la vie active !

Comble de malchance, ces stigmates ne s’effacent pas avec le temps. « Tous les travaux de recherche, au niveau international, montrent que ceux qui entrent sur le marché du travail dans un moment de crise acceptent des salaires moindres. Et que cet effet négatif dure toute leur vie », indique Francis Kramarz, membre du Centre de recherche en économie et statistique. Des constats qui préoccupent l’ensemble des pays riches. Un forum international sur l’emploi des jeunes, organisé par le ministère du Travail norvégien et l’OCDE, se tiendra ainsi à Oslo fin septembre. « On y discutera des mesures que les gouvernements doivent prendre pour améliorer les perspectives d’emploi des jeunes. De telle sorte que ceux-ci ne pâtissent pas, notamment, des plans d’austérité », explique Anne Sonnet, responsable du projet sur les jeunes à la division de l’analyse et des politiques de l’emploi de l’OCDE.

La mauvaise conjoncture ne saurait tenir lieu d’excuse aux difficultés d’insertion des jeunes. En période de prospérité, aussi, les obstacles demeurent. En France, voilà plus de trente ans que les gouvernements se battent contre ce fléau. Premier à dégainer, Raymond Barre. En 1977, le Premier ministre lance ses « pactes pour l’emploi des jeunes » à base d’exonérations de charges à l’embauche dans le secteur marchand. Une idée reprise, en 1991, par Édith Cresson avec ses « exos jeunes ». Puis abandonnée, à partir de 1993, pour cause de généralisation des allégements de charges. Des dispositifs diversement appréciés des experts. « Les politiques de baisses de charges sont les seules qui marchent », approuve Francis Kramarz. « Dans le secteur marchand, le déterminant du recrutement reste le carnet de commandes. Les aides à l’embauche conduisent à des effets d’aubaine massifs », rétorque Florence Lefresne. Impossible, selon elle, de compter sur les 50 000 contrats initiative emploi signés en 2009 pour amortir les effets de la crise.

Amortisseur social. Autre classique des politiques d’emploi « à la française », les contrats aidés dans le secteur non marchand. Travaux d’utilité collective, contrats emploi-solidarité, emplois jeunes, contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE)… À chaque gouvernement son dispositif de traitement social du chômage. Mais si les appellations changent, les faiblesses demeurent. « En période de crise, ces contrats jouent un rôle d’amortisseur social. Ils évitent aux jeunes de se désocialiser. Mais, sauf acquisition d’une véritable qualification, leurs effets à moyen et long terme sont nuls. Ils ne permettent pas d’accéder à l’emploi durable », assène Jacques Freyssinet. Le doublement du nombre de CAE conclus en 2009 par rapport à 2008 (62 363 contre 29 190) ne laisse, à terme, rien présager de bon pour les courbes du chômage. Pas plus que le lancement du RSA jeunes, ce mois-ci, ne devrait infléchir la tendance. Ces politiques publiques échouent à soigner les principales victimes du chômage. Premières d’entre elles, les non-qualifiés, ces 130 000 jeunes par classes d’âge (18 % des troupes) qui achèvent leurs études sans diplôme du second cycle du secondaire. « En France, tout se joue à l’école. Il n’y a pas de véritable seconde chance. Les entreprises se sont fermées aux non-qualifiés », note Jean-Louis Dayan. Dans les banques ou l’assurance, l’ascenseur social ne fonctionne plus. Idem dans le BTP ou l’industrie, où la technicité des métiers permet difficilement d’entrer par la petite porte.

Conséquence, au bout de trois ans d’activité, le taux de chômage des non-qualifiés reste quatre fois plus élevé que celui des diplômés du supérieur. Des « laissés-pour-compte », selon la terminologie de l’OCDE, qui constituent 11 % des 15-24 ans dans l’Hexagone. « Ces jeunes qui cumulent les handicaps proviennent surtout des zones rurales et des quartiers urbains sensibles. Mais on les retrouve dans tous les pays de l’OCDE, dans des proportions analogues », observe Anne Sonnet. La spécificité française tiendrait plutôt dans la surreprésentation des « débutants en mal d’insertion », des jeunes dont les diplômes ne sont pas valorisés sur le marché du travail. « La fac spécialise trop vite. Ça n’a aucun sens. Notre système est trop élitiste. Il sélectionne les meilleurs et laisse tomber tous les autres », déplore Francis Kramarz.

Ces faiblesses plaident pour la montée en puissance de l’alternance. Pas simple en période de récession. Malgré les injonctions gouvernementales, le nombre de contrats en cours fin 2009 plafonnait à 600 000, bien loin des 800 000 escomptés. L’effort est pourtant notable : 40 % de plus qu’en 1987, quand la loi Séguin a ouvert l’apprentissage au-delà du niveau V (CAP et BEP). Un essor à coups d’aides pécuniaires qui a surtout profité… aux jeunes qualifiés. « Les pouvoirs publics devraient fixer des quotas. Par exemple que 50 % des contrats aillent à des jeunes sans diplôme », souligne Anne Sonnet. « Un apprenti ne coûte vraiment pas cher. Mais encore faudrait-il, en contrepartie, que sa formation soit de qualité. Or c’est loin d’être toujours le cas dans les CFA. Et c’est bien pire encore dans les entreprises », complète Jean-Louis Dayan. Gare, une fois de plus, aux effets d’aubaine !

Auteur

  • Stéphane Béchaux