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Une réforme encore trop floue

Dossier | publié le : 01.09.2010 | S. G.

En instituant un continuum de formation quelle que soit la situation professionnelle du salarié, la réforme est plus novatrice qu’il n’y paraît. Mais, sur le terrain, sa mise en œuvre reste complexe.

Digérer une nouvelle réforme de la formation professionnelle cinq ans seulement après la révolution du 4 mai 2004 : on ne peut pas dire que les entreprises étaient demandeuses. A fortiori quand elles se sont rendu compte que la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie visait en particulier à ponctionner des fonds pour financer la formation des publics les moins qualifiés. Il faut bien reconnaître que cette ponction de 13 %, qui alimente le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), tombe au pire moment : face à la crise, 33 % des entreprises prévoient de réduire leur budget de formation, 50 % de le maintenir et 17 % seulement de l’augmenter*.

Les entreprises semblent toutefois décidées à faire contre mauvaise fortune bon cœur : « Former et donner le goût d’apprendre à ceux qui ont toujours été les parents pauvres de la formation est une excellente chose », estime Gérald Lefèvre, responsable formation de Sade (filiale de Veolia Eau, 9 000 salariés) et président du Groupement des acteurs et responsables de la formation (Garf). Ajoutant que les entreprises ont encore trop souvent tendance à « privilégier la formation des cadres et des Etam ».

Chargée des formations s’adressant aux formateurs et aux responsables formation pour le groupe Cegos, Mathilde Bourdat a organisé un cycle de webconférences pour décrypter les enjeux et les principes de la réforme. Son sentiment : « Les entreprises n’ont rien contre le fait de financer la formation des demandeurs d’emploi ou des publics les moins qualifiés. Mais elles aimeraient avoir un peu plus de visibilité sur la façon dont ces fonds sont ­gérés. » La preuve : « En théorie, une en­treprise peut récupérer des fonds pour financer la formation de ses personnels les moins qualifiés. En pratique, les dossiers sont si difficiles à monter qu’elles préfèrent renoncer : à quoi bon passer cinquante heures à monter un dossier pour obtenir une aide de 5 000 euros ! Je suis convaincue que la quasi-totalité des fonds va revenir à Pôle emploi et à l’Afpa. » De plus, toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne : « Les possibilités de financement par le FPSPP sont très variables d’une branche à l’autre, confirme Gérald Lefèvre. Pour les activités à faible niveau de qualification, telles que la propreté, le BTP, l’hôtellerie-restauration, les entreprises peuvent nourrir quelques espoirs. » En revanche, celles ayant recours à une main-d’œuvre très qualifiée n’ont aucune chance d’obtenir une contrepartie à leur contribution au FPSPP.

Une ponction de 13 %. Christelle Crimetz ne se fait aucune illusion. Responsable formation d’Assystem France, une entreprise de services en ingénierie industrielle qui compte plus de 50 % d’ingénieurs et de techniciens qualifiés parmi ses 5 000 salariés, elle sait qu’elle n’a pas la moindre chance d’obtenir des financements du FPSPP. « En revanche, nous sentons passer la ponction de 13 % ! En ce moment, notre Opca (le Fafiec) refuse toutes nos demandes de financement. Depuis le mois de juin, plus aucune période de professionnalisation ne peut être prise en charge car le budget est épuisé. » Elle se garde toutefois de critiquer la philosophie de la réforme : « Au contraire, il me semble essentiel de former les demandeurs d’emploi. Mais je trouve dommage de financer des formations a posteriori, quand les salariés sont déjà au chômage, alors qu’il faudrait davantage accompagner les entreprises dans le repositionnement de leurs personnels menacés. »

De ce point de vue, Christelle Crimetz apprécie particulièrement certains dispositifs. Notamment le CIF hors temps de travail : « Nous avons régu­lièrement des demandes de techniciens qui souhaitent suivre des cours du soir au Cnam pour devenir ingénieurs. Auparavant, je ne savais comment répondre à leur demande. » Elle est également fa­vorable au principe du passeport orientation formation, « même si je ne sais pas encore comment le mettre en place ». Et c’est l’une des principales difficultés de cette réforme : « Nous manquons d’informations pour déployer certains dispositifs, se plaint Christelle Crimetz. Il faudrait encore des décrets d’application. Quelques décrets déjà parus sont trop flous. Or les Opca, noyés dans leurs problématiques de réorganisation, peinent à nous accompagner. »

Exemple concret de ces zones d’ombre : la portabilité du DIF. En cas de rupture de contrat, le certificat de travail et la lettre de licenciement remis au salarié doivent impérativement préciser que son DIF continue à courir pendant le préavis et qu’il peut profiter de cette période pour l’actionner. « Que faire si le salarié est licencié pour faute grave, donc sans préavis ? » demande Christelle Crimetz. La réponse se fait attendre… « Il existe effectivement différentes situations dans lesquelles nous nous sentons borderline », avoue le directeur de la formation d’un grand groupe bancaire… qui préfère rester évasif quant à la nature de ces situations. « Je ne voudrais pas attirer l’attention des contrôleurs avant que nous ayons trouvé une solution. » Ces cas de figure restent toutefois ponctuels et marginaux. Mais, en neuf mois (la loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2010), ils auraient tout de même pu être réglés.

La mise en œuvre de la réforme a suscité quelques surprises : les difficultés ne sont pas venues de là où on les attendait ! Revenons à la portabilité du DIF, qui a fait figure d’épouvantail tant elle a effrayé les entreprises. « Elle est pourtant relativement facile à mettre en œuvre, observe Mathilde Bourdat. Il suffit d’inscrire le reliquat d’heures de formation acquises au titre du DIF sur le certificat de travail du salarié. » De plus, elle engage peu les entreprises intégrant des collaborateurs : d’abord parce qu’un nouvel embauché prend rarement le risque d’actionner son DIF dès son entrée en fonction. Et s’il le fait, il doit être prêt à mettre la main à la poche : la prise en charge de l’Opca n’excède pas ? 9,15 euros par heure de formation.

Les salariés ont vite compris qu’ils avaient intérêt à ? liquider leur DIF avant de quitter leur précédent poste, notamment durant leur période de préavis. « Dans ce cas, on a vraiment l’impression de financer de la formation en pure perte », soupire Gérald Lefèvre, qui reste malgré tout enthousiaste à l’égard de la philosophie de la réforme. « En ­instituant un continuum de formation quelle que soit la situation professionnelle du salarié, elle est beaucoup plus novatrice qu’on ne veut bien le dire. De surcroît, la création d’un poste de délégué interministériel à l’orientation, le renforcement de l’alternance et la notion de professionnalisation tout au long de la vie (y compris durant les périodes de chômage) me semblent être des signaux très forts. » Mathilde Bourdat est plus circonspecte : « Parler de sécurisation des parcours professionnels est une ­excellente chose. Mais les dispositifs pro­posés ne me paraissent pas à la hauteur : peut-on réellement compter sur un DIF financé à hauteur de 9,15 euros l’heure pour sécuriser un parcours professionnel ? »

Mais ce que les responsables de formation retiennent en priorité de cette réforme, c’est l’occasion manquée de simplifier la gestion administrative de ce budget : « Dans mon équipe de cinq personnes, je suis le seul à pouvoir m’occuper de fond, c’est-à-dire d’ingénierie pédagogique, explique Gérald Lefèvre. La gestion administrative et financière de la formation est si chronophage qu’elle mobilise mes quatre collaborateurs. » De ce point de vue, la simplification des plans de formation n’est qu’un écran de fumée : « Passer de quatre catégories à seulement deux (“adaptation au poste de travail” et “développement des compétences”) ne change finalement pas grand-chose », observe Mathilde Bourdat. Ajoutant toutefois que « la complexité induite par cette nouvelle réforme affecte davantage les Opca que les entreprises ».

Foncièrement optimiste, Gérald Lefèvre voit dans cette réforme une chance pour la fonction formation : « Nous sommes de plus en plus incontournables ! Parce que la gestion de la formation devient si complexe que personne d’autre ne peut s’en occuper. Mais aussi parce que nous avons désormais une vraie mission de conseil dans la gestion des carrières et des parcours professionnels. » À voir…

Dans mon équipe, je suis le seul à pouvoir m’occuper d’ingénierie pédagogique. La gestion administrative et financière est si chronophage qu’elle mobilise mes quatre collaborateurs.

Gérald Lefèvre, responsable de formation de Sade

Nous manquons d’informations pour déployer certains dispositifs. Il faudrait encore des décrets d’application. Quelques décrets déjà parus sont trop flous.

Christelle Crimetz, responsable de formation d’Assystem France

* Enquête réalisée par Opcalia Ile-de-France et Tendance RH du 15 février au 20 mai 2010 auprès des DRH et responsables formation de 200 entreprises franciliennes de toutes tailles et tous secteurs d’activité.

Auteur

  • S. G.

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