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L’État reprend la main

Dossier | publié le : 01.09.2010 | Sarah Delattre, Sabine Germain

Entre nouveau fonds paritaire et encadrement serré des Opca, la réforme adoptée fin 2009 met sous contrôle la gestion de la formation professionnelle et ébranle sérieusement le paritarisme.

La gestion paritaire de la formation professionnelle est-elle en danger ? Avec la réforme engagée par la loi du 24 novembre 2009, la question de sa mise sous tutelle mérited’êtreposée.? Car l’État cherche clairement, à travers la création du nouveau Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), la signature de conventions d’objectifs et de moyens avec les Opca, la baisse de leurs frais de gestion et leur concentration programmée, à prendre la main sur la formation continue. Un secteur qui pèse 28 milliards d’euros, dont 6 milliards directement collectés par les Opca. La tentation est somme toute légitime en temps de ­rigueur budgétaire et de croissance du chômage. « Les périodes de crise favorisent les réflexes jacobins et une centrali­sation des pouvoirs qui dépassent le champ de la formation professionnelle. Il suffit de se rappeler la fusion de l’Unedic, paritaire, et de l’ANPE au sein de Pôle emploi, constate Jean-Pierre Willems, consultant en RH chez Demos. Dans la formation professionnelle, les partenaires sociaux sont en partie fautifs. S’ils avaient été moins opaques, s’ils avaient évalué leurs actions, ils auraient tué dans l’œuf les critiques dont ils font régulièrement l’objet. À mes yeux, ils ont aussi perdu l’occasion d’une plus grande autonomie en 2008, lorsque la ministre de l’Économie Christine Lagarde a proposé de supprimer l’obligation légale de formation au profit d’un régime plus conventionnel. »

Mais les erreurs tactiques du passé ne se rattrapent plus. Aujourd’hui, le nouveau fonds paritaire, le FPSPP, donne lieu à une passe d’armes entre l’État et les partenaires sociaux. Succédant au Fonds unique de péréquation, il a vocation à former chaque année 500 000 salariés supplémentaires parmi les moins qualifiés et 200 000 demandeurs d’emploi de plus. Alimenté en 2010 à hauteur de 13 % de la collecte obligatoire des Opca, il dispose d’un budget de plus de 800 millions d’euros. En juillet dernier, les organisations syndicales ont dénoncé l’intention de Bercy de ponctionner une partie de ses excédents, qui s’élèveraient, selon eux, à 300 millions d’euros. Pourtant, une convention-cadre triennale signée en mars avec l’État définissait, notamment, les règles d’affectation, les publics visés et les actions éligibles. En 2009, déjà, les partenaires sociaux avaient peu goûté la pression exercée par l’État et l’absence de latitude laissée aux branches pour fixer les modalités de financement. Après une tentative des pouvoirs publics d’être codécideurs, ils avaient réussi à sauver la mise. Même si l’État est représenté au sein du conseil d’administration, le Medef, en la personne de Francis da Costa, en assure la présidence ; la CGT, avec Djamel Teskouk, la vice-présidence.

Les Opca, décriés à longueur de rapports pour leur opacité et leur manque de rigueur dans leur gestion, sont aussi au cœur de la réforme. Dorénavant, leur agrément est conditionné par huit critères, parmi lesquels leur capacité financière, fixée en principe par décret à 100 millions d’euros, la cohérence de leur champ d’intervention géographique et professionnel ou interprofessionnel, leur mode de gestion paritaire, leur aptitude à assurer des services de proximité au bénéfice des TPE-PME, etc. « Si l’on comprend que les exigences de capacité financière, de performance de gestion, de transparence et de capacité à rendre des services puissent faire l’objet d’un contrôle de la part des pouvoirs publics en raison de la nature fiscale des sommes en jeu […], au nom de quel principe l’administration peut-elle décider que le champ conventionnel ainsi tracé est nul et non avenu ? » s’interrogent les consultants Jean-Marie Luttringer et Jean-Pierre Willems dans une chronique parue en avril pour l’AEF. Un décret devrait par ailleurs diminuer drastiquement leurs frais de gestion, situés actuellement entre 9,9 % et 11,9 %, pour les ramener dans une fourchette de 6 à 8 %, en y intégrant des frais qui concerneraient les observatoires et les études.

Convention d’objectifs et de moyens. Cerise sur le gâteau, une partie variable de ces frais serait soumise à la conclusion de conventions triennales d’objectifs et de moyens signées avec l’État. Lesquelles auront comme objet de « définir la part des ressources que les Opca peuvent affecter au cofinancement d’actions en faveur de la formation professionnelle et du développement des compétences des salariés et des demandeurs d’emploi ». Les premières conventions passées avec les Opca qui collectent plus de 100 millions devraient entrer en vigueur d’ici au 1er janvier 2011, le reste l’année suivante. La procédure s’inspire directement d’une évaluation réalisée par l’Inspection générale des affaires sociales* proposant d’« encadrer la mission d’intérêt général des Opca par des contrats d’objectifs et de moyens ». Ce qui « permettrait de déterminer les voies de progrès assignées à chaque organisme, pour chacune des missions fixées par le législateur, en contrepartie de la possibilité de percevoir les fonds provenant de la contribution des entreprises ». L’occasion pour l’État « de créer un régime d’autorisation de dépenses en fonction d’objectifs qu’il aura préalablement agréés, estiment Jean-Marie Luttringer et Jean-Pierre Willems. Par le biais de conventions d’objectifs et de moyens et l’inclusion de l’ensemble des frais dans des limites établies et contrôlées par l’État, celui-ci se dote des outils pour orienter les politiques paritaires de formation professionnelle sous peine de priver l’Opca de budgets de fonctionnement ». Paradoxalement, l’élargissement des missions des Opca, notamment en direction des petites entreprises et des chômeurs, donne plus de responsabilités à la gestion paritaire.

Dernier bastion du paritarisme avec les retraites complémentaires, la ­formation professionnelle et la gouvernance des Opca constituent un enjeu politique et financier de taille pour les partenaires sociaux : 28 millions d’euros financent ainsi organisations syndicales et patronales et contribuent à faire vivre le dialogue social. Par exemple, le Medef a reçu du Fongefor (chargé ­d’attribuer une part de la collecte aux partenaires sociaux) 8,2 millions d’euros, et les organisations de salariés 2,8 millions d’euros chacune. Des ressources non négligeables qui conditionnent parfois leur survie. « Le paritarisme dans la formation professionnelle reste un enjeu de pouvoir pour les ­organisations syndicales, juge Olivier Mériaux, consultant chez Amnyos. Une pierre angulaire qui leur donne une légitimité institutionnelle et leur permet de parler d’égal à égal avec l’État. Mais le ­paritarisme est devenu en partie un univers parallèle, avec des administrateurs déconnectés du terrain. Les syndicats de salariés ont un peu perdu de leur âme dans une forme d’aliénation institutionnelle, sans aller jusqu’au bout du syndicalisme de services. Les partenaires sociaux n’ont jamais eu de véritable vision politique des Opca. Ils se sont laissé enfermer dans un état de gestionnaires ; les techniciens, souvent proches de la partie patronale, ont pris la main. Finalement, mieux vaut moins de mandats, mieux gérés politiquement. » Dans cette optique, la diminution du nombre d’Opca pourrait renforcer le paritarisme. À moins que l’ultime but ne soit d’aboutir à un seul collecteur… S. D.

Outre leurs missions traditionnelles, le métier des Opca change : ils doivent investir le champ de l’emploi. L’État nous demande de faire plus au moment où il est question de diminuer nos frais de gestion.

Yves Hinnekint, directeur général d’Opcalia

Si l’État décide de ponctionner les ressources 2010 du Fonds paritaire, nous serons contraints d’ajuster à la baisse les programmes de formation programmés pour 2011.

Djamel Teskouk, vice-président CGT du FPSPP

* Igas, Pierre de Saintignon, Danielle Vilchien, Philippe Dole et Jérôme Guedj, Évaluation du service rendu par les organismes collecteurs agréés (Opca, Opacif & FAF), mars 2008.

Auteur

  • Sarah Delattre, Sabine Germain

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