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Politique sociale

Pour le Grand Soir, le Medef attendra

Politique sociale | publié le : 01.06.2010 | Stéphane Béchaux

Campagne atone, candidate unique… Le second mandat de Laurence Parisot à la tête du Medef ne s’annonce pas comme celui du grand chambardement. Et pourtant, la maison patronale a besoin d’une rénovation en profondeur.

La guerre de succession s’annonçait sanglante. Et les débats agités. Mais, finalement, pas le moindre clapotis. Faute d’adversaire, Laurence Parisot est assurée de rempiler pour trois ans à la présidence du Medef, le 1er juillet prochain, lors de l’assemblée générale de l’organisation patronale. Avec un score soviétique. La nouvelle en réjouit certains. En pleine crise économique, à l’heure de la très délicate réforme des retraites, le monde patronal ne pouvait s’offrir le luxe d’une guérilla fratricide. Mais elle inquiète, aussi. Car le Medef, fragilisé, a besoin d’un débat de fond sur son rôle, sa place et son fonctionnement. « Il faut qu’il y ait une campagne. Que Laurence Parisot exprime les termes du contrat sur lequel elle s’engage pour les trois prochaines années », annonce Jérôme Bédier, au nom de la grande distribution (FCD). On n’en prend pourtant pas le chemin. Blog de campagne indigent, tour de France a minima… Rien ne laisse présager une réflexion en profondeur. Trois grands chantiers attendent pourtant Laurence Parisot ou, plus probablement, son successeur.

La représentation patronale

Courageuse, Laurence Parisot ! En signant, en avril 2008, la position commune sur la représentativité syndicale, son organisation a pris le risque d’en finir avec l’émiettement syndical dont de nombreux patrons s’arrangeaient fort bien. Sauf que la présidente du Medef s’est bien gardée de balayer devant sa porte en engageant, aussi, le chantier de la représentation patronale. Un dossier sensible pour l’Avenue Bosquet qui, revendiquant de rassembler toutes les entreprises, fait constamment le grand écart entre TPE et multinationales. Au risque de fâcher la CGPME, l’UPA, les professions libérales (UNAPL) ou l’économie sociale (Usgeres), avec lesquelles les rapports sont très conflictuels. « Beaucoup de dirigeants se sentent très éloignés du Medef. Les petits patrons, qui disent « avoir le nez dans le guidon », y adhèrent très indirectement, via leur syndicat puis leur fédération. Les grands patrons ne s’y impliquent pas davantage ; ils envoient, au mieux, l’un ou l’autre de leurs dirigeants dans une commission ou une délégation de négociation », constate le sociologue Michel Offerlé.

Sous l’ère Parisot, le Medef a multiplié les commissions et comités chargés de faire phosphorer les dirigeants sur tous les grands sujets économiques et sociaux. « Il faut que les entrepreneurs s’impliquent, qu’ils prennent les décisions. Si, pour préparer une négociation, vous avez autour de la table neuf juristes et seulement un patron, il y a un problème. On a besoin d’une bonne alchimie », approuve Patrick Bernasconi, patron de la Fédération des travaux publics (FNTP). Mais, à raison de deux heures de réunion mensuelles, difficile de faire fonctionner les structures sans une armée de permanents. Un dosage délicat à trouver jusqu’au sommet de l’organisation, déstabilisé par la valse des directeurs généraux. « On a aujourd’hui une présidente qui passe 100 % de son temps au Medef. Je ne suis pas sûr que ce soit le mieux », soulignait ainsi Frédéric Saint-Geours, président de l’UIMM, lors de la convention de la métallurgie, mi-mars.

La place du dialogue social

Vingt-quatre accords conclus pour la seule année 2009 ! Au Medef, on aime additionner les textes pour vanter la vitalité du dialogue social. Quitte à mettre sur le même plan des accords techniques, des avenants et des négociations de fond. Au total, seuls deux textes ont véritablement marqué le premier mandat de Laurence Parisot : la position commune sur la représentativité syndicale et l’accord sur la modernisation du marché du travail instaurant la rupture conventionnelle. Les autres sont, eux, de plus faible portée, à l’image de l’accord sur le stress au travail : « Avec ce genre de texte, les partenaires sociaux se font plaisir. Mais qui peut croire qu’il va vraiment se passer quelque chose derrière ? » interroge le négociateur d’une grosse fédération patronale. « Sans l’appui d’un texte interprofessionnel, on aurait beaucoup de mal à caler les concepts au niveau de la branche », répond Gérard Patin, directeur des relations sociales de l’Union française des industries pétrolières.

À l’époque de la « refondation sociale », voilà dix ans, le Medef d’Ernest-Antoine Seillière et de Denis Kessler avait une vision tranchée de l’organisation du dialogue social. L’actuel patron de la Scor n’en a pas changé, plaidant toujours pour le modèle de la « pyramide inversée », privilégiant l’entreprise puis la branche et l’interprofessionnel. Une doctrine mise à mal sous l’ère Parisot, mais sans qu’émerge une nouvelle vision cohérente. En la matière, l’activisme de Nicolas Sarkozy et des pouvoirs publics a largement dicté sa conduite au Medef. Mais le trou d’air que connaît le président de la République pourrait redonner des marges de manœuvre au patronat, pour peu qu’il sache quoi en faire.

La refonte des structures
L’empilement des structures – syndicats, branches, fédérations… – rend la maison patronale bancale

Les milieux patronaux raillent les poussiéreuses centrales syndicales. Mais l’Avenue Bosquet leur ressemble sur bien des points. « Laurence Parisot prétend pouvoir diriger le Medef comme une entreprise. Ce qu’il ne sera jamais. C’est une confédération à adhésion indirecte, la dernière couche d’un mille-feuille patronal constitué à un stade très antérieur de l’économie française », note Michel Offerlé. L’empilement des structures – syndicats, branches, fédérations, Medef territoriaux – entrave le fonctionnement de la maison. « On est nombreux à penser qu’il faut revoir l’organisation du patronat. Le problème, c’est que personne ne sait vraiment comment s’y prendre », explique Geoffroy Roux de Bézieux, président de Virgin Mobile. « On a laissé se superposer des couches sans les remettre en cause. Cela va à l’inverse de ce que font les entreprises. Il faut redéfinir les responsabilités de chacun et faire en sorte qu’on aille vers un principe de guichet unique », plaide Jean-François Pilliard, délégué général de l’UIMM.

Un chantier gigantesque, mais indispensable. « Le couple représentativité-efficacité constitue le cœur du réacteur d’une organisation patronale », rappelle ainsi Jérôme Bédier. Mais rien ne laisse présager une quelconque intention de Laurence Parisot de plonger les mains dans le moteur. Au risque de donner raison aux industriels de l’agroalimentaire, qui ont claqué la porte en décemb re. Aucune autre grosse fédération ne menace pour l’instant de déserter les lieux. Mais beaucoup repensent leur fonctionnement, à l’instar des assurances. « On est en train de construire une nouvelle FFSA. Mais le Medef reste un lieu important de transversalité, une vitrine pour l’ensemble du tissu économique français », affirme Bernard Spitz, son président. Très critique envers Laurence Parisot, l’homme fort des assurances, Denis Kessler, ne dit pas le contraire. Il pourrait même briguer son poste. En 2013…

Jean-René Buisson, président de l’Ania

« On vit assez bien sans le Medef. On ne peut certes plus peser en amont sur les grands accords sociaux transversaux. Mais notre capacité d’influence était faible face à l’UIMM ou au BTP. Par ailleurs, nos intérêts ne sont pas très divergents en la matière. »

Pierre Nanterme, président de Syntec

« Quand on cotise à hauteur de 700 000 euros, il est sain de s’interroger sur l’utilité d’une telle dépense. Mais tant que le Medef négociera sur des sujets aussi majeurs que le fonctionnement du marché du travail, la formation ou la protection sociale, on fera partie du club. »

Sophie de Menthon, présidente d'Ethic

« Un État garant, oui. Gérant, non. Le Medef de Laurence Parisot est trop inféodé au pouvoir, il n’a pas trouvé la bonne distance par rapport à l’omniprésence de Nicolas Sarkozy. Résultat, le gouvernement a tout confisqué et le Medef est en retrait. Il faut qu’il se lance à l’assaut de l’opinion publique. »

Hugues-Arnaud Mayer, président du Medef Auvergne

« Les patrons de PME attendent du Medef qu’il produise une bonne doctrine et sache la faire passer dans l’opinion. Ce que Laurence Parisot fait très bien. Mais ils ne sont pas sous ses ordres ; ils sont, au contraire, ses mandants. Ce qui crée une relation particulière. »

Le Medef doit se serrer la ceinture

La crise n’épargne pas le Medef. L’année dernière, l’organisation a vu ses recettes baisser de 4,6 %, à 36 millions d’euros. Un budget très serré, compte tenu de l’étendue de ses missions. « Le Medef manque de moyens pour développer ses capacités d’expertise. Il a besoin d’être davantage structuré, avec des directions fortes », juge Patrick Bernasconi, président de la FNTP.

Une fédération qui dispose de 25 millions d’euros de budget… L’augmentation du train de vie de la maison patronale n’est pourtant pas à l’ordre du jour. Bien au contraire. Le Medef, qui a consenti des rabais à ses fédérations pour 2009 et 2010, va devoir faire face à deux coups durs : le départ de l’Ania, qui le prive de 650 000 euros de cotisation annuelle ; et le coût du licenciement de son ex-DG, Jacques Creyssel, qui, aux prud’hommes, vient d’obtenir plus de 700 000 euros d’indemnités. Lors de son premier mandat, Laurence Parisot a pris soin de choyer les Medef territoriaux. Et pour cause. Très faibles contributeurs au budget (2 millions d’euros), ils pèsent 30 % des voix au sein de l’assemblée générale. Les fédés, qui paient 10 fois plus, ne comptent que pour le double.

Auteur

  • Stéphane Béchaux