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Politique sociale

Les emplois verts manquent d’énergie

Politique sociale | publié le : 01.06.2010 | Éric Béal

Après Grenelle II, les prévisions d’emplois liés au développement durable sont revues à la baisse. Les évolutions du contexte, des politiques et des comportements seront décisives.

L’enthousiasme est douché. Aux annonces tonitruantes de créations d’emploi liées aux mesures du Grenelle de l’environnement a succédé une montée du « climato-scepticisme ». Le chef de l’État a lui-même cassé la boîte à rêves lors de sa visite au Salon de l’agriculture, en mars dernier, en lançant : « L’environnement, ça commence à bien faire. » La taxe carbone et l’écotaxe sur les poids lourds, deux mesures prévues par le Grenelle, ne sont plus d’actualité. Et l’implantation d’éoliennes a été sévèrement encadrée début mai, à l’occasion du vote de la loi Grenelle II. De quoi abaisser sensiblement les prévisions de Jean-Louis Borloo. En avril 2008, le ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer estimait à 500 000 en dix ans les emplois liés au Grenelle. En juin 2009, le Boston Consulting Group pronostiquait la création de 600 000 emplois verts sur la même durée, un résultat obtenu en divisant les 440 milliards d’euros d’investissement prévus par le Grenelle par le coût moyen d’un nouvel emploi dans les secteurs concernés. Un mois plus tard, Valérie Létard, secrétaire d’État chargée des Technologies vertes et des Négociations sur le climat, s’appuyait sur des chiffres de Pôle emploi pour espérer l’émergence de 220 000 emplois d’ici à fin 2012.

Des gisements dans les collectivités locales. Un an après, les pronostics sont plus vagues, mais l’espoir d’une multiplication des emplois verts n’est pas mort. « De nombreuses mesures ont été maintenues en dépit de l’inflexion du discours politique. Les nouvelles normes concernant l’isolation des bâtiments et les règles sur l’écoconception vont dans le bon sens. Et il reste de gros gisements d’emplois dans les collectivités locales, liés à la protection de la biodiversité et à l’incitation aux changements comportementaux », indique Gaël Virlouvet, administrateur du réseau France Nature Environnement. Optimiste malgré les restrictions apportées au Grenelle I, le défenseur de l’environnement veut croire que la France est en mouvement.

Certes, mais la transformation de l’économie française vers le développement durable et la réduction de sa consommation énergétique – vrais objectifs du Grenelle de l’environnement – supposent de réunir quelques conditions. « La création d’emplois verts dépend à la fois du maintien d’un fort volontarisme politique et de la réaction des entreprises. Elle est également très liée aux capacités budgétaires de l’État et à la nature des contraintes financières infligées aux ménages », estime Tristan Klein, contributeur d’un document de travail publié en janvier 2010 par le Centre d’analyse stratégique (« La croissance verte : quels impacts sur l’emploi et les métiers ? », voir encadré page 42). Et l’économiste de préciser que bien que le développement durable créera des emplois, il engendrera aussi des pertes dans certains secteurs. Avec le renforcement des normes d’isolation à partir de janvier 2012 et le potentiel de travaux d’économie d’énergie dans le parc immobilier existant, le secteur de la construction sera l’un des premiers contributeurs à la création de nouveaux emplois. À l’inverse, l’industrie automobile ou la production d’énergie risquent de pâtir des efforts pour promouvoir les transports en commun et baisser la consommation d’énergie.

Anciens et nouveaux métiers. Sur son site Internet, Pôle emploi consacre une page aux « métiers de la croissance verte », avec un tableau présentant « les métiers traditionnels qui intègrent de nouvelles compétences » et un autre dédié aux « métiers de l’environnement ». Parmi ces derniers, on trouve des agents d’entretien de la nature, des techniciens du génie sanitaire et environnemental, des chercheurs en botanique, hydrobiologie et zoologie. Mais aussi des postes d’accompagnateurs en écotourisme ou d’animateurs nature. Et des hydrogéologues, des agents et techniciens de réseau d’assainissement ou des agents de collecte des déchets, des ouvriers de recyclage électroménager ou des chefs d’exploitation de station d’épuration. Quant aux métiers « traditionnels impactés », ils concernent les ingénieurs en agriculture et en environnement, les techniciens d’espaces verts, les ingénieurs du BTP, les conducteurs de travaux, les maçons, les électriciens, les installateurs d’équipements sanitaires ou les conducteurs d’équipement de production chimique. En tout cas, le cabinet de chasseurs de têtes Michael Page pointe une demande de nouvelles compétences sur des postes d’encadrants, revendiquant pour l’année 2009 près de 300 recrutements de cadres confirmés.

Un des enjeux des prochaines années sera de faciliter les transitions professionnelles des salariés concernés, donc de les former aux nouvelles compétences nécessaires aux secteurs en développement. Dans un rapport intitulé « Croissance verte et emploi », le Conseil d’orientation pour l’emploi milite dans ce sens, appelant de ses vœux « un véritable plan Marshall pour la formation liée à la croissance verte ». Car le pari est davantage de former les salariés ou les demandeurs d’emploi expérimentés à l’utilisation de leurs compétences dans un contexte différent que de promouvoir les nouveaux métiers qui émergent dans le traitement des eaux, la gestion des déchets, la dépollution ou encore l’aménagementd’espaces naturels. « Un technicien de maintenance industrielle sera capable de travailler dans un parc éolien, par exemple, indique Chantal Sartorio, directrice du département industrie de l’Afpa. C’est d’ailleurs un métier dont les effectifs vont croître car l’industrie en a toujours besoin et les bâtiments modernes de plus en plus. »

Chez Bénéteau Habitat, la direction constate déjà quelques tensions sur le marché du recrutement des menuisiers en bâtiment, plaquistes ou thermiciens employés à la production et à l’assemblage des modules en bois préfabriqués destinés à la construction de ses maisons à ossature bois qui « répondent parfaitement aux objectifs du Grenelle ». EADS prévoit d’utiliser les compétences de ses équipes pour fabriquer des pales d’éoliennes. De son côté, Solaire Direct, une filiale française d’un producteur allemand de panneaux solaires, forme des mécaniciens, des électriciens ou des couvreurs qui deviendront les installateurs de ses produits.

Les entreprises prennent des initiatives mais, aux yeux de Jean-Pierre Sotura, Monsieur Développement durable à la CGT, la situation est insatisfaisante. « Pour organiser la formation à grande échelle, il faut une politique industrielle nationale centrée sur le développement durable et un dialogue social efficace dans les secteurs concernés, explique-t-il. Autrement, nous risquons de rater le coche faute de préparation. » En dépit des efforts de l’Afpa, qui a déjà fait évoluer son offre de formation professionnelle. Plus de 200 formations sur les 300 qu’elle propose ont été modifiées.

Les évolutions de l’emploi liées au choc environnemental ne sont pas encore limpides. « D’autant plus qu’une partie des entreprises est tentée de laisser passer l’orage en attendant des jours meilleurs », s’inquiète Jean-Pierre Bompard, chargé de ces questions à la CFDT. Coordinateur chez Syndex d’une étude sur les conséquences du Grenelle et du plan climat, Christian Duchesne fait le rapprochement avec les difficultés, à l’époque, de la sidérurgie dans l’est de la France : « Les problèmes de transition d’une économie à une autre sont rarement pris en compte dans les évaluations concernant l’emploi. » En outre, le contexte économique, les politiques publiques et les décisions des acteurs économiques peuvent varier dans les dix ans à venir. Des évolutions qui influeront, aussi, sur le volume des emplois verts.

10 000

Le nombre d’emplois revendiqués par la filière éolienne, avec 4 494 MW fin 2009*

* Source : Commissariat général au développement durable.

16 000

C’est le nombre d’emplois verts qui étaient “immédiatement disponibles”, selon Valérie Létard, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Environnement, et Pôle emploi, à la fin janvier 2010.

1 000 MW

L’objectif de puissance fixé par l’État pour la biomasse en 2010 (au lieu des 360 installés)*

* Source : Commissariat général au développement durable.

1,3 million

d’emplois du bâtiment sont concernés par les nouvelles normes de construction fin 2012*

* Source : Commissariat général au développement durable.

Trois scénarios du gris au rose

En matière d’emplois verts, le Conseil d’analyse stratégique, dans son rapport de janvier 2010, a bâti plusieurs scénarios en fonction de l’évolution de la conjoncture économique.

UNE CROISSANCE RALENTIE

Caractérisée par de fortes contraintes de crédit pour les entreprises et les ménages, une dette publique importante, une trop lente adaptation des compétences, une intensification des stratégies low cost, des externalisations et des délocalisations. Le « coût environnemental » entame la croissance. Seul le secteur de la construction est réellement pourvoyeur de nouveaux emplois.

UNE CROISSANCE MOLLE

Avec un desserrement partiel de la contrainte de crédit pour les faibles revenus, un soutien public à la R & D verte, une adaptation graduelle des compétences, une modification lente de la consommation des ménages – le coût environnemental est compensé par une hausse des qualifications – et une réalisation partielle des objectifs du Grenelle malgré des tendances identiques sur l’externalisation et la délocalisation. Le bâtiment, les énergies renouvelables et les services à la personne créent de nouveaux emplois.

UNE CROISSANCE DURABLE ET SOUTENABLE

Le soutien public à la R & D verte est important et l’adaptation rapide des compétences permet la mobilité entre secteurs d’activité. Les comportements individuels deviennent « éco-responsables », d’autant plus que les revenus augmentent sous l’impulsion de la hausse des qualifications et des économies d’énergie. Tous les objectifs du Grenelle sont atteints et de nouveaux services de proximité liés à l’économie de l’usage – réparation d’objets – voient le jour. Dans ce scénario rose, les emplois verts se développent non seulement dans les secteurs déjà signalés, mais également dans la sidérurgie, les énergies, les biens d’équipement, les transports, les services aux entreprises et aux particuliers. Seul le secteur des biens durables perd encore des emplois. Mais ce cercle vertueux est loin d’être assuré aujourd’hui.

Auteur

  • Éric Béal

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