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Politique sociale

Chérèque l’incompris

Politique sociale | publié le : 01.06.2010 | Anne Fairise

Pacifiée, la réformiste CFDT de François Chérèque a repris pied dans le jeu syndical, mais peine à se faire entendre des salariés.

On pourra dire que j’ai été réélu sous le signedes retraites. » À quelques jours du 47e congrès de la CFDT, à Tours, du 7 au 11 juin, son secrétaire général, François Chérèque, aux manettes depuis huit ans, ironisait. Au congrès de Grenoble, voici quatre ans, il avait dû défendre longuement son soutien isolé à la réforme Fillon des retraites, payé très cher, par le départ de 80 000 adhérents. À Tours, où il sera réélu pour un troisième mandat, les débats sur les retraites de la confédération réformiste sont aussi attendus : les militants arrêteront leur position, alors que l’Élysée a esquissé son projet de réforme. Acrobatique.

Mais François Chérèque aborde « serein » l’échéance. Bon présage : le calme des auditoires pendant les assemblées préparatoires organisées cinq mois durant dans les fédérations et les unions régionales. « L’organisation est complètement pacifiée et la confiance interne, restaurée. Il y a du débat, de l’analyse, mais plus d’opposition politique sur la ligne », note André Milan, responsable de la Fédération des transports, longtemps remuante.

La CFDT de Tours n’est plus celle de Grenoble. Elle a retrouvé une forte cohésion interne, à force de débats. Sur les retraites, la sécurisation des parcours professionnels, le contrat de travail…, la centrale de Belleville a poussé, partout, à la discussion, initiant un fonctionnement plus participatif. Une volonté de François Chérèque, ni grand tribun ni grand théoricien, mais responsable-militant revendiqué, aussi simple d’approche que Nicole Notat paraissait distante, qui n’hésite pas à se confronter à des assemblées difficiles. Et pousse les secrétaires de fédération et les membres de la commission exécutive à consacrer, comme lui, 20 % de leur temps à prendre le pouls de l’organisation. « Il a rétabli le calme après la tempête, qu’il avait lui-même suscitée », observe un expert des syndicats. Symptomatique, François Chérèque a élargi le bureau national (l’équivalent du Parlement) : « Cela dissout un peu le poids de la commission exécutive [gouvernement] », note un ancien.

Douze accords interprofessionnels signés depuis Grenoble. La CFDT apparaît également mieux dans ses bottes réformistes, galvanisée surtout par ses « victoires politiques » de 2008. Elle n’a pas seulement impulsé, par la politique contractuelle, des changements structurants au marché du travail ou à la représentativité syndicale. Elle y voit, au-delà, la consécration des valeurs cédétistes portées depuis… 1978 et le rapport Moreau qui appelait à une révolution culturelle – le renforcement de la négociation collective (donc l’acceptation du compromis) et l’autonomie à l’égard du politique –, seule à même de faire émerger la démocratie sociale. Gagné ! Mais est-il suffisant d’avoir eu raison, avant tout le monde, si l’on ne se fait pas entendre à l’extérieur ?

Voilà tout le dilemme de François Chérèque, au bilan peu flatteur auprès des salariés. En chute de trois points, à 21,8 %, aux élections prud’homales de 2008, la CFDT voit l’écart se creuser avec une CGT montée à 34 %. Les résultats aux élections d’entreprise ? Ils patinent. Et si la confédération de Belleville conserve la place de première centrale avec 833 108 adhérents, la progression de sa syndicalisation reste modeste, à peine mieux qu’en 2002. « La stratégie de Chérèque est comme un arbre sec : elle ne donne pas de fruits. Cela ouvre une période d’hésitations et de tâtonnements », note Pierre Héritier, ancien secrétaire national.

Un positionnement flou. Même les experts en syndicalisme hésitent sur la ligne CFDT : changement de position ne disant pas son nom ? Amorce d’un repositionnement ? Adaptation au contexte ? Chose certaine, sous Chérèque, la CFDT a repris pied dans le jeu syndical, et s’est entrouverte. « Le simple fait que Solidaires ou la CNT participent au mouvement des travailleurs sans papiers aurait découragé la CFDT, il n’y a pas si longtemps, de s’y engager », analyse un spécialiste. Mieux, la CFDT est devenue, avec la CGT, un des pivots du fameux « G8 » intersyndical né de la crise. Entre Montreuil et Belleville, la guerre froide a laissé place à la coexistence pacifique, avec son lot de compromis, réels ou de façade. Comme sur les retraites, au sujet desquelles aucune des deux organisations ne prononce un mot de travers, malgré les divergences. La réforme de la représentativité syndicale de 2008, qui a renforcé le poids des deux grands et fragilisé les autres, est passée par là. Cela fait évoluer les organisations, affirme Guy Groux, du Cevipof : « La CFDT a compris qu’elle ne pouvait plus assumer seule le réformisme mais devait défendre ses positions au sein de coalitions. Avec la CGT, qui rompt de plus en plus avec la logique contestataire, une proximité se développe. » Même si c’est avec la réformatrice Unsa que la CFDT s’autorise, depuis fin 2009, à envisager un tout petit rapprochement… Projet déjà esquissé voilà dix ans.

Plus offensive, la CFDT a également pris ses distances avec le gouvernement. Un effet de la loi Larcher de 2007, qui revalorise la négociation collective. Elle y a été contrainte aussi par le choix du conseiller social de l’Élysée, Raymond Soubie, de privilégier dans la crise les rapports avec la CGT. Restent en mémoire en outre les cuisants passages en force du gouvernement, en 2008, sur les 35 heures ou la retraite, dossiers chers à la CFDT. « Il ne s’agit pas d’opposition systématique. Mais le gouvernement politise des réformes fondamentales ; on ne peut l’accepter », explique Dominique Gillier, de la Fédération de la métallurgie. C’est un autre changement dans la continuité pour Guy Groux, qui y voit l’expression, cette fois, d’une totale autonomie à l’égard du politique. « En essayant de se situer au-delà des clivages politiciens, la CFDT a pu donner l’impression de soutenir le gouvernement, quel qu’il soit. Elle a marqué sa différence avec les partis de gauche, elle le fait aujourd’hui avec les partis de droite. »

Pas de quoi faciliter la com en direction des militants et des salariés. Même sur les acquis CFDT ! « Notre culture nous porte à “faire”, souvent dans l’ombre, plutôt qu’à “faire savoir” », déplorent les documents du 47e congrès. « Sur les plateaux télé, les badges CGT sont plus visibles que les nôtres. Les adhérents n’assument pas notre réformisme en externe. À leur décharge, il est plus difficile de parler de sécurisation des parcours que d’exiger, comme d’autres, une prime au départ », lâche François Chérèque. Refusant que la parole des salariés ne soit portée que par des syndicalistes contestataires, lui n’hésite pas à se rendre au « Grand Journal » de Canal Plus, avec à la main le blouson noir d’un salarié licencié de Continental. La complexité du positionnement réformiste n’est pas le seul écueil. Un autre est l’organisation CFDT, très hiérarchique : elle n’étaie pas assez les raisons de ses choix, explique en substance le numéro deux, Marcel Grignard, dans son rapport « Oser le changement ». Une excellente autocritique, rédigée après la claque des prud’homales, qui pose plus de questions qu’elle ne donne de réponses…

Le 47e congrès propose une évolution des pratiques de la section syndicale en créant des services aux adhérents et en réorganisant la CFDT en réseau

Sortir de l’entre-soi. Mais personne ne le nie : la campagne prud’homale n’a pas dépassé le cercle des militants. « Ces dernières années, nous avons négligé les problématiques de métiers », déplore Jean-Paul Bouchet, de la CFDT Cadres, qui a perdu la première place dans l’encadrement. « Quand on nourrit les revendications avec des enquêtes de terrain ou que l’on rend opérationnels les accords nationaux, on progresse », renchérit Philippe Perrault, secrétaire régional du Nord-Pas-de-Calais (63 000 cartes en 2009), où la sécurisation des parcours se décline dans la vente à distance.

Pour séduire les salariés, le 47e congrès propose donc une évolution des pratiques et du rôle de la section syndicale d’entreprise, en créant des services aux adhérents et en réorganisant la CFDT en réseau. Cela fait beaucoup phosphorer. « Comment prendre en compte les revendications individuelles des salariés sans tomber dans la défense individuelle ni perdre en réactivité dans la construction du revendicatif ? » s’inquiète un militant. Réponse en 2012, lorsque le bilan des expérimentations sera fait, à mi-mandat. Autre nouveauté. « Cette échéance oblige l’organisation à se mettre tout de suite au boulot », commente Laurent Berger, successeur annoncé de François Chérèque. Même si les jeux restent ouverts, avec l’entrée de Véronique Descacq à la commission exécutive (voir page 14). En tout cas, le nouveau visage de la CFDT, tel que le dessine François Chérèque, pas à pas, ne sera connu qu’après.

“Je n’ai pas terminé mon histoire avec la CFDT”

Le 47e congrès met l’accent sur le renforcement du lien avec les salariés. Vous tirez les conséquences de votre échec aux prud’homales ?

Cet échec n’a suscité aucun remous en interne. Cela m’a beaucoup interpellé, je l’ai vécu comme une culpabilisation de la maison. Nous nageons en plein paradoxe. Revalorisation de la négociation collective, autonomie à l’égard du politique…, les orientations portées depuis trente ans par la CFDT se sont imposées à tous sans que celle-ci en recueille aujourd’hui un bénéfice électoral ou en syndicalisation. C’est pourquoi j’ai demandé à Marcel Grignard, mon numéro deux, d’en tirer les leçons, en analysant nos réussites et nos difficultés. Son rapport a nourri la résolution de Tours, qui ouvre plusieurs champs de réflexion.

Lesquels ?

D’abord, sur notre place dans le paritarisme. Accaparée par ses responsabilités de gestionnaire, la CFDT a parfois oublié son rôle d’organisation productrice de droits protecteurs pour les salariés. L’épisode des « recalculés » de l’Unedic m’a profondément marqué. Interrogeons-nous sur les lieux où notre responsabilité de gestionnaires doit être légitimement assumée, sinon reprenons notre casquette revendicatrice. Autre réflexion : les pratiques qui permettront de resserrer le lien avec les salariés, via la section syndicale d’entreprise et la réorganisation de la CFDT en réseau. Nous nous donnons deux ans pour expérimenter avant d’engager le changement.

Comment jugez-vous l’état de la négociation collective ?

Avant la crise financière, il y a eu une utilisation positive de la loi Larcher sur le dialogue social : les partenaires sociaux travaillaient puis l’État entérinait l’état de la négociation par la loi. Cette pratique a abouti à plusieurs accords clés, comme celui sur la modernisation du marché du travail ou sur la représentativité. Mais le patronat n’a pas su analyser la crise ni s’y adapter. Refus de s’engager sur le partage de la valeur ajoutée, sur le dialogue social en entreprise…, il s’est replié sur lui-même, avec un discours de victime et de propriétaire. Et il a été incapable de relayer auprès de ses adhérents les accords signés depuis. Je pense aux mécanismes de chômage partiel. La mécanique est grippée depuis 2009… Mais est-ce à cause de la crise ou du défaut criant d’ingénierie sociale depuis le retrait de l’UIMM ? Un peu des deux selon moi.

La résolution de Tours appelle à structurer les coopérations avec les autres syndicats. Jusqu’où ?

La CFDT recherche une coopération renforcée avec les organisations partageant nos conceptions syndicales. Avec la CGT, nous conservons des divergences de fond sur la politique contractuelle. Certes, depuis deux ans, elle évolue en accéléré mais au prix de violents clivages internes. Ceux-ci fixent des limites : je ne peux pas me rendre au congrès CGT. Deux syndicats ont des conceptions proches des nôtres : la CFTC, pour qui nous avons très peur depuis la réforme de la représentativité, et l’Unsa, avec qui nos relations sont revenues à un étiage normal. Mais je ne crois plus à un rapprochement par le haut. Laissons les choses se faire : plus nous confronterons, plus nous nous entendrons.

Vous avez évoqué plusieurs fois votre départ à 55 ans. Vous en avez 54…

J’ai refusé de prendre la présidence, en janvier 2011, de la Confédération européenne des syndicats. Ce n’est pas pour partir en 2012, lors de l’assemblée qui engagera le changement. Je n’ai pas terminé mon histoire avec la CFDT.

Propos recueillis par Anne Fairise et Jean-Paul Coulange

2014

François Chérèque, qui a longtemps laissé entendre qu’il partirait à 55 ans (il en a 54), affiche aujourd’hui sa détermination à mener son troisième mandat jusqu’à la fin, en 2014.

Auteur

  • Anne Fairise